La première fois que je l’ai vu, ce jeu m’avait paru magique. C’était il y a des années, aux débuts de la NES ; j’étais enfant ; c’était bien.
Il tournait sur un petit téléviseur, dans une sombre boutique d’électronique, à Bonn. Le magasin donnait directement sur le Rhin. Dans mes souvenirs, la nuit était déjà tombée, tout était noir, sauf les quelques téléviseurs en marche ; l’hiver sans doute.
Le fond noir, l’eau en bas… En y repensant le décor du jeu reproduisait celui de ma vie, au moment même où je le regardais, comme une parfaite mise en abyme ; des correspondances alchimiques se sont opérées là, qui finalement m’ont rendu ces quelques dizaines de seconde seul devant la démo de ce jeu inoubliables, uniques.
J’ai eu un coup de foudre.

Ces jours-ci, j’y ai enfin joué, à ce Mario Brothers, dans la collection Famicom Mini sur GBA, gentiment ramené par Game B du Japong. Mais pour moi, c’est comme une déception amoureuse.

Évidemment, ce jeu je l’aimais sans le connaître. Je n’y avais même pas joué, alors cette semaine la décristallisation a été franche.
Mario, je l’imaginais vif, souple, réactif, c’est un lourdaud, lent au démarrage et qui dérape à chaque arrêt. Je le voulais bien dans sa peau, c’est un chieur psychorigide (pour sauter, il faut lui imprimer une direction avant, sinon il saute à la verticale, ce qui dans ce jeu ne sert à rien pour sauver sa peau, les plafonds étant trop bas pour éviter un ennemi de cette manière ; et une fois qu’il a sauté, pas question de changer la direction, c’est trop tard).

Pas facile non plus de revenir sur l’amour inconditionnel que je portais à Gunpei Yokoi. Comme Metroid, auquel j’ai essayé de jouer après avoir terminé la Mission zéro sur gba, Mario Bros. est un jeu poussif, triste voire oppressant. Autant le dire, pas un bon jeu.

Pourtant la déception n’est pas totale, et c’est le plus bizarre à accepter.

Emballé trois fois, cartouche bicolore comme l’originale sur Famicom. trop beau pour être vrai.

Le packaging est très soigné et le jeu lui-même, identique à mes souvenirs ; il n’a pas bougé d’une ligne, il s’est même enrichi de quelques options (mode veille, sauvegarde des high scores). Tout y est, tout ce qui a fait naître mon désir y est encore déposé, à se laisser approcher, sûr de lui et de ses effets. Mais moi je n’y suis plus. Mon regard a changé, et je me sens coupable d’avoir prêté à une apparence des propriétés qu’elle n’avait pas.
Comme si la jeune fille palpitante, fraîche, aimable et neuve de la veille, s’était révélée être une vieillle du Barry, endormie, frivole et trop fardée.