Un couple, uni par la main et la DS, se promène avec leur animal domestique (un caniche croisé bichon femelle, à la couleur du collier). L’animal se déplace sans laisse : ses maîtres ne craignent ni la circulation automobile, ni l’irruption d’un chien agressif. L’homme sourit, la femme rayonne. Ils sont beaux comme une réclame Monoprix ; tout semble docile, sous contrôle. À un détail près (pas la bizarre traînée derrière la chienne, un autre.)

Comme c’est une publicité, la perfection de cet instant est en partie conditionnée par l’utilisation du jeu DS et de ses podomètres (des “témoins” dans le charabia Nintendo). Ces podomètres justement, on ne peut pas les rater : celui du bonhomme est placé au centre de l’image, découpant un rectangle blanc sur sa ceinture de cuir. Comme le témoin de la jeune femme, sa couleur tranche avec celle de son support. 
À cause de leur emplacement sur l’image et de leur couleur, on ne voit qu’eux. Un envahissant appareil de trois vignettes redouble pourtant encore cette voyante mise en scène. On ne peut plus les manquer, ce qui est sans doute l’exact opposé de ce que devrait dire la publicité : le podomètre, même rebaptisé par Nintendo, est tout sauf un objet qu’on voudrait ostentatoire. Le spot vidéo insiste justement sur sa discrétion une fois rangé dans une poche de chemise ou dans un sac. 

 

Cette publicité vantant « Marche avec moi » (Nintendo, DS) poursuit ainsi un objectif contradictoire : montrer à quel point le témoin d’activité est un objet discret. C’était un exercice périlleux ; c’est un échec admirablement complet.


Trop mignons, les deux amants ont choisi des podomètres de la même couleur (20€ supplémentaires pour celui du bonhomme - le jeu est fourni avec un podomètre noir et un autre blanc-gris). L’amour c’est aussi les détails.

Que raconte-t-elle par ailleurs, cette publicité ? Presque rien. L’homme est ce que la presse féminine attend de lui : beau, expansif et ouvert (son sourire, son mouvement de torse quand il marche qui dévoile la doublure de son caban). à l’opposé, la jeune fille reste sur son quant-à-soi et se concentre sur la destination. Le bras droit serré et refermé, la blouse zippée jusqu’en haut, une étole qui lui protège le cou, elle camoufle mal un petit côté inadapté de prof de lettres.

À quoi pense-t-elle, cette jeune urbaine ? Mystère. Que font-ils vraiment ? Le sérieux de la femme, son look soigneux cadrent peu avec la promenade quotidienne du chien, ses habits sont peu adaptées à une activité sportive. Mais à quoi bon essayer de faire parler une publicité qui se donne finalement plus de mal à cacher qu’à révéler ?

Comme un poteau au milieu de la figure

Regardez autour d’eux. Essayez de lire, d’entendre la ville autour d’eux. Jamais une ville n’aura si peu parlé : on devine quelques silhouettes (une ? deux ?), on distingue quelques points lumineux mais rien de signifiant. Les baies vitrées ne montrent rien, aucune enseigne ne les surmonte, les autocollants sur le poteau sont illisibles.

 

La seule chose que proclame cette ville, c’est son artificialité, son apparence de vie sous le joug de la composition. L’emplacement du poteau, équilibrant merveilleusement le pilier blanc de l’immeuble, semble trop beau pour être vrai. Comme sa jonction avec le béton du trottoir, trop nette. Jusqu’au vert des arbres qui semble trop vif, trop couvrant.

Mais la ville a beau être muselée, mutilée, elle se défend. Les publicitaires ont cherché à créer une chimère urbaine, la ville la plus générique possible, mais là aussi ils ont échoué : l’identité d’une ville s’est réfugiée dans 25 centimètres de mobilier urbain : toute une ville dans une grille d’arbre.

Nous étions donc en France.