Naze Ishin’s Creed Shadows
Par Game A le 13 juin 2025 - Ça dénonce grave.9 minutes

J’attendais beaucoup de Yakuza/Like a dragon Ishin (en fait ni plus ni moins que ce que j’en avais entendu : un scénario parmi les meilleurs de la série, des quêtes secondaires bien écrites, un contexte historique passionnant et un voyage dans le temps assuré), et en tout il m’a déçu, du scénario yakuzesque au possible (cette accumulation de retournements sans fin) flanchant dans les dernières heures aux histoires secondaires peu inspirées et répétitives.
Le principe même de faire incarner des personnages historiques par des figures connues de la série est pourtant intéressant, notamment pour la part d’intertextualité et de sous-entendus que cela ajoute au récit (le shinsengumi, cette milice au service du shogun dans ses dernières années, en devient sans le dire un ancêtre des yakuzas), même si c’est plutôt le récit historique qui est plaqué sur un Yakuza que les personnages du jeu qui sont mis au service du récit historique (Ryōma Sakamoto devient un orphelin recueilli par un mentor qui lui met le pied à l’étrier, il revient chez lui après un temps d’absence, la sempiternelle Haruka, le jeu de simulation qui prend un temps fou, les mêmes passages obligés - dire au revoir aux PNJ à la fin du jeu notamment, j’avais parfois l’impression de rejouer à Yakuza 0).
Autre point positif : la représentation du shinsengumi comme groupe de mercenaires tordus et homicides (« un repaire de tueurs »*). En général, la pop culture les présente sous un jour plutôt positif (Kaori Sanada, cœur avec les doigts), il me semble que c’est la première fois qu’il n’y en a vraiment pas un pour sauver l’autre, du moins au début. Dommage que le jeu ne maintienne pas ce point de vue mais finisse insensiblement par les rendre fréquentables et vertueux, au point que Ryōma entame une bromance avec le pire d’entre eux (hatsukazhii, gênant, dira Goro Majima/Okita Sōji).
Le problème maintenant est qu’à multiplier les fausses identités (fréquentes à l’époque chez les personnages qui nous occupent cependant) et à fusionner deux personnages appartenant en vérité à des camps opposés (le jeu fait de Ryōma Sakamoto, partisan du Sonno Joi « révérer l’Empereur, expulser les étrangers », et d’Hajime Saitō, capitaine du shinsengumi, une seule et même personne, sous les traits de Kazuma Kiryu), le jeu finit par des virevoltes qui nuisent à la construction d’ensemble (spoiler, on ne saura rien de l’imposteur tué en introduction).
J’aurais aimé avoir une connaissance historique assez fine de la période pour repérer immédiatement anachronismes et incongruités sans m’imposer 3 bouquins (ce dont je n’ai pas eu le courage), mais, sans parler de la concaténation d’événements disparates sur quatre années, au-delà des cases que le jeu s’évertue à cocher pour satisfaire la culture générale (le jeu explique à sa manière l’alliance Satsuma-Chochu, la rencontre entre Saigo Takamori et son chien, Oryo qui se balade à moitié nue pour empêcher l’assassinat de Ryōma, etc.), il ne manifeste qu’un intérêt de surface pour la période.



Passées les premières quêtes annexes (Ee ja nai ka et un faux Natsume Soseki), on ne trouvera aucune évocation de la vie culturelle d’alors (encore un Yakuza où on ne peut pas rentrer dans un théâtre kabuki). Quant à la vie quotidienne, on n’en apprendra pas davantage non plus, sinon que le natto était trop cher pour la masse des gens, ou bien que les excréments humains étaient revendus comme engrais ( « le natto fait un bon repas matinal si vous avez de la sauce soja pour l’accompagner, mais c’est l’une des spécialités les plus chères de Kyo. […] Je suis allé aux latrines et quelqu’un avait déjà fait son affaire avant moi. L’odeur était ignoble et j’ai dû faire avec. Apparemment le propriétaire arrondit ses fins de mois en vendant nos déjections comme engrais »*) . Encore faut-il fouiller dans le menu pour lire les mémoires glanés un peu partout dans la seconde partie du jeu.
N’imaginez pas faire du tourisme non plus. Magnifique en soirée et la nuit (les bords de la rivière Kamo…), la ville de Kyo est pourtant particulièrement illisible, découpée en quartiers étriqués dont 3 ne sont pas adjacents. Le plus étonnant est la manière dont le jeu vous refuse beaucoup des lieux qui font les délices du surtourisme d’aujourd’hui ; on peut aller seulement deux fois au Kiyomizu-dera, une fois en cinématique dans une pagode et ce sera tout.
Qui eut cru aussi qu’un Yakuza se montre prude : le jeu nous prive également du quartier des plaisirs de la ville (Shimabara) pour se contenter d’un bout de rue de l’hanami de Gion et d’un seul établissement avec une seule courtisane (le jeu évoque une fois Yoshiwara à Edo, jamais le quartier réservé de la ville). Même les touristes chinois peuvent davantage s’y aventurer de nos jours que nous dans le jeu.
On n’ira pas non plus au-delà des fortifications du palais de l’empereur, dont le jeu parle beaucoup, forcément, mais qu’il ne montre jamais. Barthes a écrit ce truc aussi connu que bof sur le « centre vide » de Tokyo (comprendre le palais impérial et ses dépendances). L’existence d’un centre vide au niveau du récit japonais est par contre indéniable : l’empereur, on peut en parler (en termes déférents) mais jamais le représenter (ni sa famille, ni sa résidence). Par contre, le shogun, pas de souci, c’est comme tant de fictions japonaises celui qui prend les coups et le mauvais rôle.
On me reprochera peut-être de prendre un Yakuza pour un Assassin’s Creed. Mais la faute à qui : avec ses centaines de perles, billets, mémoires au sol, les 70 missions annexes qui se déclenchent parfois par grappe, les deux (!) listes aux centaines d’objectifs facultatifs et son conspirationnisme ambiant, n’est-ce pas plutôt Yakuza Ishin qui se prend pour un jeu Ubisoft ? Sega n’a malheureusement pas copié son modèle jusqu’à embaucher des conseillers historiques (rien vu de tel en tout cas parmi les centaines de personnes créditées à la fin du jeu), et ce manque de caution savante fragilise le plaisir du voyage dans le temps : rien ne paraît authentique.
La manière dont Ishin maltraite les figures historiques japonaises sans provoquer la moindre secousse politique éclaire aussi les scandales qui ont accompagné Assassin’s Creed Shadows au Japon : le problème de ce dernier n’était pas d’avoir fait mumuse avec l’esclave/serviteur africain de Nobunaga, c’était que cette liberté provienne de développeurs étrangers. (Concernant le saccages de monuments historiques privés, cela ne devrait outrer que les ayants droits ; en ce qui me concerne, n’importe qui peut bien faire ce qu’il veut d’une tour Eiffel virtuelle — ou de l’Arc de Triomphe en vrai). Assassin’s Creed Shadows a été instrumentalisé par la nébuleuse droitière japonaise, Ishin a été épargné parce que japonais.
Enfin pas seulement : l’autre raison, c’est qu’il charrie la sempiternelle diatribe du danger occidental (on y a droit à tout bout de champ, même si moult quêtes secondaires illustrent la sincérité des occidentaux sur place) et, en parallèle, de l’exception culturelle japonaise.

Car même si Sakamoto/Kiryu défend à plusieurs reprises des ressortissants étrangers dans le jeu (qui, disons-le tout net, n’auraient jamais pu se trouver à Kyoto, celle-ci n’appartenant pas aux 7 villes ouvertes à leur présence), sans d’ailleurs prendre vraiment partie (à rebours du Ryōma historique, à l’alignement on ne peut plus clair au début de la période, avant de changer son fusil d’épaule pour acheter des armes aux occidentaux et développer la marine militaire sur le modèle occidental), les PNJ parlent pour lui. Même un professeur incapable de situer sur une carte** Japon, Chine et Royaume-Uni, a un avis tranché (ce qui ne l’empêchera pas de vous offrir du tissu européen…) :


À chacun.e ses fixettes, moi j’ai envie de croire avec Frédéric Laroche (Bakumatsu la fin des Shogun: Le temps des orages et des passions au Japon de 1853 à 1878, 2018) que « l’impact de l’arrivée des étrangers au Japon en 1853 est assez superficiel et ne travaille pas profondément la société japonaise comme ce put être le cas en 1792 en France avec la guerre contre les puissances ou en 1920 pour l’Allemagne avec la Révolution Russe ». Soulignons aussi que, face aux samouraïs ronchons, une partie significative de la population s’est au contraire enthousiasmé (c’est dans un mémoire du jeu, la « lettre d’une tavernière d’Uraga »*).
Il faudrait d’ailleurs chercher si des documents occidentaux attestant d’une volonté de coloniser le Japon à court, moyen ou long terme existent vraiment. Parce qu’on en entend tout le temps parler, mais j’ai des doutes sur la capacité de projection d’une armée européenne ou américaine pour envahir un archipel aussi lointain (même la Russie rencontre des problèmes logistiques durant la guerre russo-japonaise en 1904-1905). En outre, les traités de commerce inéquitables vis-à-vis du Japon mais relativement égaux entre les puissances coloniales pour éviter les jalousies ne suffisaient-t-ils pas ? On me dira ils l’ont bien fait ailleurs en Asie, en Chine surtout, mais justement ils étaient déjà occupés ailleurs et le Japon n’offrait de toute façon pas les mêmes perspectives d’enrichissement, une fois passée l’aubaine des différences de taux de change.
Les membres du shinsengumi, présentés au début comme des terroristes d’État (les « shishi loyalistes » du camp d’en face n’étaient pas meilleurs, ils ont quand même foutu le feu à la ville en 1864 — dans le jeu c’est le shinsengumi qui s’en charge, ce jeu n’a aucun sens historique) finissent en agents du changement politique, alors qu’ils n’en ont été que les dindons de la farce : le jeu s’arrête évidemment sur ces promesses d’unité, ignorant la bataille de Toba-Fushimi, la guerre du Boshin, le retournement de Saigō Takamori, etc.
Tout ça promet évidemment pour le prochain Stranger than paradise, qui se déroulera durant deux Guerres mondiales. Quel discours tiendra-t-il ? Que va-t-il omettre ? Qui va-t-il accuser ? J’ai moyennement hâte d’en avoir le cœur net.
* Citations tirées des mémoires récupérables dans le jeu ; dans l’ordre Journal abandonné d’un membre du Shinsen-gumi, Journal d’une maison mitoyenne d’Edo, matin et lettre d’une tavernière d’Uraga : « Maintenant que j’y pense, tu voulais en savoir plus sur les navires noirs, non ? Bon sang, quelle année bouleversante! Je me rappelle du jour où ils sont arrivés […] La ville était morte de peur ! Il nous a fallu un moment pour réaliser que les canons n’étaient chargés que pour le bruit et qu’on ne nous attaquait pas vraiment. mais ca nous a un peu calmés. Puis quelqu’un a eu l’excellente idée de sortir le saké, en pensant qu’il s’agissait de feux d’artifice, et bientôt tous les hommes du coin festoyaient dehors ! Dans les jours qui ont suivi, des hommes sont arrivés de tout Edo pour voir ce qui se passait. (Je te le dis, les garçons ne grandissent jamais. Au lieu de s’émerveiller devant le spectacle, essayez plutôt d’aider à la maison !) […] La deuxième fois que les navires noirs sont venus sur nos côtes, je m’attendais à ce qu’ils ouvrent le feu et nous anéantissent tous, mais encore une fois, ils ne l’ont pas fait, et l’air est devenu indûment festif: certains louaient des télescopes et même des bateaux pour pouvoir observer ces choses effroyables de près ! »
** Carte d’ailleurs étonnamment mauvaise, je vous laisse juger :

Ci dessous, une version de 1834 d’une carte d’abord produite en 1785 par Nagakubo Sekisui (sur la base de cartes de Matteo Ricci) :

Commentaires
Il y a longtemps de cela, lors d’une discussion sur les kimonos en cours de Japonais, je demandais à ma prof’ si l’on pouvait trouver des kimonos du shinsengumi. Réponse sans équivoque de sa part: “Mais enfin, c’étaient les méchants!”.
Je repense encore à sa mine déconfite lorsque je lui ai répondu: “Oui mais leur kimono est trop stylé…”
Merci pour le commentaire !
C’est décidemment toujours et encore les vainqueurs qui écrivent l’histoire (autre lien entre les perdants du shinsen-gumi et les losers magnifiques que sont les “Yakuzas et leur code d’honneur dans un monde qui change” des histoires « romantisées » que sont aussi les Like a dragon).
Et oui le kimono est top ! (ce qui me fait penser que dans le film When the Last Sword Is Drawn (qui suit Hajime Saito et un autre membre qui n’apparaît pas dans Ishin, Kanichiro Yoshimura) leur tenue remplace le bleu par le rouge, j’ai oublié de chercher si c’était une invention ou si c’était également attesté).
J’ai l’impression que c’est un cumul de facteurs qui a donné naissance à la polémique entourant le dernier Assassin’s creed, à savoir un personnage afro-descendant, de la destruction de temples japonais et le fait que ce soit un jeu développé en dehors du Japon. Koei nous a habitué à jouer avec des figures nationales, au point que Nobunaga pourrait apparaître dans n’importe quel boys love sans que ça ne choque personne. Idem pour Ryoma Sakamoto, personnage sur lequel on peut projeter à peu près tout et n’importe quoi (le monsieur ayant lui-même accompli un grand écart idéologique de son vivant). Par ailleurs, l’accueil positif de Ghost of Tsushima a prouvé que les japonais n’était pas nécessairement réticents à l’idée que des étrangers revisitent leur histoire. Cela dit, il n’est pas exclu que les nationalistes japonais soient devenus encore plus nationalistes en l’espace de 4-5 ans, sachant que c’est un phénomène qui touche un paquet d’autres pays.
Merci !
Oui, je suis d’accord pour le cumul de facteurs, et le surplus de tensions ces dernières années avec le surtourisme doit rendre plus sensible et faciliter les diatribes opportunistes.
Mais c’est marrant parce qu’Ishin, pour peu qu’il retranscrive bien les flipettes de la droite nationaliste de l’époque, montre à quel point certains sont toujours en PLS avec les étrangers.
J’adore toujours autant tes articles, merci de continuer d’en écrire :).