Croquis préparatoires de l’archipel Wuhu - sources.

On entend plus beaucoup parler de Wuhu ces derniers temps, l’île où tous les futurs jeux de Shigeru devaient pourtant se dérouler. (Et qui joue encore à Wii Sports Resort ou Wii Fit Plus ?)
Entre les rumeurs de DS2 ou de successeur à la Wii, on ne remarque même plus l’absence d’annonces de jeux chez Nintendo de toute façon. 

Avant d’abandonner définitivement Wuhu au cimetière marin des fausses bonnes idées (avec le double écran, l’accéléromètre et la fonction rumble), abordons les rives d’une petite curiosité littéraire.

Il existe en effet déjà une île consacrée corps et âme au sport dans la littérature. Elle avait été inventée par un Georges Perec encore au secondaire, après le traumatisme de la guerre (il y a perdu son père en 40 et sa mère, une tante et ses grands-pères en camp d’extermination). Le plus troublant est sans doute le nom qu’il lui avait donné…

Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. Elle s’appelle W.

Elle est orientée d’Est en Ouest ; dans sa plus grande longueur, elle mesure environ quatorze kilomètres. Sa configuration générale affecte la forme d’un crâne de mouton dont la mâchoire inférieure aurait été passablement disloquée. […] W est aujourd’hui un pays où le Sport est roi, une nation d’athlètes où le Sport et la vie se confondent en un même magnifique effort. La fière devise

FORTIUS ALTIUS CITIUS

qui orne les portiques monumentaux à l’entrée des villages, les stades magnifiques aux cendrées soigneusement entretenues, les gigantesques journaux muraux publiant à toute heure du jour les résultats des compétitions, les triomphes quotidiens réservés aux vainqueurs, la tenue des hommes : un survêtement gris frappé dans le dos d’un immense W blanc, tels sont les spectacles qui s’offriront au nouvel arrivant.

Je ne vous ferai pas le coup cette fois-ci de sous-entendre une quelconque inspiration de la part de Shigeru, ou de caviarder malhonnêtement le texte, genre « les jambes des athlètes étaient séparées des troncs, les bras séparés des torses, les mains n’assuraient aucune prise » (Perec à propos de ses dessins d’adolescents).

Je ne le ferai pas car même si son livre semi-autobiographique est paru en 1975 en France, il n’a été traduit en japonais que vingt ans plus tard. Par ailleurs Perec est loin d’être big in Japan et ne reçoit là-bas qu’un intérêt tout universitaire (le charme des colloques en France sans doute). Aucune chance ou presque que Shigeru y jette un oeil (en même temps que la table).

W est de toute façon à mille lieues de la bucolique Wuhu. La férocité de sa géographie (brume, « récifs à fleur d’eau » et « marécages pestilentiels » l’entourent) n’a d’égale que la férocité de son organisation sociale (les perdants peuvent être écharpés). Là où Wuhu n’est qu’une très bourgeoise station balnéaire, W est en effet une transposition glaçante de l’univers concentrationnaire.

 

GEORGES PEREC, W ou le souvenir d’enfance, Gallimard, 1975, 222 pages. Les citations se situent entre les pages 93 à 97. Comme on a parlé du concept de Wuhu, de sa ressemblance avec celle de Mother 3 et enfin de son futur, je pense qu’on en a fait le tour pour de bon…