C’est une drôle de chose que l’autorité apportée par la permanence d’une marque. Qu’elle manque, la suspicion surgit : je me souviens comme on battait froid les King Of Fighters quand ils n’étaient plus siglés SNK, alors que les équipes de développement étaient en partie les mêmes.

Rien de tel concernant les deux nouveaux « Game&Watch » en l’honneur des 35 ans de Super Mario Bros et Zelda sur famicom, trente ans après le dernier modèle de jeu électronique et dix après la réédition anniversaire de Ball, le premier de la gamme sorti en avril 1980. 

L’estampille « produit officiel » leur assure une aura de désidérabilité immense, encore augmentée par leur disponibilité aléatoire (même si on trouve toujours facilement le modèle Mario). Bref « Nintendo fait fructifier son patrimoine en rassasiant ses fans »*.

Alors évidemment la propriété intellectuelle tient entièrement dans les gants de Mario mais c’est aussi notre mémoire d’enfance, une part de notre culture voire de notre identité qui est en jeu. Ces très beaux objets se présentant comme des hommages, réclamons donc notre droit à l’inquisition : Nintendo peut nous traîner devant un tribunal pour violation de copyright, mais nous pouvons juger leur action devant celui de nos souvenirs.

Or, à bien y regarder, soit notre mémoire nous joue des tours, soit c’est Nintendo : les nouveaux modèles reprennent jusqu’au packaging le look général de la série Wide screen (1981-82) avec la position du titre et du logo des New wide screen (fin 1982). Concernant la taille d’écran réduite, l’absence de béquille et d’alarme, les jeux Ball et Vermin, le placement horizontal des boutons select et start du modèle Zelda, tout renvoie la gamme Silver (1980).

Ces consoles ne présentent donc qu’une familiarité trompeuse, condensant la période des gammes Silver/Gold/Wide Screen, soit l’âge d’or de ces jeux au Japon. Par ailleurs, ces consoles servent à mettre en valeur des jeux Famicom sortis en 1985 et 86, c’est-à-dire à un moment où beaucoup des nouveaux Game&Watch n’étaient même plus commercialisés officiellement au Japon, en partie parce que la Famicom les avait ringardisés auprès des plus jeunes.

L’ironie n’est pas que tragique commercialement : l’inimitié entre les divisions RD1 (les Game&Watch et la future Gameboy) et la RD2 (Famicom puis Super Famicom) est si notoire que seul le départ à la retraite de la plupart des concernés** a pu faire oublier que la réunion de ces jeux produits par des équipes concurrentes était impensable, du moins en 1985-1986. (D’ailleurs, qui reste-t-il chez Nintendo pour porter cette mémoire des G&W ? Cette mémoire s’estompait déjà en 2010, alors aujourd’hui ?)

C’est encore plus vrai pour le modèle Zelda qui propose The Legend of Zelda: Link’s Awakening : quitte à acoquiner RD1 et RD2, il aurait été moins hors-sujet d’inclure ces jeux Famicom dans une mini-Gameboy, l’écart temporel entre les deux étant moins grand. Même si la finition des produits est sans commune mesure, le mélange des époques et des supports n’est finalement pas plus heureux que les Mini Classics, ces rééditions de Game & Watch sous la forme de minuscules porte-clés Gameboy.

Utiliser un Game&Watch chimérique pour célébrer des jeux famicom a d’autant moins de sens que les jeux LCD dédiés à ces séries sont omis. Pour quelle autre raison grimer deux jeux, Ball et Vermin, sans rapport avec Mario** ou Zelda, sinon pour tenter de réduire l’incongruité de cet attelage ?

Le rebranding de Ball et Vermin achève d’ailleurs la récriture de l’histoire de l’entreprise, comme si tout ces succès étaient simultanés et réalisés dans une synergie géniale.

Cet objet de collection, tout produit officiel qu’il est, n’a ainsi pas la cohérence, voire l’authenticité, que son apparence laissait croire. S’il peut évoquer conjointement, plutôt chez les Japonais, deux souvenirs distincts, c’est seulement par un contestable raccourci historique et ludique. Chez les plus vieux, il aura fallu une mémoire qui flanche (et la vue qui baisse) pour ne pas repérer à quel point cet hommage est rapiécé, rénové, de bric et de broc. En cela, il révèle aussi que ces prétendus « Game&Watch » sont, certes de beaux objets, mais également produits par des employés qui n’ont pas vraiment connu les originaux.

Mais je m’arrête là, vous avez compris que j’essayais juste de réprimer ce désir tout aussi incohérent de l’acheter quand même.

 

* du titre de cet article sur France inter qui m’aura fait tiquer un nombre considérable de fois.

** Bon ok pour Mario, ce n’est pas la première fois qu’il s’incrustait : Mario the Juggler et Gameboy Gallery. Comme tout le monde, je regrette que Nintendo n’ait inclus ni Zelda (certes jamais sorti officiellement au Japon) ni aucun des cinq (!) Game & Watch consacrés à Mario (Mario Bros., Mario’s Cement Factory, Mario’s Bombs Away, Super Mario Bros.Mario the Juggler déjà mentionné).

La première photographie provient du site Nintendolife.