Développement dural du Vs. fighting
Par Game A le 2 janvier 2025 - La Vie vs les jeux vidéo(s).6 minutes
Je saisis l’occasion de la présentation de Stella lors du récent et impromptu Virtua Fighter Direct pour partager quelques réflexions sur le jeu de baston (jeu de versus, kakutou game / kakuge, jeu de combat, choisis ton équipe camarade). Désolé d’avance.
Je suppose qu’il s’agit d’un clone de Sarah Bryant produit par l’organisation criminelle Judgment 6 - car oui il y des clones dans Virtua Fighter, même si on néglige souvent de s’intéresser au lore de la série.
Si l’évocation de clones et d’organisation sinistre chapeautant des tournois fait penser à d’autres jeux de combat, c’est normal, c’est le même cadre scénaristique général dans KOF, Street Fighter depuis le 2, Dead or Alive, en grande partie Tekken etc. Dans ces jeux et entre eux, il ne s’agit que de copies et de déclinaisons.
« Gageons que » c’est le processus de production de ces jeux lui-même (difficultés « artistiques » et coût financier pour créer un personnage, facilité technique de recopier son travail ou celui des autres) qui a disposé les développeurs à creuser le même sillon diégétique, comme si le scénario en était l’évocation et la conséquence plus ou moins conscientes.
En effet, pour créer son roster, le kakuge n’a pas a priori la chance du beat’em all qui pouvait d’autant plus abuser du palette swap et du recopiage à outrance qu’il surfait sur la peur irrationnelle d’une masse indistincte de délinquants sortis des quartiers défavorisés. Dans le jeu de baston, les ennemis ne sont plus des PNJ génériques mais des personnages quasi tous contrôlables, et ils doivent donc provoquer, sinon l’identification du joueur, au moins un certain plaisir à le jouer et à le combattre.
Pour autant, dès Ryu et Ken dans Street Fighter, il n’aura pas échappé aux équipes créatives que de simples corrections à la marge (Baudrillard parlerait de « plus petite différence marginale ») peuvent donner l’illusion du choix (dans l’apparence — les ninjas dans Mortal Kombat, Hanzou et Fuuma de World Heroes, Ralf et Clark dans KOF95, comme dans le gameplay — tous les combattants shoto d’un Street Fighter EX).
Est-ce pour cela que les clones abondent ? La liste est en effet très longue : Dural, Seth dans SF4 (Seth qui veut dire « remplaçant » et qui remplace Abel dans l’Ancien Testament), beaucoup des nouveaux personnages de KOF à partir de K’, la pléthore des avatars de Kasumi dans Dead or Alive, les dols depuis Super Street Fighter 2, sans parler les versions « possédées » par le gène Devil dans Tekken, le satsui no hadō et le kyoi no hadō chez Capcom ou le Chi no Bōsō dans KOF. Mentionnons aussi les jumeaux, pixel perfect (Yuiren et Yuiran - Daraku Tenshi, Ume et Tane — Power Instinct) ou pas (Urien/Gill, Yun et Yang, Jin Chon Rei et Jin Chon Shu), et les cas où l’on combat le double de son propre personnage, les occasions de se battre contre soi-même ou presque ne manquent donc pas.
De ce point de vue, le jeu de combat pourrait symboliquement exprimer une volonté de persister dans sa singularité et une angoisse d’homogénéisation ou d’inclusion : qu’on pense à tous ces personnages, notamment les boss, qui absorbent les corps ou recopient sinon l’apparence au moins les mouvements des autres (Eleven, Twelve et Seth, Dural, Raidou dans Dead or Alive, Geegus dans World Heroes, Salamander dans Martial Champion etc.) et qui, quand ils sont des créations génétiques, manquent souvent de mémoire et d’identité propre.
Je n’aborde à vrai dire que la moitié du problème. Genre par excellence de l’affrontement généralisé, dans le jeu de baston s’opposent les nations entre elles (du moins leurs représentants), les hommes contre les femmes contre les enfants contre les animaux, les joueurs contre l’IA puis entre eux, Nord et Sud, riches contre pauvres, dieux contre mortels. Les jeux seraient politiques, quelle autre catégorie vidéoludique pour mieux véhiculer l’idée d’un rapport à autrui envisagé presque exclusivement sur le mode du conflit* et du struggle for life ?
(* jusque dans la même équipe parfois, je pense à la prise en compte des animosités et des synergies dans KOF 98 ou Rival Schools.)
Moitié du problème donc, car ce rapport violent à l’autre s’ordonne entre deux pôles opposés, d’un côté l’altérité, le rejet de l’autre perçu comme trop différent, et d’un autre l’identité, l’opposition à l’autre en tant que trop ressemblant ; les clones, les doubles, les jumeaux s’inscrivent dans cet extrême.
Il n’est pas étonnant alors que les liens familiaux tiennent une si grande place dans beaucoup de ces jeux (Power Instinct, Tekken évidemment, Virtua Fighter…) : en tant qu’institution d’intégration et de socialisation, la famille est au confluent des deux tendances, faisant plus ou moins brutalement la balance entre la part de liberté et d’originalité qu’elle laisse à ses membres et sa fonction de reproduction sociale et hiérarchique.
La série Power Instinct (Goketsuji Ichizoku au Japon, « le clan Goketsuji ») est de ce point de vue un exemple fascinant où la question de l’identité se retrouve partout : Goketsuji Shinjuro, premier du nom, serait ainsi l’enfant illégitime d’un Yagyu Jubei (pas le célébrissime samouraï, un homonyme), et de la fille d’une cousine de Sasaki Kojiro, tout aussi célèbre. Ce Yagyu Jubei, combattant invincible comme le guerrier du même nom, refuse de donner son nom à son fils tant qu’il n’aura pas prouvé une valeur au moins égale au combat, et mourra avant de revoir son fils. Son fils, qui porte le même prénom, n’obtiendra un nom de famille qu’à la restauration de Meiji, et, comme son père, conditionnera le bénéfice du nom de famille au plus fort de ses descendants, d’où les tournois de la série et les motivations de beaucoup des personnages (il y a ceux qui revendiquent ce nom de Goketsuji, ceux qui le réclament, ceux qui le refusent, ceux qui restent, ceux qui fuient).
On soupçonne évidemment très fort que le scénario est une analogie méta exprimant la difficulté de se faire un nom dans l’environnement ultra-concurrentiel du jeu de combat dans les années 90, mais on aurait tort de s’en contenter : ne finit-il pas par exprimer également une angoisse existentielle de certains des développeurs ? Cette série de jeux de combat, qui propose à la manière des Jojo une généalogie étendue et complexe, frappe en effet par l’absence de la génération des parents (on a leur nom mais, à l’exception d’un revenant, aucun n’est jamais représenté dans les jeux).
Beaucoup des derniers textes que j’ai postés finissent par une promesse de suite qui n’arrive pas, et il en sera de même pour celui là. L’autre partie sur le rapport à l’altérité (et ce qu’il peut charrier de racisme et d’identité nationale), entamée depuis 11 ans et longue de 80 pages fumeuses, ne sera jamais terminée, et c’est mieux ainsi. La plupart des questionnements ont été posés par le papier sur Last Blade de toute façon. N’hésitez pas à corriger comme d’habitude, ou à lancer des cailloux de désapprobation.
Commentaires
(Et bonne année à tous.)
Bonne année à La Manette !!!
Et merci pour cet article, toujours aussi intéressant :), je garde l’espoir de lire ces 80 pages un jour, on ne sait jamais ;).
Merci, toi aussi !
(Je crains que les membres de l’éliste ne le reçoivent malgré eux à la maison si cela devait aboutir.)
My body is ready comme on disait jadis <3