Les photos non créditées proviennent du wiki anglais ou japonais.

Dans la vie, l'important c'est la mesure : il faut parvenir à compenser ses excès. C'est valable pour mon prochain régime alimentaire acide/base, ça l'est aussi pour mon avis sur Nintendo.
Jusqu'ici, un coup d'oeil à l'habillage du site suffit, on compensait notre fiel contre la Wii par d'amoureux bisous aux Game & Watch (G&W).
Comme j'ai promis de m'acheter une Wii et que Wii Fit m'attire énormément, il faut donc que je compense. Au tour des Game & Watch de prendre cher.

Nintendo, l'innovation après tout le monde : le LCD

Il est de notoriété wiki que Nintendo a développé le premier des jeux électroniques LCD (affichage à cristaux liquides).
Soit.
Rappelons tout de même qu'il n'a pas inventé pour autant les jeux électroniques qui utilisaient jusque là, c'est vrai, d'autres technologies (diodes ou VFD). Ainsi le premier jeu électronique, Auto Race, date de 1976 et a été commercialisé par Mattel.
Ainsi, en 1980, quand sort Ball, le premier G&W, des acteurs nombreux occupent le marché, dont le plus productif certainement, Bandai.


Mattel Auto Race (diodes), Galaxian (VFD, par Bandai) et Ball (LCD, Nintendo).

Par ailleurs, Nintendo n'est pas le premier non plus à avoir utilisé le LCD pour des jeux : MB, précédant de 20 ans la Game Boy, l'utilisait pour sa MicroVision dès 1979.

L'histoire est sinon connue : Gunpei Yokoi voit dans le métro un salary man occupant son temps de trajet avec sa calculatrice. Eurêka, il décide de renverser la situation et de développer des jeux utilisant la même technologie et proposant, cible adulte oblige, une fonction horloge (la fonction "réveil" vient un peu plus tard). Finalement, ce sont les gamins qui se sont jetés dessus.


Les G&W prennent des couleurs avec l'engouement des plus jeunes.

Remarquez, venir après tout le monde et se tromper de cible n'est pas bien grave, et ce n'est évidemment pas ce que je reproche à Nintendo.
Par contre, ne jamais se remettre en question ni améliorer la formule concoctée en 1980...

Mario, le roi fainéant

La production des G&W s'est étalée sur 11 ans, jusqu'en 91. Durant cette période, Mario a rencontré un succès mondial, mais s'est un peu reposé sur ses lauriers.
Un premier indice (encore que...) pourrait être le faible nombre de modèles : silver, gold, wide, new wide, multi screen, tabletop, panorama, supercolor, crystal. 9 grandes séries, c'est peu, d'autant que la plupart se limitent à élargir l'écran. Comparez avec la variété des modèles chez Bandai. Mais je suis d'accord, ce n'est pas bien grave non plus.

Ce qu'il y a de gênant, ce sont les défauts que les 59 jeux partagent presque tous. On peut les résumer : comparés aux meilleurs jeux électroniques de leurs concurrents, les jeux de Nintendo manquent de profondeur. A de nombreux niveaux.

C'est sans doute le plus frappant, les G&W ne savent pas exploiter l'espace de l'écran.
Squish et Bomb Sweeper mis à part (vue de haut), la vue choisie est toujours latérale (exceptés Black Jack et Pinball, vus de haut et sans personnage).
Plus significatif, aucun jeu, à l'exception de Vermin (1980) qui la rate d'ailleurs, ne ménage une impression de profondeur de champ. Vérifiez : les personnages se déplacent tous sur un seul et même plan.


Utilisée avec intelligence, la profondeur de champ apporte un vrai confort : ratée à gauche dans Vermin (version Warioware du jeu), réussie dans le rare Hyoukin Kyoushitsu (Bandai, 1982). Source photo

Ah. Oui... le double écran. Je savais que vous alliez m'en parler. Et bien le double écran ne change pas grand chose à la donne. Il ne fait que prolonger un espace plat, et pose finalement les mêmes problèmes que le dispositif de la DS.
Le seul G&W à les utiliser de manière un peu originale est Oil Panic, premier de la série Multi Screen (1982) : l'écran du haut se focalise sur le haut de la station service que l'on voit de l'extérieur et en entier dans l'écran du bas. Là encore les personnages se déplacent sur un seul plan, les deux écrans étant par contre sur un plan différent.


Le très agréable Oil Panic et ses 2 plans. A gauche, Squish et Bomb Sweeper ont déjà un pied dans l'avenir : l'écran du haut ne sert plus à rien (photos modifiées tirées du Parachuter).

Ce manque de variété dans le point de vue adopté se retrouve encore ailleurs, notamment dans le manque de variété des modes de jeu.
Bien sûr il y a le Game A et le Game B, mais l'un comme l'autre ne sont qu'un seul et même jeu, le A étant seulement plus lent et plus mou que l'autre - comme dans la vraie vie (tous les G&W n'ont d'ailleurs pas de Game B : Balloon Fight et Climber en sont dépourvus, celui des Micro Vs correspond au jeu à deux).
A l'opposé, chez de nombreux concurrents, le Game B est parfois un jeu totalement différent : chez Q&Q, c'est une sorte de bandit manchot ; dans les excellents titres Yonezawa (Surfer Boy, Dam Panic...), les "sprites" affichés et le jeu lui-même sont différents : le mode A de Surfer Boy vous fait traverser un bras de mer pour rejoindre une charmante vahinée, en évitant les requins. Le mode B, sous le regard d'une autre jeune fille, demande au joueur d'enchaîner les vagues.

Mon dernier reproche sera le plus sérieux : si les G&W manquent de profondeur spatiale et de variété, ils souffrent surtout de "profondeur" dramatique.
Bien souvent, aucune pattern n'est prévue (encore moins réservée) pour ménager un contexte au jeu.

Ball en est sans doute le plus emblématique. Premier et dernier des G&W (Mario the Juggler, 1991), il implique un personnage qui jongle... et ne fait que ça. Le jeu démarre directement et se termine à la première chute. C'est tout. Aucune mise en scène, aucune autre progression qu'une troisième boule.
Jongle-t-il par plaisir, pour charmer sa belle ou par nécessité ? A-t-il un public assez nombreux pour qu'il puisse dormir au chaud et manger à sa faim le soir ? Des bandits qui ouvriront le feu au premier raté le tiennent-ils en joue ? (Ce qui expliquerait au moins l'atmosphère si austère du jeu, et cette ambiance de fin du monde quand une balle chute.)
On ne le saura pas. Le jeu est absurde, inconséquent : rien ne le précède, rien ne le suit. Le joueur et le personnage sont pris dans un présent éternel, sans répit.

C'est vrai que certains jeux font un effort : il me semble que Life Boat commence par les flammes du bateau et que Mario Bros finit chaque cycle d'emballages de bouteilles par une micro-pause syndicale. (J'en oublie sans doute, n'hésitez pas à compléter dans les commentaires.)


En 3, un frère Mario se repose pendant que le camion part. En 4, il se fait sermonner par un cadre. Source

Malgré ces efforts, les jeux Nintendo sont tellement loin de certains de leurs concurrents... Dans KYOFU NO MUJINTO (SOS en Europe, Bandai, 1982), un avion s'abime en mer, un survivant nage jusqu'à une île en premier plan, monte dessus, se défend contre les requins qui grouillent puis part rejoindre un bateau au loin ! Tout cela sans utiliser deux écrans !
En plus le jeu fonctionne à l'énergie solaire, autre innovation que Nintendo n'a pas jugé bonne.

Vus en "coupe", presque sans mise en scène, les G&W ne proposent qu'une "tranche de vie" souvent un peu absurde. Mais allez comprendre, ils partent à des prix indécents sur ibé (plus de 150€ pour les Crystal Screen).