Je retire ce que j’ai dit. Voilà plusieurs jours que je le mets dans ma poche, histoire de comptabiliser ma transformation physique vers une arrogante übersexualité cet été et, finalement, c’est formidable, le Pocket Sakura.

Contrairement à la 360 qui prenait en charge jusqu’à la sociabilité du joueur pour le transformer en otaku terminal, jamais le nez hors de chez lui, le Pocket Sakura, c’est d’abord formidable parce que, pour y jouer, il faut sortir de chez soi.
Alors vous me direz “ben oui mon con, c’est un podomètre ! En plus, des podomètres-tamagotchi, il y en a plein (ici, , là-bas, etc.) alors pas de quoi s’extasier sur le Pocket Sakura”. Et là, du tac au tac, comme si j’avais prévu votre réflexion, je réponds : oui, mais le Pocket Sakura, c’est très différent.
Je m’explique.

Prenez le Pocket Pikachu Color par exemple, qui était la version d’origine du jouet. Et bien, lui convertit vos pas en watts utilisés par Pikachu pour jouer, manger, être heureux, ce genre de choses. Dans une version alternative du premier Pocket Pikachu, Pocket Hello Kitty, en battant la campagne, vous frappiez de la monnaie pour cette petite vénale de Kitty.
Mais Sakura, ce n’est pas une femme entretenue. Dans Pocket Sakura, vos pas équivalent à des pas ; un pas c’est tout.
Pour la faire avancer dans ses trajets, vous devez donc vous-même avancer dans la vôtre. Avouez que, au moins d’un point de vue métaphorique, c’est beau comme concept, tellement le jeu vidéo est souvent une fuite.
source : nintendo.co.jp

Le Pocket Sakura, c’est formidable aussi parce que c’est intellectuel. Des dadaïstes aux situationnistes, jusqu’à aujourd’hui encore (par exemple le très reconnu Noderunner), la balade est devenue un support artistique et les villes un lieu intense d’expérimentations. Les situationnistes appelaient ça la dérive. Il s’agissait d’être sensible aux ambiances, au potentiel poétique, à la capacité d’influence psychologique des différents “secteurs” d’une ville. Bref, d’utiliser le territoire réel comme terrain de jeu. Ce qui est tutafé ce que propose le Pocket Sakura.

The map is not the territory

Ralph Rumney, un ancien situationniste, racontait une fois comment, arrivé dans une ville allemande qu’il ne connaissait pas (Munich ? Dusseldörf ? J’ai oublié), il était parvenu à retrouver un petit restaurant où il avait rendez-vous, avec pour seule aide une carte… de Londres. Comme s’il existait des correspondances souterraines entre les villes.
C’est une expérience de cette sorte que vous propose le jeu, symboliquement : vous marchez dans votre coin pourri mais en même temps, virtuellement, dans le Tokyo ancien.
Évidemment, c’est un peu rudimentaire, très dépendant de votre capacité d’imagination : les distances que Sakura doit parcourir pour atteindre deux quartiers ne correspondent pas à l’éloignement réel de ces quartiers; et chaque quartier se résume à une statue ou un décor identique aux autres, à un ou deux pixels près.

Mais tout de même : maintenant, l’arrêt de bus près de chez moi conserve des liens très forts avec ce temple shintô où Sakura est arrivée en même temps, en bippant de contentement. Sous les aller-et-venues de ma vie naze se tissent des réseaux imaginaires (“psychogéographiques” disaient les situ) avec une capitale du XIX°. Avouez, ça en jette.