S’il fallait lister les raisons pour lesquelles les jeux Sega à base de sprite scaling sont formidables, les fausses publicités arriveraient surement en tête. Pas seulement parce qu’elles sont parfois superbes, mais aussi pour la liberté que les développeurs prenaient avec les marques qui les inspiraient.

On pourrait songer longtemps au paradoxe qui rend ces panneaux publicitaires agréables dans ces jeux alors qu’ils sont tellement indésirables en vrai

Cela tient sans doute en partie à l’effet de réel qu’ils produisent, et en partie à la distance impertinente qu’ils conservent simultanément avec leurs modèles.

Rares en effet sont les véritables marques que l’on peut surprendre dans les jeux : on croise bien subrepticement un « Honda » dans Enduro Racer (1986) mais c’est exceptionnel.

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D’habitude, Sega se contraint à quelques changements mineurs, comme le « MCHELIN » sur la même image. Yu Suzuki l’évoquait récemment (32-36m, traduction remaniée) :

C’était une époque différente où, par exemple, pour Coca-Cola, il existait au Japon une boisson qui s’appelait Kome-Cola (coca de riz). A l’époque ce genre de choses étaient complètement autorisé, il suffisait juste de changer une lettre [mais] petit à petit, de génération en génération, c’est devenu un peu plus strict.

Les équipes de Sega ont copieusement appliqué le principe : la course d’OutRun est sponsorisée par Malboru et Modil, Turbo OutRun (1989) par Totota et Nizin…


OutRun, Turbo Outrun, Power Drift, Super Monaco GP.

À mesure que la puissance des cartes d’arcade augmente, c’est également les logos et le packaging qui sont repris…

Voire même des personnages célèbres :


Il y a plus qu’un air de famille avec Popeye et Woodstock (les 4 panneaux proviennent de Power Drift).

Super Monaco GP (1989) est le jeu qui est allé le plus loin pour « tenter de reproduire innocemment des lieux réels » (comme disait Sega of America). Le nombre et la fréquence des marques est impressionnante.

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Je passe sur « Hell », « BF », « Birelli », « Sbell »…

Ce faisant, Sega dépasse en même temps les limites : Philip Morris entame une action en novembre 1989, qui aboutira en 1992 à un kit de conversion purgeant le jeu de presque toutes les publicités (banderoles Flicky en remplacement et color-swap plus ou moins réussi) et 200$ pour l’exploitant qui renvoyait l’ancienne rom. Si le jeu y perd un peu de son attrait,

autant de publicités si proches des vraies pour de l’alcool (Hoster’s) ou des cigarettes (Marlbobo, Gisanes) posaient c’est vrai quelques problèmes moraux, notamment vis-à-vis des plus jeunes joueurs.

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La publicité Canpari, présente dans la rom, ne semble pas avoir été utilisée (comme quelques autres : Magneti, Sholl oils…).

Plus ou moins hypocritement, Philip Morris se félicitera ainsi de leur retrait (quelques mois auparavant, Namco avait dû retirer le même type de pub de Final Lap), tandis que l’avocat de Sega USA explosera tous les compteurs du bullshit en invitant les associations à lui signaler les logos Marlboro qui pourraient se trouver dans d’autres de leurs jeux.

Il faut lire cette interview d’anciens de chez Data East, boîte qui avait élevé le plagiat jusqu’à l’art, pour saisir la liberté que se laissaient alors les créatifs (sont cités pêle-mêle Masa de Shiritsu Kiwamemichi Koukou, Yawara, Indiana Jones…).

Nakamura : on avait tous à l’époque l’habitude d’intégrer les choses à la mode dans les jeux.

Morita : on ne nous a pas accusé d’infraction du droit d’auteur mais une fois on a fait un flyer en s’inspirant des Dents de la mer. Je me demande si c’était légal.

Nakamura : et le personnage de Sly Spy: Secret Agent était exactement comme 007. C’était une bonne époque.

L’action de Philip Morris puis celle de Capcom USA contre Data East en 1994 signeront la fin de cette belle époque où la création ne s’embarrassait pas de l’accord préalable du service juridique.

Aujourd’hui, le placement de produits a remplacé les fausses pubs et le plagiat sauvage. Les jeux n’ont pourtant rien à attendre des marques réelles ; ce qu’elles peuvent éventuellement gagner en prise avec le réel, l’arrière-goût de l’allégeance et le soupçon de la connivence le lui font perdre.

Quelque chose d’OutRun s’est perdu quand Sega a finalement obtenu la licence Ferrari. Jusqu’au jeu lui-même en fait, puisqu’il a disparu des plateformes de téléchargement fin 2010 sur PSN et en décembre 2011 sur Xbox live, à la fin de sa licence d’exploitation (le si bien Tatsunoko vs. Capcom vient de rejoindre le même enfer). Le prix de la soumission est bien amer.

 

 

Merci à Youloute pour l’interview de Data East. Les sprites sont presque tous récupérés grâce au logiciel S16 Sprite Viewer de yt. J’ai ajouté les couleurs à partir de captures d’écran du jeu, d’où de possibles erreurs (notamment quand le sprite en question ne semble pas avoir été utilisé). Le logiciel m’a permis de tomber sur ces jeunes dévergondées dans Super Monaco GP. Qui l’eut cru, le sprite est bien utilisé dans le jeu, mais la course allait si vite qu’il était très difficile de le distinguer.

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Comme quoi les développeurs à l’époque ne se permettaient pas seulement le plagiat !