Super Ma gnole
Par Game A le 29 juin 2011 - La Vie vs les jeux vidéo(s).5 minutes
Une chose m’a toujours étonné dans Hotel Dusk et Last Window, les deux aventures sur DS de Kyle Hyde : l’omniprésence discrète de l’alcool. On ne croise pas d’ivrognes bien sûr : le personnage principal n’est pas un alcoolique maladif, et le jeu ne développe aucun éloge de la bouteille.
Dans l’univers aseptisé des jeux édités par Nintendo, ces quelques traces suffisent à faire tâche, et c’est tout à l’honneur de Rika Suzuki, la scénariste, et du développeur (feu CING) de n’avoir pas rien dilué des goûts et des habitudes de Hyde ; l’alcool était un cliché nécessaire à l’atmosphère du jeu, et un attribut essentiel à ce détective anti-héros.
Les cadavres de bouteilles de vin et de whisky traînent ainsi dans son appartement, sa « vieille flasque de whisky », dans sa valise de faux-représentant de commerce, il l’a « sifflée jusqu’à la dernière goutte ».
Quant à « sa boisson de prédilection [elle] est tout aussi facile à établir : il affectionne particulièrement le bourbon, soit pur soit “on the rocks” » (chapitre 3 du roman*). De mémoire, il en sifflote d’ailleurs un bon cru avec un bistrotier, un peu avant la fin de Last Window.
Une autre chose m’a encore plus étonné, à propos de ces deux jeux : l’absence de toute indication qui mentionne les références à l’alcool sur la jaquette des jeux.
Dans Last Window par exemple, un pictogramme signale bien l’utilisation de langage grossier, ce qui est bien sévère pour un niveau de langue seulement familier, mais pas d’autre avertissement pour prévenir le client, sinon le PEGI 12+ (les deux jeux s’ouvrent sur un meurtre).
La classification PEGI fonctionnant par une « déclaration de contenu » de l’éditeur, j’ai longtemps soupçonné Nintendo de n’avoir pas rempli le formulaire très consciencieusement : une grosse bouteille d’alcool sur la jaquette aurait pu faire tâche (quant à « l’examen détaillé » du jeu qui doit suivre, le rythme des jeux, si lent, peut donner envie de bâcler son travail). C’était avant de me rendre compte que le système PEGI ne possédait aucun « descripteur » spécifique à l’alcool !
Pire que ça, l’alcool (sa présence, sa consommation, son éloge) n’est même pas un critère utilisé par l’organisme ; lisez la description du PEGI 16 et trouvez l’intrus : « Les jeunes gens de cette classe d’âge doivent également être en mesure de gérer un langage grossier plus extrême, le concept de l’utilisation de tabac et de drogues, et la représentation d’activités criminelles. »
Pour être exact, l’alcool est bien mentionné une fois sur le site francophone de PEGI : le label PEGI OK, qui se propose de classifier les jeux flash, le prend en compte : le jeu ne doit alors contenir ni violence, ni contact sexuel ou insinuation à caractère sexuel, nudité, langage grossier, jeux de hasard, incitation à l’utilisation ou utilisation de drogues, promotion de l’alcool ou du tabac ou scènes d’épouvante. Ce label signalant les jeux jouables par tous, enfants compris, c’était bien le minimum vous me direz.
Sans jouer le père la pudeur, ni tendre le bâton pour se faire battre, on peut s’étonner de cette absence pour les jeux autres que sur navigateur : après tout ce critère est pris en compte par les autres systèmes de certification, notamment CERO pour le Japon** et l’ESRB en Amérique du Nord.
L’ESRB précise par exemple à côté du pictogramme de public si le jeu contient des références à l’alcool (Alcohol Reference - Reference to and/or images of alcoholic beverages) ou à sa consommation (Use of Alcohol - The consumption of alcoholic beverages). En 2007, Hotel Dusk a eu droit à ce dernier descripteur, comme on peut encore le voir sur le site officiel américain ;
L’ESRB utilise des descripteurs plus nuancés (“mild”) que PEGI, qui manque de nuance (jaquette européenne, sans mention d’alcool mais saturée de pictogrammes effrayants).
On peut se demander pour quelle raison l’alcool n’est pas un critère de classification chez PEGI. Est-ce une négligence ? une différence culturelle européenne, où l’alcool provoquerait moins l’opprobe ? les traces d’un lobbying de la filière ? Difficile de ne pas penser que cette absence est suspecte en tout cas.
* Vertigineuse mise en abîme, la progression de l’aventure dans Last Window débloque les chapitres correspondants d’un roman écrit par un écrivain croisé dans Hotel Dusk.
** CERO ne signalerait la consommation d’alcool que lorsque des personnages mineurs sont concernés. C’est sans doute la raison pour laquelle Hotel Dusk a été classé pour tout public (CERO A) - Last Window a été classé B, le conseillant pour les joueurs à partir de 12,13 ans comme en Europe.
Hotel Dusk : Room 215 et Last Window : The Secret of Cape West sont deux point’n click aussi peu ludiques que soignés sur DS. Le scénario est chaque fois extrêmement réussi, voire exceptionnel pour Hotel Dusk. Ça cause parfois trop, l’ergonomie est affreuse, les mini-jeux ne méritent même pas ce nom, certaines tâches (récupérer de l’argent dans une tirelire, attraper une bague derrière une commode) sont nulles mais l’histoire rachète tout. Hotel Dusk en devient même miraculeux. Si si. L’image de la jaquette européenne provient de jeuxvideo.com.
Commentaires
En gros, il faudrait que je re-re-recommence hotel dusk pour la 3e ou 4e fois afin de bien comprendre à quel point le scénario est génial ?
J’ai été séduit par la patte graphique, mais à chaque fois j’ai été rebuté par les longueurs et tous les défauts que tu énumère… Au bout de deux heures de jeu, j’avais l’impression d’avoir affaire à du polar hyper classique et à un jeu d’aventure textuel…
Pour élargir la question de l’alcool, je suis toujours frappé par l’éternelle tentation pour Nintendo d’éditer et de promouvoir quelques jeux “burnés” (killer7, Madworld, No More Heroes) au milieu d’un océan rose bonbon.
Il en faudrait beaucoup plus pour faire évoluer l’image de la marque, j’en déduis donc que c’est une volonté délibérée de n’en sortir que quelques-uns. Mais à mon avis, ce positionnement bancal nuit aux jeux en question.
Digression : on peut même élargir ce propos aux consoles, la DS et la Wii avaient été présentées en leur temps comme des périphériques idéaux pour le FPS. Si si, rappelez-vous (paragraphe “l’art du nunchaku”). Il y avait aussi la démo de métroid avec la 1ere DS.
On sait ce qu’il en a été ensuite…
@Minostel : “En gros, il faudrait que je re-re-recommence hotel dusk pour la 3e ou 4e fois afin de bien comprendre à quel point le scénario est génial ?”
En gros oui. :)
Il faut le voir comme une visual novel je pense, tous les aspects liés au jeu lui-même étant complètement ratés. Mais le scénario est vraiment miraculeux, même ses défauts (dans la construction de l’intrigue) participent à sa réussite. Mais j’ai un problème pour parler des jeux que j’adore (Hotel Dusk, Silent Hill Shattered Memory), désolé de pas pouvoir en faire plus. En tout cas ce sont des œuvres exigeantes pour lesquelles on est mille fois récompensé à la fin.
Sinon, pour Mad World etc., je suis d’accord qu’il les promeut parfois mais il ne les édite pas. Hotel Dusk et Last Window lui appartiennent au contraire.
Mais tu as raison, Mario essaie un peu de contrebalancer son univers globalement mièvre et tournée vers la famille par quelques softs un peu trash (Zangeki no Reginleiv, le prochain Pandora’s Tower…), mais c’est toujours maladroit.
Cette absence est en effet étonnante, mais moins si on sait que bon nombre de pays européens ont l’alcool dans le sang (sans mauvais jeu de mots), tandis que les USA sont déjà plus sévères (prudes?) sur le sujet.
Minostel> Sauf que Nintendo n’a jamais édité, et encore moins promu (ou si peu, c’est tout comme), les jeux cités: Killer7, c’est Capcom, Madworld/Sega et No More Heroes/Rising Star Games. Ah tiens, comme par hasard, trois jeux tiers, trois jeux au contenu “borderline”, trois bides. Bref, Nintendo et “sévèrement burné”, ça fait deux.
Pour PEGI, y’a pas de logo sur l’alcool à proprement parlé mais vu que l’alcool est une drogue y’en a pas vraiment besoin. S’il fallait un logo pour chaque drogues certaines jaquettes de jeu en seraient couvertes.
@X_OR : c’est un troll ou pas ? Tu vas nous tuer nos vignerons à dire ça. ;)
Le logo PEGI drogue est réservé aux drogues considérées comme des drogues, mas ça aurait pu être une solution en effet. Le tabac par exemple n’en a pas non plus mais sa consommation est prise en compte dans le type de public conseillé (16+).
peut-être que pour lever le voile du doute concernant la classification, il eu fallut que le monsieur fume un gros joint en soirée, ou prenne une ligne le matin pour se mettre en forme. on aurait été fixé.
Pour le reste en Europe et à mon gout il y a la culture de la vigne et du vin plus que de l’alcool …
“une grosse bouteille d’alcool sur la jaquette aurait pu faire tâche ” : cette remarque pertinente a du potentiel ou c’est moi ?
De façon plus générale en France, j’ai tendance à trouver que les relations entre cinéma, télévision, jeux vidéo, … et alcool sont à la fois étroites et étranges. Comme si on le tolérait implicitement mais qu’évidemment, tout le monde était d’accord pour dire “bouh c’est pas bien!”. Histoire de ménager les producteurs de vin et leur noble savoir faire tout en cherchant à diaboliser l’alcool mauvais: whisky, vodka and co.
Je n’ai pas joué aux deux jeux, et je me demande si l’attitude du personnage vis a vis de l’alcool est plutôt dans le sens de la promotion ou de la dénonciation? Mais bon d’accord pour dire que ça pourrait être mentionné quelque soit la réponse
En 2006 était publiée une étude comparative en termes de dangerosité pour la santé des différentes drogues (= psychotropes addictifs). L’alcool est en queue du top 5, entre la Méthadone et la Kétamine :3 Après, je vais pas lancer le débat sur la légalisation de l’herbe ici ^-^.
@Alphajet : “je me demande si l’attitude du personnage vis a vis de l’alcool est plutôt dans le sens de la promotion ou de la dénonciation”
La série est très adulte dans la mesure où l’alcool est présenté comme allant de soi dans la vie des personnages, sans jamais qu’aucun grand discours ne lui soit consacré. On est vraiment dans l’accessoire, l’habitude sans complexe (ce qui serait de fait une sorte de promotion, en tout cas du point de vue des personnes qui censurent les cigarettes des fumeurs sur les affiches - cf. Jacques Tatit ou Alain Delon).
@Alvin : carrément instructif. J’avais quelques préjugés sur la notion que le diagramme a battus en brèche…
J’ai (enfin) commencé Last Window.
Je pense qu’il n’y a pas d’information concernant l’alcool sur la jaquette pour une raison simple: les personnages ne boivent pas d’alcools, ils en parlent, on le voit, mais il prend pas la bouteille pour la siffler jusqu’au fond devant le joueur.
Ce serait comme voir une pub pour du fromage, voir la bouteille de vin mais aucune info “boire avec modération”.
@wes : “Ce serait comme voir une pub pour du fromage, voir la bouteille de vin mais aucune info “boire avec modération”.
Il me semble que, justement, ce cas rentrerait dans le cadre des lois Barzach (1987) et Evin (1991) qui obligent d’indiquer les mentions “à consommer avec modération” et “l’abus d’alcool est dangereux pour la santé”.
les personnages ne boivent pas d’alcools, ils en parlent, on le voit, mais il prend pas la bouteille pour la siffler jusqu’au fond devant le joueur. Le soir du mardi 23*, Kyle fait un tour dans un bar, il a un verre à la main. Mais en effet ils en parlent (beaucoup*), mais ne sont presque jamais en train de boire.
Sinon je me répète, mais il n’y a pas de mention sur la boite tout simplement parce que le pictogramme PEGI correspondant n’existe pas.
* deux autres exemples, à mesure que j’avance une nouvelle fois dans le jeu pour les relever : Lundi 22 décembre
Tony : j’ai eu du mal à dormir, j’arrêtais pas de ressasser ce que tu m’avais dit. Du coup, je me suis vidé toute une bouteille de bourbon et ce matin, j’ai mal aux cheveux.
Kyle : La gueule de bois ?
Tony : Ouais, j’ai bu jusqu’à en être malade et puis j’ai réfléchi.
mardi 23 décembre
Kyle: je me suis levé avec une méchante gueule de bois. La veille au soir, après que j’ai parlé à Dylan, Tony m’a invité dans le bar d’un de ses amis.
…
[à Tony] Le bourbon que j’ai bu en t’écoutant a eu plus d’effet que d’habitude.