Rappel des épisodes précédents : la salle d’arcade entrevue une vingtaine de secondes dans Kung-Fu Master d’Agnès Varda (1987) se trouvait 88 boulevard Rochechouart, Paris 18e. Le local a été démoli, remplacé par un immeuble à 5 étages « à usage d’hébergement hôtelier »*, et les sources en ligne permettent de retrouver quelques-uns des commerces qui s’y sont succédé de la toute fin du 19e à 1954.

Qui m’en voudra de faire un saut dans le temps ? J’ai longtemps cru aboutir à la fin de notre quête avec la création, en juin 1985, de la société J.S.M. (SIREN 332921477, « secteur d’activité du commerce de détail d’habillement en magasin spécialisé »). Las, l’entreprise a possédé plusieurs établissements et le 88 boulevard Rochechouart semble n’avoir été acquis que tardivement (1999 ?). L’adresse ne deviendra en tout cas son siège social qu’en 2019, avant sa radiation en 2024 « par suite de transmission universelle du patrimoine ». Entretemps, les mêmes mandataires auront créé 88 BVD ROCHECHOUART (2004, location de terrains et d’autres biens immobiliers), JRD, qui prendra en location gérance le fonds de commerce à la même adresse de 2010 à 2016 (Shenkine et Atelier chaussures sur streetview, c’était donc elle) puis BANSARD en 2017 (« hébergement touristique et autre hébergement de courte durée »). Aujourd’hui, seules subsistent 88 BVD ROCHECHOUART, « bailleur à construction », et BANSARD, au nom de laquelle a été menée la construction nouvelle.

Bref la salle d’arcade aperçue dans Kung-Fu Master les précédait. (Plutôt qu’une ellipse temporelle, j’aurais dû préférer un résumé.) 

Entretemps, j’ai vérifié pour vous : rien sur le n°88 dans la base de données du Canard enchaîné, même si on s’y convainc que le boulevard Rochechouart, avant d’être un « hotspot à kebabs », laissait libre cours à d’autres embrochements (si je peux me permettre), au grand dam de l’aile moraliste et manifestement homophobe du palmipède (not my Canard). Ainsi le 28 décembre 1960, dans un article d’un autre temps, pas seulement malaisant pour la mention du préfet Papon (qui avait effectivement « son secret ») :

Jouant mon va-tout auprès du « service par correspondance de la BHPT » (et pour le prix d’un nombre considérable de jeux en promotion sur Steam), j’ai pu m’assurer que SEDA occupait encore les murs en 1985, dernière année des annuaires par adresse pour la ville de Paris.

Mais oui, S.E.D.A., l’entreprise qui achète le bail du 88 l’année même (1954) où David Rosen fondait son entreprise, une des pierres angulaires de ce qui sera SEGA (après un montage encore plus complexe que les sociétés mentionnées plus haut) ; l’entreprise occupait donc encore le même local 31 années après sa création !

Nous voilà donc en 1985, à deux ans du tournage de Kung-fu master

Rien ne permet encore de s’assurer du type « d’appareils automatiques » que SEDA exploitait (était-ce le même en 1954 et dans les années 80 de toute façon ?), ni si la société occupait encore les murs lors du tournage du film. Une coïncidence incroyable se matérialise néanmoins : qu’on ait joué à des jeux Sega dans une salle Seda, deux sociétés fondées la même année (en simplifiant).

Le suspense à son comble, l’enquête se poursuit.

 

* Outre l’improbable éventualité de mettre un pied dans la capitale, l’envie d’y louer un appart-hôtel s’est volatilisée face aux 1200e minimum les trois nuitées (durée de location incompressible). Vous pouvez toujours jeter un œil sur les appartements (cherchez « Résidence Paris Rochechouart » ou « CMG Résidence Sacrée Cœur - Montmartre »). Les commentaires très divergents portent à croire que l’on ne sait pas quel appartement de l’immeuble est effectivement loué au moment de la transaction, et que celui avec le salon en sous-sol sans ouverture vers l’extérieur n’a pas l’air foufou.

Le montage photographique moche n’était sans doute pas nécessaire (d’autant que Area 88 est sorti en 1989). Sous le logo plaqué du jeu, la borne d’arcade d’origine contient le bootleg « Colt », austère jeu pirate basé sur N.Y. Captor de Taito. Je vous épargne (pour l’instant ?) le relevé des jeux et des flippers qui apparaissent dans un coin d’écran du film, les bornes génériques Jeutel, JVF ou SVT compliquent l’identification et ne sont pas esthétiquement ma came.