Sous le titre « L’Angleterre déclare la guerre des prix », Gamekult menait il y a quelques semaines sa petite enquête sur le succès grandissant de l’achat de jeux sur les sites anglophones par les Français. L’auteur dégageait alors deux pistes principales, à savoir la dépréciation de la livre sterling face à l’euro et une concurrence accrue entre les entreprises multi-spécialistes (Amazon.co.uk, TheHut, Play.com, Zavvi, Hmv) comme spécialistes (Game.co.uk) de l’autre côté de la Manche.

Outre la récente attaque des marchés contre la zone euro qui a fait plonger le taux de conversion, Gamekult a cependant oublié un aspect important de la question : les prix sont d’autant plus intéressants qu’ils profitent largement d’un effet de trompe-l’oeil, en tout cas pour nous Français.

En effet ce n’est pas tant « l’Angleterre [qui] déclare la guerre » que deux dépendances de la couronne britannique, Jersey et Guernesey, éloignées de seulement quelques kilomètres des côtes françaises et constituant les îles anglo-normandes avec quelques autres rochers.

Bien qu’elles soient sous la souveraineté d’Élisabeth II (au titre de « Duc de Normandie »), ces îles ne font pas partie du Royaume-Uni et donc pas non plus de l’Union Européenne. Dotées d’un gouvernement autonome en matière fiscale, elles offrent de nombreux avantages pour les entreprises et en font une destination de choix pour l’évasion fiscale (depuis l’an dernier cependant, elles n’apparaissent plus sur les listes noire et grise de l’OCDE suite à quelques accords bilatéraux opportuns).

Au delà des questions de moralité, nous sommes concernés en tant que joueurs car la plupart des multi-spécialistes « anglais » sont en fait domiciliés dans les îles anglo-normandes, notamment Play.com (Jersey), le plus intéressant pour nous puisque les frais de port sont offerts. Les bas prix affichés par ces sites sont donc facilités par le régime fiscal très avantageux là-bas, notamment grâce à l’absence de TVA (à noter toutefois depuis 2008 qu’une « taxe générale de 3 % sur les biens de consommation et services » serait appliquée - je n’en connais pas les modalités, à comparer de toute façon aux 19,6% français).

Il y a malheureusement un problème : ces îles ne faisant pas partie de l’Union Européenne, l’importation de marchandises ne profite donc pas de l’exonération systématique des frais de douane entre pays de l’UE - même si pour les jeux vidéo ce n’est pas trop gênant, aucun droit de douane ne s’appliquant (ils s’élèvent par contre à 4,7% du prix total - prix d’achat plus coût de l’assurance et du transport- pour les « jeux électroniques genre Tamagotchi » à partir de 150€ - avant on bénéficie d’une franchise). Quoi qu’il en soit, « quelle que soit la valeur des marchandises importées, dès lors qu’il s’agit de vente à distance (vente par correspondance), vous aurez à acquitter la TVA » d’après la douane. 

Il faut donc prévoir d’ajouter au prix affiché une taxation éventuelle à 19,6%. Une « exonération de TVA à l’importation définitive de biens d’une valeur négligeable » est cependant prévue par l’Union Européenne, et définie comme suit (article 23) :

Sont admises en exonération, les importations de biens dont la valeur globale n’excède pas 10 EUR. Les États membres peuvent admettre en exonération les importations de biens dont la valeur globale est supérieure à 10 EUR, mais n’excède pas 22€

Toutefois, les États membres peuvent exclure de l’exonération prévue au premier alinéa, première phrase, les biens importés dans le cadre d’une vente par correspondance.

Comme elle en a le droit, la France a exclu les biens achetés par correspondance par l’arrêté du 18 juin 2009, rendant tout achat sur ces sites passible de la TVA à 19,6%. Il faut noter que le Royaume Uni n’a pas utilisé cette clause, les Britanniques peuvent donc profiter de cette exonération pour tout achat inférieur à 18 livres (frais de port compris).

Par ailleurs, si l’on peut bénéficier d’une franchise ou d’une absence de droits de douane, il faut ajouter à la TVA un « droit de présentation à la douane » prélevé par l’entreprise de transport. La somme semble forfaitaire et relativement basse pour la Poste (3,15€), elle peut s’avérer beaucoup plus élevé si vous passez par un autre prestataire.

Evidemment, on peut espérer passer entre les gouttes, mais il faut savoir que la Poste a adopté un système de tri des colis « beaucoup plus restrictif » après « rappel à l’ordre » de la douane (d’après mon interlocuteur d’Infos Douane Service) : jusqu’ici, elle ne présentait pas les colis jusqu’à une « valeur assez importante », ce ne sera plus le cas - occasionnant par ailleurs un délai de livraison parfois conséquent.

Terminons par deux cas concrets : pour un Tatsunoko vs Capcom sur Wii commandé à 32,49€ sur Play.com et posté le 27 janvier (!), je viens de recevoir ce matin (!!) un avis de taxation de 9,52€, soit un prix de revient à 42€ et quelque, davantage que le prix conseillé en France (40€) et près de 10€ de plus que le prix affiché par Amazon France (34,29€). 

Par contre, pour Just Dance vous pouvez y aller : vendu 23,50€ à Jersey, même avec 7,75€ de taxe à rajouter, vous ferez encore une belle économie de 10€.

 

Sur Amazon.co.uk, les Britanniques (et seulement eux) peuvent profiter de l’absence de TVA sur certains produits en passant par une « antenne » à Jersey. Pour TheHut c’est moins clair, la société est anglaise mais a trafiqué pour se domicilier en partie à Guernesey ; les produits sont donc taxables à l’arrivée, comme ceux achetés sur TheHut.com et Zavvi.