Omission complete !
Par Game A le 21 mai 2013 - Ça dénonce grave.5 minutes
Si exécuter sa mission sans poser de questions est une grande qualité pour un soldat, les shmups (pour shoot’em up, jeux de tir) attendent manifestement du joueur qu’il soit un combattant exemplaire.
Ce n’est pas comme si on avait le choix de toute façon : seul aux commandes d’un vaisseau, sur une rampe de lancement voire déjà en vol et aussitôt dans le feu de l’action, il est souvent trop tard pour s’interroger sur les motifs de nos actes voire même sur la nature de nos objectifs ; et la cadence nourrie des tirs ennemis ne ménage pas le temps de le regretter.
C’est au point que non seulement on détruit parfois un ennemi sans connaître son identité mais que, pire encore, on peut ignorer jusqu’à celle de son propre camp : j’ai ainsi longtemps cru que Darius (Taito, 1986) et Nemesis (le nom de la planète Gradius dans certaines adaptations occidentales du jeu de Konami) étaient des objectifs militaires. Grave erreur, c’est à chaque fois la planète d’origine des pilotes du Silver Hawk et du Vic Viper.
Spontanément, on aurait pourtant du mal à s’identifier au roi perse ou à la terrible déesse de la vengeance, impitoyable personnification de la colère. Et avec de telles connotations, difficile aussi de conserver le sentiment confortable de la légitime défense.

L’apparente disproportion des forces plaide heureusement en notre faveur : seul contre une armée, on est déjà les plus faibles, on ne va pas en plus être les méchants ! D’ailleurs, le gamedesign de Space Invaders, qui inventait à lui seul un genre, rassurait au moins sur ce point : nous étions les agressés.
Mais le contexte est moins limpide dans d’autres jeux : quand, à la fin d’une mission, d’autres vaisseaux identiques nous rejoignent et que notre supériorité technologique s’est avérée écrasante, l’argument de la légitime défense est moins évident.
Et d’ailleurs, s’agit-il de se défendre ou d’agresser ? Dans Xevious (Namco, 1982) par exemple, qui empiète sur le territoire de l’autre ? Après tout, les géoglyphes et les tours SOL en témoignent, les « extra-terrestres » nous précédaient sur Terre.
Quand on commence à y prendre garde, plus aucune cause n’est évidente : pourquoi tant de combats au-dessus d’un milieu urbain, sans la moindre précaution pour épargner les habitants ? Et pourquoi peut-on dégommer les voitures civiles dans Last Resort (SNK, 1992). Ne devrait-on pas plutôt les protéger ?
Même Solar Striker (Nintendo, 1990) soulève finalement quelques problèmes moraux : d’après le scénario (qui n’apparaît pas dans le jeu), il s’agit d’une frappe plus ou moins préventive contre le système planétaire de Turin (qui possède dit-on des armes de destruction massive).
Bref on en viendrait à douter de la doxa officielle.
Les prototypes Raiden (Seibu, 1990) seraient ainsi le dernier espoir de l’humanité contre la domination extra-terrestre qui a colonisé la planète. Pourtant, cette situation critique n’est absolument pas confirmée par le paysage du premier niveau.
Signalons d’abord que le territoire survolé est sans doute le seul espace habité moderne qui a empêché les promoteurs de bétonner son littoral (on aborde la ville à l’extrême fin du niveau) sans le consacrer pour autant entièrement au tourisme, au loisir ou à l’agriculture : les champs sont étrangement circonscrits et irréguliers, de vastes espaces sont laissés à l’élevage extensif et d’autres encore plus importants sont inexploités. On se croirait à la Grande-Motte dans les années 60, pas en 2090.
Le paysage côtier ne manifeste pas non plus d’occupation militaire étrangère récente. Au contraire, la menace est minutieusement camouflée, les tanks stationnent sous les hangars ou sous les arbres d’une forêt résiduelle rigoureusement dimensionnée, des batteries de missiles sol-air sont enfouies sous des étendues herbeuses, un important réseau de voix ferrées a été installé dans le sable. La vue aérienne ne laisse deviner aucun terrain récemment retourné en dehors du sillage des deux avions écrasés, dont un très proche du Raiden (à droite, en gris).
Difficile alors de croire que ce territoire vient d’être colonisé par les Cranassians : l’absence de villas, la faible mise en valeur agricole signalent au contraire un aménagement militaire réalisé de longue date en prévision d’une attaque par la côte.
L’énorme vaisseau écrasé sur le sol (à droite) a un design pas si éloigné de notre propre porte-avions (gauche) et les « 187 » sur la carlingue font plutôt penser à une précédente attaque infructueuse de notre camp qu’à un vaisseau extra-terrestre détruit.
Plutôt que la clé de voûte d’une contre-attaque décisive, le Raiden semble en fait la tête de pont d’une nouvelle attaque stratégique.
De toute façon, l’ampleur de la percée dans les rangs ennemis s’accorde mal avec l’atmosphère dramatique de la dernière chance : dans ce cas, stopper momentanément leur progression, voire récupérer un peu du territoire perdu, serait déjà une victoire. Or, dans les shmups, il s’agit invariablement d’exterminer l’ennemi jusqu’au plus profond de son antre.
Big Star Brain (Star Soldier), Gopher (Gradius II), Major (R-Type Leo).
On devrait même dire au plus profond de ses entrailles : on y explose en effet souvent des cœurs, des yeux, des cerveaux… L’adversaire est détruit au niveau cellulaire. Dans ces jeux, le dernier ressort se confond souvent avec la solution finale et le génocide.
Que les jeux nous amènent à accomplir des actions immorales, la belle affaire. Rarement pourtant comme dans les shmups on y cause des massacres de cette échelle sans l’idée même d’un remords. À croire que ces jeux de tir annonçaient ce que les attaques de drones vérifient aujourd’hui : la mort administrée à distance a très peu d’impact sur le responsable, à tel point qu’on peut s’enrôler dans tous les camps et en ignorer les connotations les plus louches (Raiden est le nom d’un avion japonais de la Seconde Guerre, Bugs vs Tanks met le joueur aux commandes d’un tank nazi…). L’instinct de survie justifie manifestement toutes les compromissions.
Beaucoup d’images ont été empruntées aux sites gravitorbox.free.fr (Axelay), shmups.com (Star Soldier) et surtout vgmuseum.com (R-Type, Gradius…). Un bouquin, Théorie du drone, opposant (notamment) drones et kamikazes vient de sortir, l’auteur en a fait un article intéressant sur le Monde diplomatique. Place de la toile et ASI viennent d’y consacrer une émission.
Commentaires
On a parfois reproché aux shmups la minceur de leur scénario mais certains jeux du genre comptent parmi ceux qui m’ont procuré le plus d’émotion. Je pense notamment à MUSHA Aleste et à Silpheed sur Mega-CD, jeux dans lesquels le méchant EST méchant et n’hésite pas à anéantir une partie de la flotte alliée sous les yeux du joueur impuissant.
Légèrement HS, mais ton article m’y a fait penser : sur PlayStation avait été développé un jeu dans lequel on devait incarner un alien face à des terriens :
http://i.imgur.com/jrUezFo.jpg
Hello,
Comme je ne l’ai jamais fait auparavant, je voulais
quand même vous féliciter / remercier pour l’approche
de vos articles sur le jeu vidéo. Je prends à chaque fois
plaisir à les lire, même sur des jeux qui ne m’intéressent pas
(j’ai adoré ceux sur monster hunter !).
Bref, je ne vais pas m’étendre trois heures sur les défauts de la presse,
en tout cas bravo !
L’analogie avec les drones est intéressante.
Je me souviens justement d’un reportage sur une radio du service publique également et de l’interview d’un gradé français qui expliquait la différence d’éthique militaire entre la France et les États-unies, en parlant justement de la légitimité qu’on donne à des hommes dans des bureaux pour tuer des populations via des drones sans que ces derniers n’aient à aucun moment à répondre de leurs actes, chose qui serait totalement inconcevable dans un pays comme la France qui ne donne le droit à ces hommes de tuer qu’en réponse au fait qu’ils soient exposés eux-même.
Je n’ai jamais été un grand fan de shmups personnellement (mais j’avoue apprécier de voir jouer de très bon joueurs comme dam-dam qui font des choses très impressionnantes)
@Youloute : tu m’as encore fait rêver ! (Je me suis permis de modifier ton com pour afficher l’image.) Un Dsiware est sorti qui renversait aussi les rôles (de manière moins ambitieuse que ton jeu). Mais il était très décevant.
@ostromoldave : c’est gentil ! En tout cas on fait ce qu’on peut, et avec l’inspiration qui est parfois capricieuse…
@Goldy : idem pour Dam-dam, son run récent sur
Mushihime Sama est assez hallucinant. Personnellement, j’ai toujours aimé les shmups sans être pour autant capable de passer le moindre niveau sans claquer une pièce.
D’ailleurs, je vous conseille et j’aime beaucoup ce que fait Shmupemall pour les handicapés du pad comme moi : ils commentent des runs abordables et pleins d’astuces pour le commun des mortels.
et merci bien !
@max.faraday : pas de quoi, votre site est vraiment formidable.
J’en ai profité pour changer l’affreux “Gradius de Namco” en un beaucoup plus sérieux “Gradius de Konami”.
Excellente piste de réflexion !
En terme de scénario dans un shmeupe, on ne parlera jamais assez de l’excellent (et putedurl’enfoiré) Sine Mora. Beaucoup d’ambition, de l’ambiguité morale, une histoire de génocide et des furries. Que demander de plus ?
@Koubo : merci, de ta part ça me fait très plaisir !
Et t’as encore placé Sine Mora. :) C’est vrai qu’il a l’air super bien (je l’avais acheté mais pourtant j’ai revendu la console sans jamais y jouer).
Intéréssant je suis un grand amateur de shmup et je n’avait jamais vu les choses sous cet angle.
C’est perturbant.
Pour les jeux inversant les rôles il y a Human Must Answer qui a fini récement sa campagne kickstarter et devrait sortir cet été.
Et l’un des niveaux de fin de R-type final le fait aussi de mémoire (et la campagne de R-type tactics, mais là on sort du shmup). Si le scénar est limité dans le jeu, le background de cette série est plus profond que pas mal de jeu du genre (les gens de notre époque payent le prix de ce qu’il comettronts dans le futur).
Article merveilleux.
Merci Reyda. :)
J’en ai profité pour modifier quelques passages, mais toujours sans trouver de conclusion valable.^^;
Salut Game A,
Sympa ton article. C’est vrai qu’on est loin de space invaders où le joueur joue un défenseur. Dans les r-type, gradius, etc. ça ressemble plus à une guerre d’invasion ou un raid punitif. C’est vrai que le rapport de force très inégal, et qui fait à mon sens tout l’amusement d’un shump, occulte complètement le sens de l’action. Mais on peut supposer que l’idée était simplement de changer de décor.
Si on y réfléchit bien, parodius est encore pire puisqu’on tue nonchalament des personnages sympathiques, même si ce n’est sûrement pas l’idée fondamentale des développeur. En même temps, pour montrer du décor et des personnages bizarres, il y avait d’autres astuces scénaristiques : un pilote en exercice qui s’échoue dans un environnement hostile d’une planète inconnue et qui doit lutter pour sa peau, sans le background d’une guerre derrière, par exemple.
Pas étonnant que les “shmupers” ne se soient jamais posé de question, il suffit de voir leur niveau intellectuel.
Tu aurais pu parler en passant de Starfox de Nintendo, du moins de l’opus lylat wars (je ne connais pas les autres) où le boss final est aussi un gros cerveau.
Je ne crois pas que l’origine de ce dont parle ton texte soit le shmup mais plutôt les jeux de guerre. Combien de jeux de stratégie, rpg tactiques, etc. utilisent plus ou moins les mêmes ressorts ? Ou même dans de nombreux autres genres. Pourquoi mario va-t-il emmerder tatanga, franchement ? bon, d’accord, daisy a été enlevée…
La malhonnêteté est que l’alibi est toujours moral : on fait la guerre pour la paix, sinon l’adversaire la ferait pour la guerre. Ou bien tout simplement : le camps d’en face sont des salauds, faut aller les buter, c’est un devoir puisqu’on est les gentils. Pour que ce soit moins évident, l’adversaire est toujours déshumanisé, d’où les histoires d’extraterresteres, pour éviter de rappeler que le joueur est poussé au crime par le jeu. Au niveau du background, mais aussi au niveau de sa mécanique : on peut rarement sortir du jeu sans éteindre sa console. Jouer implique généralement d’accepter les règles, mêmes immorales.
Rares sont les jeux qui assument que, oui, on fait la guerre pour nos intérêts, rien à foutre du reste. Autrement dit, que l’immoralité se situe dans notre camps.
Parenthèse : pour moi, le cas d’école du jeu abominable, dans lequel il faut scorer en écrasant des innocents, c’est : carmaggedon. Ce titre minable continue d’être exploité même sur smartphone ! Ce jeu bête et méchant révèle aussi à quel point les éditeurs étaient stupides : d’un film visionnaire qui met en garde contre l’immoralité galopante de la société - de la télé-réalité entre autres, déjà en 1975 ! - ces abrutis en font une apologie ! (Je viens de regarder sur wiki et ça rejoint ce que je disais précédemment: dans la version allemande du jeu, des zombies ont remplacé les piétons.)
Apparemment, les co-éditeurs sont les mêmes que ceux de fallout et baldure’s gate. Je comprends mieux pourquoi j’ai jamais aimé ces jeux. Et attention : l’éditeur détiendrait complètement Eidos.Toujours selon wiki donc. Je ne sais pas comment ils se débrouillent avec SE.
En tout cas, c’est quand même étonnant que cette manière de voir, typiquement amerloque, aie contaminé des shmup jap.
Merci pour la liste de jeux ! c’est vrai que Parodius s’imposait… J’aurais dû y penser.
Je connais pas de shmupers forcenés donc à propos de leur niveau intellectuel… pour la défense du genre et des amateurs, le shmup a une dimension tragique, mélancolique (qu’on retrouve jusque dans la musique) que j’adore.
« la malhonnêteté est que l’alibi est toujours moral »
Complètement d’accord avec toi, comme avec le fait que le problème dépasse largement le shmup. Mais il me semble que le shmup est le seul à avoir presque systématiquement un sous-texte - ou alors à me laisser divaguer. :)