Nous vous devons plus que lyzander
Par Game A le 5 décembre 2012 - Now playing.7 minutes
Peut-on comprendre l’amour que certains portent à la série The Chykyuu Boueigun (EDF pour faire simple) si on en a pas acheté un épisode dans un bac à soldes, sur la seule promesse de son titre et de minuscules vignettes peu convaincantes ?
Dès le premier jeu sur PS2, volume 31 de la collection budget Simple Series édité par D3, le concept était aussi fort que ressassé : détruire tout seul ou à deux une armée extraterrestre. Tout annonçait le kusoge, les premières minutes le confirmaient (maniabilité douteuse, caméra mal pensée, modélisation limite), et pourtant le jeu était génial, notamment pour ses références décomplexées aux films de monstres et à la science-fiction.
Mais, à mesure de ses épisodes et de son audience grandissante, la série se débat avec une aporie : comment développer son identité quand on est d’abord un pastiche ?
Pour une bonne part, il semble que ces questionnements passent largement au-dessus des fans de la série : ils ont ainsi plébiscité Chikyuu Boeigun 3 (EDF 2017 chez nous) qui n’apportait pourtant rien. Tout juste Sandlot, le développeur, a-t-il ajouté royalement un exosquelette, un ennemi (une sorte de cheval de Troie) et relié deux environnements jusque-là distincts (la crique de Tsugawa et un paysage vallonné).
Sur bien d’autres points, il marquait au contraire un net retour en arrière : remake sans l’avouer du premier épisode PS2, il abandonnait un grand nombre des apports de sa suite (PS2, 2005) : la chair à canon extraterrestre était réduite au minimum* (fourmis, araignées et ovnis), comme le nombre d’armes et d’environnements. On y perdait même sur Xbox360 le deuxième personnage jouable (et cosplayable) du 2, Palewing.
Yoshiki Risa en Palewing et Minoru Kawasaki pour la promo d’EDF3 sur PS Vita.
Du deuxième, EDF 2017 ne conservait en fait que les araignées, les nids de petite taille et les niveaux souterrains (partiellement encore car il n’y a plus de passage dans le métro).
Quand le principal argument de vente mis en avant du futur Earth Defense Forces (sic) 4 est un nouveau personnage féminin, on peut cerner à quel point la série se complaît dans une zone de confort particulièrement étroite.
Mais le joueur d’EDF n’est pas du genre à se plaindre. Il sait qu’à chaque nouvel épisode il faut préalablement mettre la caméra sur manual, les commandes sur advanced, supporter la maniabilité douteuse des appareils (et éviter de les utiliser), ne pas attendre le moindre easter egg et ne rien espérer du côté des graphismes, de la fluidité ou de la physique. Le contrat signé depuis 2003 est immuable et Sandlot ne fait pas de zèle. En échange on a toujours eu un jeu dynamique, difficile et jouissif, et pour cette raison on lui a toujours tout pardonné.
En sous-main pourtant, la série vit une révolution. Les changements sont apparemment si peu nombreux d’un épisode à l’autre qu’on a pu aisément manquer la solution que D3 apporte à son dilemme, continuer de copier ou se singulariser : il semble ne plus vouloir assumer le pastiche et devenir son propre faussaire.
En abordant la série avec Earth Defense Force 2017 (2006), ou Insect Armageddon (2011), on peut en effet manquer une bonne part du plaisir énorme que procuraient les épisodes PS2 : EDF fleurait alors franchement la série B.
Si le titre japonais comme le design des vaisseaux ennemis sont empruntés sans complexe un film de 1957 réalisé par Ishirō Honda (Prisonnière des Martiens en France, sorti en 1957), les fourmis semblent directement provenir d’un autre film catastrophe de la période, américain celui-là (l’excellent Them!, Des Monstres Attaquent la Ville !, 1954).
Il en allait de même pour les monstres géants qui « s’inspiraient » sans la moindre gêne de Gojira (Godzilla), Mecha Gojira et même Baby Gojira (dans EDF2). Ajoutons enfin des uniformes au look vintage totalement Ultraman, le pied était total.
Vallak Saurus, à mi-chemin entre Gojira et Gomora, kaiju emblématique d’Ultraman.
La kitschissime publicité de l’adaptation Vita d’EDF3 peut laisser croire que la série maintient toujours le cap de la parodie, mais rien ne serait plus faux.
Eric Peterson, dont le studio s’est occupé d’Earth Defense Force: Insect Armageddon, s’en étonne d’ailleurs (site d’origine de l’interview fermé) :
« À ma grande surprise, nous avons rapidement compris que, dans l’esprit des développeurs japonais, Earth Defense Force était un jeu très important au sujet sérieux. »
EDF est en effet devenue une licence essentielle pour D3, loin devant OneeChambara. Le fait même qu’un épisode soit externalisé dans un studio américain n’est qu’une étape d’un changement d’orientation qui a commencé dès EDF 2017 (sorti uniquement sur Xbox 360 sur console de salon, comme par hasard), voire même avec EDF2, qui démarrait par une bataille face au Palais de Westminster : insensiblement, la série abandonne le pastiche et l’univers du film de genre japonais**.
Si les décors ont gardé un charme nippon invariable***, les vaisseaux de 2017 ont ainsi troqué les coloris Go Nagai pour le métal rutilant façon Enterprise, tandis que les uniformes remisent l’United Nations Scientific Investigation Agency d’Ultraman pour se rapprocher de vagues treillis paramilitaires.
Quant aux monstres géants, ils n’ont plus grand rapport avec les productions de la Toho, et si l’on doit trouver un cousinage au Vallak Saurus, il faudra plutôt le chercher chez le Godzilla de Roland Emmerich.
Peut-on mettre sur le compte de ce même tropisme américain l’exosquelette d’EDF3 et les premiers screenshots du 4 qui insistent beaucoup sur les nouveaux joujoux motorisés (appareils pourtant traditionnellement inutiles) ?
En tout cas, la seule chose que Nobuyuki Okajima, producteur des premiers jeux et conseiller sur EDF:IA, a exigé que Peterson et Vicious Circle conservent sont les fourmis et les araignées, c’est-à-dire précisément ce qui ne vient pas des films de monstres japonais, dont le Chikyuu Boueigun de 1957 !
Il est sans doute obligatoire, à mesure que la visibilité de la série augmente, que D3 et Sandlot abandonnent les emprunts les plus visibles. Toutefois, en cherchant simultanément à contenter leurs juristes et à séduire un nouveau public, pas sûr que quiconque y trouve son compte.
Evidemment, il restera de « vastes environnements destructibles avec des vagues d’insectes géants et de robots » (Peterson)… Il manquera pourtant aux joueurs et aux développeurs l’excitation d’un univers sans propriété intellectuelle et à Earth Defense Force l’essentiel de ce qui le singularisait : sa manière toute à lui d’avoir ponctionné d’autres œuvres.
Earth Defense Force est essentiellement développé par Sandlot pour l’éditeur D3. Il est sorti sur PS2, PSP, Vita et Xbox 360. Le premier est sorti sous le nom Monster Attack en Europe, le deuxième a connu une diffusion confidentielle sous le nom Global Defence Force, a priori uniquement au Royaume-Uni. Comme ses grands frères sur PS2, « Force de défense terrestre 2017 » se trouve assez facilement dans les bacs à solde à moins de dix euros.
Earth Defense Forces 4 sortira en 2013 sur PS360.
Note à propos du titre : le lyzander Z est l’arme ultime du jeu qui en compte jusqu’à presque 300 dans EDF2. Les armes s’obtiennent en tuant des insectes, par drop aléatoire. Autant dire que le lyzander est rare et n’apparaît que dans les derniers niveaux en difficulté maximale.* on peut compter 6 types d’ennemis en moins, dont deux vaisseaux, un mille-pattes géant. Plus de nid d’insectes grand comme un immeuble non plus.
** Occidentaliser le jeu était d’ailleurs un objectif majeur des développeurs de Vicious Circle pour Insect Armageddon, comme l’écrit Jim Richardson, lead designer du jeu, sur Siliconera :
Quand nous avons commencé EDF:IA, une de nos idées principales était de l’occidentaliser un peu, de le rendre plus accessible au public américain et européen. EDF 2017 était un jeu très japonais, ce qui faisait une grande part de son charme. C’était en même temps un vrai jeu de niche. Je ne vais pas parler de chiffres mais 2017 n’a pas été vendu à beaucoup d’exemplaires aux Etats-Unis. Et, pour le meilleur comme pour le pire, l’industrie du jeu c’est d’abord ça, une industrie où les ventes dirigent tout.
*** Et pour cause, les décors sont globalement identiques aux deux premiers jeux, quelques détails en plus (jolies maisons sur la côte) ou en moins (immeubles en construction du quartier pavillonnaire).
Commentaires
C’est ça que j’aime dans ce blog: la découverte de jeux que je ne connaissais pas (j’ai une culture vidéoludique assez pauvre), avec une analyse et un historique quand même assez poussé.
C’est toujours un plaisir de vous lire les gars! :D
Très bon article, A.
EDF est l’un de mes quelques (sans doute trop nombreux) plaisirs vidéo-ludiques coupables, et malgré son occidentalisation progressive, jusqu’à maintenant, la série ne m’a pas déçu (autrement dit, elle ne s’est pas départie de son attachante médiocrité).
Ceci dit, je suis quand même “triste” de voir les américains (allez, c’est jeudi, on diabolise) chercher à en faire un jeu moyen mais rentable en arrondissant les angles et en appauvrissant l’offre du jeu plutôt que d’embrasser la culture B et pastiche et d’en faire une sorte de Contra à la sauce Viewtiful Joe assumée, multipliant d’autant plus les références aux films de genre et aux jeux issus du même pedigree.
Chouette article (bis).
Je me souviens d’une interview géniale de la tête pensante de Siliconera qui racontait comment Sandlot était venu littéralement en stage chez eux, pour leur enseigner les rudiments du ChikyûBôeigun. Et je m’étais demandé “mais de quoi ils ont parlé, là, pendant cette semaine ? Les immeubles il faut qu’ils se cassent comme ça, mettre plus de fourmis dans les coins”.
Bah c’était précisément ça. Quel beau métier. <3 Sandlot.
« à en faire un jeu moyen mais rentable en arrondissant les angles et en appauvrissant l’offre du jeu »
J’ai pas touché à Insect Armageddon - j’aime trop les décors urbains si japonais des jeux Sandlot (l’AUTRE grand atout de la série, j’en causerai peut-être une autre fois), pour jouer dans un New Detroit, complètement fictif en plus…
Paraît-il qu’il n’est pas si mauvais que ça, juste différent.
Je crois aussi qu’ils avaient les meilleures intentions du monde, en voulant vraiment que le jeu soit apprécié aux Etats-Unis. Mais, d’après les interviews, ils ont en effet préféré les blockbusters américains* (une autre sorte de série B finalement) aux films catastrophes des sixties.
Quand tu leur reproches de ne pas être assez allé dans la série B, je me demande si ça ne vient pas du fait que la franchise manque trop d’assise pour prendre ce risque. Wayforward a pu le faire avec Double Dragon sans doute pour l’unique raison que “Double Dragon” suffisait à assurer les ventes, ce qui permettait quelques folies (d’ailleurs, comme le patch promis pour le coop online ne sort pas, le pari semble avoir été perdu, les ventes n’ont pas dû être astronomiques).
@Lo : alors c’est cool. :) Je te conseille, si l’envie t’en prend, de commencer par 2017 (en baissant au préalable tes attentes au maximum, puis en laissant le charme agir). Les versions PS2 et PSP piquent un peu les yeux aujourd’hui.
@Kamui : Merci ! Tu parlais de cette interview ? Je la connaissais pas et c’est révoltant d’écouter le type de D3 America dire qu’ils ont hésité et que finalement ils ont choisi de traduire les voix japonaises d’EDF 2017. Quand on connaît le résultat….^^;
« Are you scared ? - I agree » (les voix françaises ne sont pas meilleures d’ailleurs).
* Toujours Richardson chez Siliconera : « I would compare EDF 2017 (in the USA) to a cult classic movie—one of those films that is a little too quirky for the mainstream, but manages to amass a diehard following of fanatic fans. The fans know that so many other people would really love it if they just saw it, but for whatever reason—production values, perceived cheesiness, not knowing it even exists, what have you—the film never really gets a widespread general release and doesn’t get viewed by a very big audience.
Earth Defense Force: Insect Armageddon (EDF:IA) was our chance to try and make a sequel that would have what it takes to attract a wider audience, while retaining the essence of the original. »
Bon article, comme d’hab.
Je suis un gros noob en D3. Je vois toujours un paquet de leur jeu en occaz à Book Off Opéra sur Paris (DS, Play 1, Play 2) mais j’ai quand même un peu beaucoup peur de tomber sur de la grosse daubasse.
J’ai une petite objection/suggestion à propos de l’appellation kuso game. Histoire de suivre la même logique que pour les eroges, j’aurais tendance à dire kusoge http://www.japangameloser.com/2009/…
Cela dit, les 2 appellations sont assez répandues et je suis pas expert dans le domaine. Hardcoregaming101.net publie un article par semaine sur un kusoge. Leur forum abrite aussi un topic dédié au jeux de baston pourris:
http://hg101.proboards.com/index.cg…
@Youloute : non tu as plutôt raison, je corrige merci. :)
Pour des raisons techniques qui démontrent aussi mon niveau de compétence dans la maintenance du back office, le formulaire pour les chapeaux d’articles est tout petit, ce qui fait que j’en viens souvent à négliger de le relire (voir « aréopage » sur l’article précédent).^^;
Excellent, je ne connaissais pas cette série :) Fichue mondialisation, voilà qu’elle nous aplanit aussi nos jeux vidéo :P
@Victor von Jul : fichue propriété intellectuelle plutôt.
C’était tellement bien les jeux quand on demandait pas l’avis de Michelin ou des marques de cigarette (ou aux gens concernés) pour mettre leur image dans les jeux.
Et ça permettrait d’avoir encore Pepsiman dans une adaptation de Fighting Vipers, Outrun 2 sur le live XBSN. Et Godzilla dans EDF, habillé comme dans Ultraman. :)