Le hasard m’a placé sous les yeux les Appartements Shôkarô de Jirô Taniguchi (Une Anthologie, 2010, Casterman) et je me suis mis en tête de visualiser l’architecture de la «maison des pins » de l’histoire.

J’avais incroyablement du mal jusqu’à ce que ça fasse tilt :  Casterman n’avait pas perdu l’habitude de découper les cases pour les ordonner dans le sens de lecture occidental au lieu d’inverser « simplement » la page.

Une telle décision impliquant beaucoup plus de travail, on aurait pu croire que la volonté de bien faire serait présente en proportion, malheureusement le résultat qui se révélait déjà sot et dérangeant en 1995 (pour L’Homme qui marche*), ne s’est pas amélioré depuis.

Il ne suffit pas en effet d’inverser l’ordre des bulles de dialogue pour qu’une case concue pour être lue de droite à gauche fonctionne dans le sens inverse, et plein de petites choses gênent, sans qu’on mette toujours le doigt dessus : par exemple, au lieu d’un travelling vers la tête du personnage, le regard se pose sur ses pieds, en même temps que le lecteur perd l’idée d’un personnage pensif qui s’ennuie.

Pour une raison ou une autre (je soupçonne souvent l’ordonnancement des bulles, dont la forme n’est pas toujours corrigée — contrairement au travail d’adaptation de Frédéric Boilet dans Quartier lointain), il leur prend également d’inverser certaines cases, et seulement certaines cases, ce qui aboutit à un personnage qui passe subitement d’un autre côté, ou, pour les Appartements Shôkarô, d’une chambre qui passe à gauche au lieu d’être à droite.

* Ils ne font pas tout mal pour autant. Aussi imparfaite soit-elle, l’impression de la première édition de L’homme qui marche ajoutait une douceur et une atmosphère onirique (est-ce le papier qui absorbait une partie de l’encre ? Le contraste qui était différent ?) que je ne retrouve pas dans les éditions suivantes, plus grandes, plus chères, plus contrastées et longtemps tout aussi contestables, grévées des mêmes inversions de cases sans grand sens — d’ailleurs, 6 éditions (1995, 2003, 2012, 2015, 2017, 2021) pour un manga aux « ventes modestes » (dixit Benoit Peeters dans L’homme qui dessine: Entretiens avec Jirô Taniguchi, 2012), ça ne manque pas d’impressionner.