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Une chose m’a toujours étonné dans Hotel Dusk et Last Window, les deux aventures sur DS de Kyle Hyde : l’omniprésence discrète de l’alcool. On ne croise pas d’ivrognes bien sûr : le personnage principal n’est pas un alcoolique maladif, et le jeu ne développe aucun éloge de la bouteille.

Dans l’univers aseptisé des jeux édités par Nintendo, ces quelques traces suffisent à faire tâche, et c’est tout à l’honneur de Rika Suzuki, la scénariste, et du développeur (feu CING) de n’avoir pas rien dilué des goûts et des habitudes de Hyde ; l’alcool était un cliché nécessaire à l’atmosphère du jeu, et un attribut essentiel à ce détective anti-héros.

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Les cadavres de bouteilles de vin et de whisky traînent ainsi dans son appartement, sa « vieille flasque de whisky », dans sa valise de faux-représentant de commerce, il l’a « sifflée jusqu’à la dernière goutte ».

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Quant à « sa boisson de prédilection [elle] est tout aussi facile à établir : il affectionne particulièrement le bourbon, soit pur soit “on the rocks” » (chapitre 3 du roman*). De mémoire, il en sifflote d’ailleurs un bon cru avec un bistrotier, un peu avant la fin de Last Window.

Une autre chose m’a encore plus étonné, à propos de ces deux jeux : l’absence de toute indication qui mentionne les références à l’alcool sur la jaquette des jeux.

Dans Last Window par exemple, un pictogramme signale bien l’utilisation de langage grossier, ce qui est bien sévère pour un niveau de langue seulement familier, mais pas d’autre avertissement pour prévenir le client, sinon le PEGI 12+ (les deux jeux s’ouvrent sur un meurtre).

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La classification PEGI fonctionnant par une « déclaration de contenu » de l’éditeur, j’ai longtemps soupçonné Nintendo de n’avoir pas rempli le formulaire très consciencieusement : une grosse bouteille d’alcool sur la jaquette aurait pu faire tâche (quant à « l’examen détaillé » du jeu qui doit suivre, le rythme des jeux, si lent, peut donner envie de bâcler son travail). C’était avant de me rendre compte que le système PEGI ne possédait aucun « descripteur » spécifique à l’alcool !

Pire que ça, l’alcool (sa présence, sa consommation, son éloge) n’est même pas un critère utilisé par l’organisme ; lisez la description du PEGI 16 et trouvez l’intrus : « Les jeunes gens de cette classe d’âge doivent également être en mesure de gérer un langage grossier plus extrême, le concept de l’utilisation de tabac et de drogues, et la représentation d’activités criminelles. »

Pour être exact, l’alcool est bien mentionné une fois sur le site francophone de PEGI : le label PEGI OK, qui se propose de classifier les jeux flash, le prend en compte : le jeu ne doit alors contenir ni violence, ni contact sexuel ou insinuation à caractère sexuel, nudité, langage grossier, jeux de hasard, incitation à l’utilisation ou utilisation de drogues, promotion de l’alcool ou du tabac ou scènes d’épouvante. Ce label signalant les jeux jouables par tous, enfants compris, c’était bien le minimum vous me direz.

Sans jouer le père la pudeur, ni tendre le bâton pour se faire battre, on peut s’étonner de cette absence pour les jeux autres que sur navigateur : après tout ce critère est pris en compte par les autres systèmes de certification, notamment CERO pour le Japon** et l’ESRB en Amérique du Nord.

L’ESRB précise par exemple à côté du pictogramme de public si le jeu contient des références à l’alcool (Alcohol Reference - Reference to and/or images of alcoholic beverages) ou à sa consommation (Use of Alcohol - The consumption of alcoholic beverages). En 2007, Hotel Dusk a eu droit à ce dernier descripteur, comme on peut encore le voir sur le site officiel américain ;

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L’ESRB utilise des descripteurs plus nuancés (“mild”) que PEGI, qui manque de nuance (jaquette européenne, sans mention d’alcool mais saturée de pictogrammes effrayants).

On peut se demander pour quelle raison l’alcool n’est pas un critère de classification chez PEGI. Est-ce une négligence ? une différence culturelle européenne, où l’alcool provoquerait moins l’opprobe ? les traces d’un lobbying de la filière ? Difficile de ne pas penser que cette absence est suspecte en tout cas.



* Vertigineuse mise en abîme, la progression de l’aventure dans Last Window débloque les chapitres correspondants d’un roman écrit par un écrivain croisé dans Hotel Dusk.
** CERO ne signalerait la consommation d’alcool que lorsque des personnages mineurs sont concernés. C’est sans doute la raison pour laquelle Hotel Dusk a été classé pour tout public (CERO A) - Last Window a été classé B, le conseillant pour les joueurs à partir de 12,13 ans comme en Europe.
Hotel Dusk : Room 215 et Last Window : The Secret of Cape West sont deux point’n click aussi peu ludiques que soignés sur DS. Le scénario est chaque fois extrêmement réussi, voire exceptionnel pour Hotel Dusk. Ça cause parfois trop, l’ergonomie est affreuse, les mini-jeux ne méritent même pas ce nom, certaines tâches (récupérer de l’argent dans une tirelire, attraper une bague derrière une commode) sont nulles mais l’histoire rachète tout. Hotel Dusk en devient même miraculeux. Si si.
L’image de la jaquette européenne provient de jeuxvideo.com.