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Maintenant que l’expansion slide pad de la 3DS a été dévoilé par Nintendo, il faudrait réévaluer les indiscrétions révélées par le mystérieux informateur de 01.net.
Lors de leur publication à la fin de l’été, on les a beaucoup critiquées (leur mise en ligne par épisodes quotidiens n’ayant rien arrangé) : une nouvelle 3DS, les difficultés de développement de la Wii U, une « structure paralysante engoncée dans des procédures anachroniques », on s’en doutait tous, c’est vrai.

N’empêche que les soupçons et les hypothèses sont une chose, recevoir une confirmation en est une autre : cela devient une information, ce qui change tout. Par ailleurs, les déclarations de l’informateur avaient un autre intérêt, passé assez inaperçu : c’était la première fois qu’un employé égratignait la réputation de Shigeru Miyamoto (troisième épisode).

Bien sûr, le VRP de Nintendo n’est pas le seul visé par les critiques, il n’est cité qu’à titre d’exemple de l’« encombrante mythologie » sous laquelle croulerait Nintendo, mythologie dont on peut sentir tout le poids quand un journaliste français affirme devant Miyamoto qu’il est « l’avantage de Nintendo […] Ni Sony ni Microsoft ne peuvent prétendre à une incarnation pareille de leur marque, cette identification entre un homme, presque une star, et une enseigne de jeux » (Olivier Séguret, Libération, 19/07/11).

Fin août, l’informateur de 01.net illustrait son propos en remettant en question la paternité revendiquée par Miyamoto du concept de Pikmin mais qui

serait directement inspiré d’une simulation en temps réel (RTS) présentée à la firme par un créateur des années avant la sortie du jeu. L’histoire officielle du titre (Miyamoto en aurait eu l’idée en observant les créatures de son jardin) ne serait ainsi qu’une habile trouvaille marketing.

En fait, et comme pour les autres informations publiées par 01.net, on aurait dû le soupçonner depuis longtemps : après tout, accaparer les idées et les réalisations d’un employé pour son propre bénéfice relève des prérogatives et du modus operandi normal de tout supérieur hiérarchique.

Le travail salarié se caractérise en effet par son inclusion dans une structure hiérarchique dont le sommet « s’approprie le bénéfice symbolique de l’œuvre collective des enrôlés, qu’il se fait attribuer en totalité » (Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude).

Il nous aura fallu des années de storytelling intensif pour l’oublier dans le cas de Miyamoto - avec d’autant plus de facilité que, compte tenu du culte qui l’entoure, il est plutôt modeste* (« Je ne veux pas minimiser mon rôle ou mon influence ou ma responsabilité dans la réussite de certaines choses… Mais en tout cas je ne peux pas tout revendiquer », toujours dans l’entretien avec Libération).

Miyamoto n’est pas ce « génial créateur omniprésent, qui joue au chef d’orchestre devant une foule d’exécutants » (01.net), pas plus que Kojima, Inafune, Ancel… Les jeux sont des œuvres composites, dont la dimension et la complexité échappent à chaque participant particulier, quelle que soit sa place dans la hiérarchie.

Les points communs entre les œuvres d’un même game designer proviennent tout autant de lui que de la patte d’un ou plusieurs employés qui travaillent pour lui d’un projet à un autre. Certaines réussites échappent sans doute même à l’équipe en son entier, étant le résultat inattendu de l’addition de leur travail.

En conséquence de quoi, en tant qu’utilisateur final, on doit faire son deuil : devant une telle œuvre collective, on ne pourra jamais départager la responsabilité de tel ou tel participant dans le résultat final que l’on a sous les doigts. 

Attribuer le mérite au directeur voire au producteur, c’est pécher par naïveté et par simplisme, et c’est déclarer sa confiance à l’ordre dominant. Quant à croire au génie d’un seul, c’est carrément s’abaisser au rang des ravis de la crèche.




* Le cas de Miyamoto est d’autant plus limite que depuis Super Mario Bros et Zelda sur Nes (et pour se limiter aux plus influents pontes de Nintendo), il vit « une relation symbiotique » avec Takeshiro Nakago et Takashi Tezuka et qu’ils évaluent ensemble tous les obstacles et toutes les décisions qu’il peut rencontrer en développant un jeu. Dans ces conditions, à qui attribuer les bonnes idées ?
La confiscation à laquelle procède Miyamoto (ou l’appareil marketing et journalistique autour de lui) n’est qu’un cas particulier d’un autre, systématique et à plus grande échelle dans l’industrie du jeu vidéo : la capture des produits finaux au bénéfice des entreprises qui développent ou (pire) éditent le jeu. Ces entreprises ont réussi le tour de force de parvenir au statut d’auteurs : on achètera le prochain Rockstar sur le seul gage qu’il s’agit d’un jeu Rockstar, comme il y a des années on achetait Konami ou Capcom en confiance ; peu d’entre nous achèterions de la même manière le nouveau produit Yoplait juste par amour de la marque.

Le concept de « désir-maître » du chef d’entreprise qui embrigade le désir des salariés est largement développé par Frédéric Lordon dans Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza, éditions La Fabrique, 213p, 12€.