Il ne faut jamais désespérer de rien. Un fossile ici, un fémur là, des informations qu’on pensait perdues à jamais peuvent toujours resurgir. Il en va de même pour Jambo! Safari (Sega, 1999), ce jeu d’arcade où l’on « attrape humainement des animaux sauvages » (comprendre « au lasso »).
Il est toujours resté un peu obscur, malgré un noyau de fans (dont Michael Jackson) qui lui ont toujours voué un culte. Ancienne journaliste chez Eurogamer, Ellie Gibson ne manque jamais de rappeler son appartenance à ce club et c’est au détour d’une anecdote sur le jeu datée du 14 octobre qu’un mystère que l’on espérait plus voir résolu a été mis au jour.

De prime abord il ne s’agit pourtant que d’un let’s play à simple but illustratif. En fait, il recèle des informations dont l’importance a sans doute échappé à l’essentiel des lecteurs (et probablement à l’auteure elle-même, qui n’a pas dû se charger de la mise en page de son témoignage) : mise en ligne par Conversus W. Vans le 20 juillet 2017, cette vidéo est la première à montrer l’ultime animal à capturer¹, le Phorusrhacos !

Cela peut paraître incroyable pour un jeu sorti en 1999 mais longtemps on ne savait pas grand-chose sur Jambo! Safari dans les pays occidentaux : « il n’y avait aucune FAQ, pas de guide, absolument rien sur le jeu ou sur la manière de faire un bon score ». Même le scénario n’avait pas survécu à la localisation, c’est dire.
Un commentaire posté il y a deux ans résumait bien l’état d’esprit général : « incroyable que quelqu’un se souvienne encore de ce jeu. Avez-vous découvert l’animal teasé après le tutoriel ? On dirait une sorte d’oiseau préhistorique. Aucune idée sur la manière de débloquer ce boss. Ça me rendait fou quand j’étais enfant ». Le commentaire d’Abhored Son pointait aussi vers une image, petite et de mauvaise qualité et qui provenait d’ailleurs d’un article de la manette².

L’animal en question (que je prenais pour un moa), j’en étais personnellement venu à penser qu’il n’était pas capturable : après tout, croiser un tigre à dents de sabre ou un lion blanc était déjà réservé aux meilleurs, alors une sorte de grande autruche, cela semblait moins prestigieux. Peut-être n’avaient-ils pas eu le temps de l’ajouter ? Voilà du moins l’état des connaissances vers 2011, quand j’ai abandonné à la fois tout espoir et mes recherches.

En fait, j’aurais pu combler mes lacunes dès août 2013 : un autre internaute américain, Lawren.cruz.3, avait entrepris la rédaction d’un wikia consacré au jeu et qui évoquait l’animal pour la première fois. Sans guide pour l’aider lui non plus, il en devient le premier occidental à avoir mentionné le nom de l’espèce et les conditions pour le rencontrer, plus d’une douzaine d’années après la commercialisation du jeu !

Les images manquaient cependant toujours, et c’est donc la contribution cruciale de Conversus W. Vans (qui complétera même l’article du Wikia en question de captures d’écran).

Vous vous demandez peut-être comment un bonus aussi important a pu échapper si longtemps aux joueurs de Jambo! Safari. Il faut se souvenir que le jeu est resté cantonné aux salles d’arcade : son portage sur Dreamcast a en effet été annulé, faute de succès en arcade (des dires mêmes de son game designer, Shinichi Ogasawara, c’est « une de ses pires ventes mais celui [qu’il] préfère »).

Les difficultés d’émulation de la Dreamcast et de la carte Naomi (l’équivalent arcade de la console, sur laquelle Jambo! Safari a été développé) n’ont pas aidé non plus, sans parler du niveau de jeu occidental, clairement plus bas qu’au Japon³.

La période a probablement aussi joué : les médias papier n’étaient pas tous passés sur internet, tandis que la vitesse des connexions limitait encore la taille et le nombre des images. Ceci dit, la collecte des informations étant plus évidente maintenant que l’on sait quoi chercher, il s’avère que les réponses à nos interrogations attendaient tranquillement dès 1999 dans les notes d’un blog japonais. Le titre du jeu, mal transcrit, (« JUMBO! SAFARI ») explique sans doute en partie le fait que ces informations n’aient pas été repérées avant.


Rétrospectivement, un autre détail de transcription prend les dimensions d’un véritable symbole : même le jeu écrit mal Phorusrhacos, dans la version internationale (« phororharcos ») comme en japonais (le blog écrit à sa suite « フォロラルコス » et pas « フォルスラコス »).
Comme si ce choix d’un animal à l’orthographe impossible préfigurait déjà les difficultés de communication autour de Jambo! Safari.

Voilà donc, au bout d’un trajet d’une quinzaine d’années, la fin du « long voyage » que promettait le titre (safari en swahili). Même les développeurs n’avaient pas dû prévoir que l’aventure serait si tortueuse. En tout cas, que vous ayez ou pas déjà joué au jeu, vous savez maintenant que la récompense en vaut la peine ; d’ailleurs le club des fans recrute et ne demande qu’à s’agrandir…



¹ Il rejoint ainsi le lion blanc et le smilodon parmi les animaux « légendaires » à capturer à la fin du mode expert. Alors certes le smilodon et le Phorusrhacos n’ont vécu que sur le continent américain durant le Miocène mais ils « font africains » (lire le tweet plus bas). L’idée d’ajouter ces animaux, outre que c’est la base de son scénario, est un ajout formidable à l’ambiance et à l’intérêt du jeu. L’idée elle-même provient sans doute du jeu précédent de l’équipe, The Lost World: Jurassic Park, durant le développement duquel ils « ont envisagé une créature du type du monstre du Loch Ness ».
² La capture d’écran était dans un des posts consacrés au jeu en 2011. Je ne sais plus par contre si je l’ai récupérée lors d’une partie émulée tant bien que mal ou d’une vidéo prise par un autre - et qui aurait disparu de youtube.
³ On peut suivre les progrès de l’auteur du blog japonais (K-Nishi ?) qui en l’espace de deux mois a réussi à obtenir un score largement au-dessus de la limite des 300 000 points, limite qui pose toujours des problèmes aujourd’hui. Le site répertorie également les salles d’arcade tokyoïtes (ainsi que les jeux qu’ils proposent) autour de 1999, ce qui en fait un témoin incroyable d’une époque bien révolue.

Merci Hobes pour le retweet d’où tout est parti. Le titre fait référence à l’expression anglaise « mumbo jumbo», « langage confus, insensé ». Les images proviennent de la vidéo de Conversus W. Vans. Merci à lui, Lawren.cruz.3 et Shinichi Ogasawara pour avoir gentiment répondu à mes demandes. Je me permets d’ailleurs d’inclure les tweets de ce dernier, qui travaille toujours pour Sega au Royaume-Uni :