Kamui-Den paru dans Garo entre 1964 et 1971 figure à mon panthéon personnel du manga. Plusieurs années, il a été aussi un graal, et dans ma quête, j’ai tenté d’acheter les 4 volumes publiés par Kana malgré la spéculation folle, et roulé des centaines de kilomètres pour emprunter les deux derniers tomes dans une médiathèque consciencieuse (depuis ils ont été volés).

Mon enthousiasme s’est un peu émoussé quand, après 6000 pages de lecture, le dernier tome se termine sur une promesse de suite qui n’aboutira jamais, malgré une autre série dans les années 80 et une troisième entamée : Sanpei Shirato est décédé, son frère qui l’assistait aussi. Je ne sais décidément que penser de ces oeuvres qui refusent de se clore, épuisant leur auteur et leurs lecteurs (Shenmue et Hajime no Ippo, je pense à vous).

La série n’en a pas moins un impact immense sur la pop culture, pensez seulement au nombre de ninjas nommés Kamui dans les jeux vidéo, ou la présence quasi obligatoire dans leur arsenal de l’izuna drop, une de ses techniques secrètes.

J’en ai évidemment vu l’adaptation au cinéma, qui reprend les premiers volumes de Kamui Gaiden, série dérivée dont les premiers tomes sont parus aux États-Unis à la fin des années 80 — ce qui aurait pu étonner, quand on connaît la radicalité du discours d’extrême-gauche dans Kamui-Den.

En fait, produit une dizaine d’années plus tard pour un magazine grand public, Kamui Gaiden n’avait rien conservé de sa portée politique : il s’agit essentiellement, du moins au début, de combats entre ninjas déserteurs et leurs poursuivants (ce qui n’était qu’un arc parmi d’autres bien plus intéressants dans Kamui-den).

Le film (2009) a perdu lui aussi la fibre politique de l’oeuvre d’origine, malgré son apparente insistance sur la « pauvreté de Kamui qui en aurait fait un ninja » : car Kamui n’était pas seulement pauvre, ce qui était le lot de presque toute la population japonaise de l’époque, mais d’abord et surtout hinin, paria parmi les parias, à qui « la plupart des métiers était interdit ; leur habitation, leur tenue vestimentaire et même leur coiffure étaient réglementées ; ils n’avaient pas le droit de recevoir ou de prêter du feu ; ils n’étaient pas autorisés à s’approcher des lieux fréquentés par la foule et encore moins, évidemment, à franchir le seuil des maisons ordinaires. » (Kamui-den, tome 2 p. 782).


(tome 3, p. 732 ?)

Un aparté de fin de chapitre dans le tome 2 résume que « Kamui était un paria en quête de liberté qui avait décidé de devenir un ninja » ; ce qui le révolte est l’inégale répartition des libertés, pas de la richesse. Ça n’a l’air de rien, mais c’est profondément altérer le sens de l’œuvre, du moins celle que j’aimais. - à suivre