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À écouter quelques podcasts sur le sujet (par exemple celui-là), Samus Aran serait une de ces héroïnes virtuelles prouvant que les personnages féminins méritent davantage qu’une place d’honneur dans un monde du jeu vidéo si masculin.

Outre que vouloir transposer des préoccupations de parité dans un monde virtuel manifeste sans doute une incompréhension profonde de la nature d’un personnage de jeu vidéo (je vous rassure, on réservera ça pour une autre fois), le succès de l’héroïne de Metroid demeure étonnant.

D’abord, plutôt que du potentiel et de la place des femmes dans le jeu vidéo, Metroid est surtout significatif de l’importance du plagiat dans cette industrie : pour un jeu si largement inspiré par Alien (1979), c’est un héros masculin qui aurait détonné. Pour autant, l’idée de faire de Samus une femme n’est venue qu’en toute fin de développement* (et en cela les développeurs exprimaient peut-être certains blocages), sans rien modifier d’ailleurs du scénario.

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Nintendo n’a même pas la primeur du retournement de situation en fin de jeu : elle revient à Baraduke (Namco), un an avant. (source : hardore gaming)

Dès le deuxième jeu de la série (Metroid II : Return of Samus, sur Game Boy), Nintendo va cependant prendre en considération le sexe de Samus en créant entre elle et un bébé métroïde une relation de mère à enfant.

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Source des images : vgmuseum.

Yoshio Sakamoto qui a pris en charge la destinée de la série avec Super Metroid répète souvent s’être inspiré de cette scène et que si « Metroid II: Return of Samus n’avait jamais été créé, ce qui a suivi aurait sûrement été différent. »

Après n’avoir joué au mieux qu’un rôle de supervision durant la parenthèse Metroid Prime, Sakamoto reprend la barre avec Metroid : Other M et poursuit le travail là où il l’avait laissé, quitte à risquer la caricature.

On ne peut pas enlever à Other M d’avoir de l’ambition : c’est en effet le premier épisode à dévoiler les premières années de formation de Samus au sein de la fédération galactique, avant qu’elle ne devienne chasseuse de primes.

Adam Malkovich (déjà mentionné dans Metroid Fusion, qui se déroule chronologiquement après) y tient un rôle primordial, dans les péripéties comme dans la construction “psychologique” de Samus : commandant des forces armées de la fédération galactique, il jouait également le rôle de père de substitution extrêmement patient : on est parfois effaré devant l’attitude puérile de Samus lors des flashbacks, durant lesquels la jeune fille se conduit comme une effrontée à qui l’on passe tous les caprices (“Princesse” est le surnom que lui donne un des soldats).

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Sa « rébellion » se limite à dire d’accord pouce vers le bas. Peut mieux faire pour la crise d’ado.

Il est toujours un peu risqué dans une histoire, de confronter le personnage principal à un parent, surtout quand on n’a jamais concédé le moindre défaut à ce héros ; pour rester dans l’univers Nintendo, apprendre que Kyle Hyde (Last Window: The Secret of Cape West sur DS) a une maman qui l’appelle tous les quatre matins brise un peu le personnage indépendant et solitaire qu’on s’était faite dans le génial (scénaristiquement) Hotel Dusk: Room 215

Les problématiques qui peuvent naître d’une telle rencontre sont nombreuses, et l’auteur doit clairement définir son objectif avant de s’y engager : le héros a-t-il égalé son modèle, l’a-t-il dépassé ? Entretiennent-ils des relations adultes ou bien les rapports de subordination parent-enfant se sont-ils perpétués ?

Il n’est pas évident que les scénaristes du jeu aient totalement maîtrisé les conséquences des retrouvailles entre Aran et Malkovich : d’un personnage aussi puissant et emblématique que Samus Aran, on pouvait espérer qu’elle ait réglé ses complexes, à défaut de ses démons. Ce n’est pas le cas, bien au contraire, ce que son obéissance totale envers Adam manifeste bien.

Si le procédé qui consiste à limiter les capacités du personnage principal en début d’aventure puis à les augmenter progressivement est systématique dans presque tous les jeux, la manière dont il est justifié dans Other M est particulièrement horripilante (elle a exaspéré en conséquence un nombre considérable de joueurs) : Samus Aran se met docilement sous l’autorité de Malkovich qui lui autorise toujours un peu tard et au coup par coup d’utiliser ses armes. Elle ne retrouvera pas sa liberté totale d’action avant qu’Adam ne quitte son poste de contrôle, en toute fin de jeu (ce qu’elle soulignera d’un moqueur « pas d’objections, Adam ? »). Samus nous avait habitués à davantage d’assurance lors des précédentes aventures.

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La fillette n’est heureusement pas la seule facette de la personnalité de Samus dans le jeu. « Other M », le sous-titre du jeu (l’anagramme est transparent), en souligne un autre, qui la définit donc largement depuis Metroid II, l’instinct maternel**. Le souvenir du sacrifice du bébé métroïde qui l’a sauvée de Mother (allons bon) Brain à la fin de Super Metroid est d’ailleurs récurrent tout au long du jeu.

Il n’est sans doute pas anodin non plus que l’appel de détresse qui amène Samus sur le Bottle Ship (génial mot-valise) soit “pleurs de bébé” - ou qu’un boss ennemi ait un visage de poupon monstrueux.

La maternité est évidemment une part importante de la vie d’une femme. Peut-être même qu’elle l’est même davantage que la paternité pour un homme, pour des raisons biologiques et sociales, mais peut-on réduire les femmes adultes à leur statut de mère ? C’est pourtant la caricature que développe le scénario, écartelant Samus entre la fillette rebelle mais apeurée et la maternité dans toutes ses déclinaisons, de la filiation au clonage, jusqu’à la fusion (Metroid… Fusion, 2002). Entre les deux, rien. La vraisemblance du personnage n’en ressort pas renforcée.

Dès lors, peut-on encore la prendre comme un exemple de personnage féminin réussi ? Sans doute plus maintenant qu’elle a été cuculisée : on pensait diriger un personnage résolu, courageux et fort comme une armée, on apprend que « Samus est une femme qui a du mal à gérer les problèmes de la vie » (Ryuzi Kitaura, responsable des cinématiques). Une station spatiale infestée de monstres mutants (comme quoi une vie difficile peut toujours empirer) n’était peut-être pas le lieu le plus adéquat pour les résoudre.

Mieux vaut prendre la série comme la manifestation des complexes non réglés de ses créateurs, on se tromperait moins.




Metroid: Other M est sorti sur Wii en septembre 2010. Le soin apporté au jeu est immense, ses qualités (notamment de jouabilité) sont nombreuses ; on peut cependant lui reprocher son scénario, peu satisfaisant, et l’absence de scènes vraiment inoubliables.
* Sakamoto en parle notamment ici. À propos, on vient d’apprendre d’où provenait le nom du jeu (“We attached “android” to the “metro subway” and that’s how we got “Metroid” - 1986 est aussi l’année de sortie d’Arkanoid, android était dans l’air du temps) et du personnage  : “Aran” est inspiré d’un homme, Edison Arantes Nascimento (Pelé), et c’est encore une indice que l’équipe ne pensait pas mettre une femme dans le scaphandre dès le départ.
Par une extraordinaire coïncidence, les développeurs japonais n’ayant sans doute pas de connaissances solides en grec, métro, apocope de métropolitain, signifie la mère (meter).
** On la retrouve jusque dans la manière dont Yoshio Sakamoto parle de son rôle dans le jeu : « Quand on me décrit comme « celui qui a donné naissance à Metroid », je ne suis pas tout à fait d’accord. Je me considère plutôt comme « celui qui a élevé Samus ». »