Quand je me promène dans la rue et que je tombe amoureux huit fois en huit cents mètres, j’ai parfois mauvaise conscience. “Quoi, homme de peu de foi, presque à l’âge vénérable de Game B, es-tu à ce point si peu assis dans la vie et dans ton couple ? Affreux libertin, instable canaille, coquin maladif, n’as-tu pas honte ?”, etc. Comme je n’aime pas trop me faire insulter, même par moi, j’ai tendance à devenir sophiste dans ces moments-là, et à pratiquer le “retournement de la question”, technique bien connue des filous :
“après tout, et si à travers ces jolies et innombrables passantes, je n’en désirais vraiment qu’une seule, toujours la même ? Et si c’était elle que je recherchais, que je reconnaissais partiellement chez les jeunes filles que je croise ?, sur celle-ci un regard, sur celle-là un port de tête, une paire de seins…” Finalement je serais diablement romantique, seulement esclave d’un certain type.

Quand je reprends tous ces vieux jeux que je considérais chacun comme le “meilleur jeu du monde”, que je les pose à côté de mes Game & Watch, je m’interroge parfois. Et si, à travers tous ces jeux que j’aime, il existait un lien souterrain, un type, qui rende mes affections passagères cohérentes ?
Soudain, entre mon tshirt Ball, qui a déteint (amère fragilité des belles choses), et la cartouche Solar Striker, à côté de ma Game Boy, un fil d’arianne se forme, un visage se dessine : mon type à moi, en jeux vidéo, c’est Gunpei Yokoi !

Jugez donc, les Game & Watch, pour la NES R.O.B., Duck Hunt, Excite Bike, Mario Bros, et pour la Game Boy, ben la GB tout court, Solar Striker et le formidable Super Mario land, tout cela Yokoi l’a pensé, conçu ou produit.
J’essaie de saisir la touche Yokoi depuis une semaine (rappelez-vous, je suis en vacances les gars), parce qu’elle existe : exemple : les seuls Mario que j’ai aimés (avec le Mario 2, qui ne compte pas pareil) étaient de lui. Il est tout bonnement le chaînon manquant qui me fait supporter Miyamoto et sa clique : quand il n’est pas là, je n’aime plus.

Déjà, bon point pour lui, j’arrive à terminer ses jeux. Autant dire qu’ils sont faciles. Enfin, je les termine quand ils ont une fin : ils sont soit très courts (Solar Striker, Super Mario Land, etc.), soit infinis : dans les Game & Watch évidemment, mais pas seulement, la plupart des jeux Virtual Boy sont comme ça.
Soit on les termine vite, et vu le peu d’histoire qui les soutient et la fin décevante[1] (Metroid à part), on les recommence aussi sec, soit on s’arrête de soi-même : dans un cas comme dans l’autre, les jeux de G. Yokoi ne résistent pas au joueur, on n’en perd jamais la maîtrise (très simple d’ailleurs, trois boutons maximum sur virtual boy, un seul dans Solar Striker, avec autofire enclenché).
Comparez avec les foutus jeux d’un Miyamoto et ses pénibles tutoriels pour vous apprendre TOUS les boutons et TOUTES les actions. Yokoi, lui, vous ferait jamais couper des hectares de mauvaises herbes pour vous donner trois malheureux rupees, Gunpei est un type généreux qui avant tout sait que votre temps est précieux et va à l’essentiel.

Notes

[1] Game B vous parlera de la fin foutraque de Super Mario Land, avec Mario qui part en fusée spatiale.