Oui Street Fighter IV (SF4) est beau, bien pensé, une vraie claque. À force d’y jouer, même la chanson d’Exile finit par être entrainante, c’est dire.
Une seule chose ne passe vraiment pas en fait : les décors.

Outre leur faible nombre (17 dont un décor vide et 4 variations), le plus décevant vient de leur impersonnalité.

À l’évidence il s’agit d’un mauvais choix des développeurs plutôt qu’un défaut de conception : ils ont choisi de partager les décors de Street Fighter IV entre tous les personnages au lieu d’en créer spécialement un par personnage.
On voit les avantages de la démarche : en désolidarisant personnages et décors (sans parler des musiques), on peut baisser le nombre de ces derniers. Cette solution de facilité a dû soulager pas mal de graphistes quand les jeux de baston surenchérissaient constamment dans le nombre de personnages jouables.

Sauf que la flemme a un prix : elle privilégie exclusivement la fonction esthétique du décor.

Dans tous les Street Fighter jusque là (SF Alpha, qui déclinait deux fois le même stage, et SF The Movie exceptés), chaque personnage avait son décor et sa musique propres. La pratique semblait si évidente que, dans SF2, les trois avaient été liés “organiquement” : la vitesse d’exécution des musiques changeait selon la barre de vie de l’adversaire (c’était même assez pénible), et certaines animations du décor ne s’enclenchaient qu’après le match (dans le stage de Fei-Long notamment).

Les développeurs avaient saisi qu’un décor et sa musique, bien loin de “seulement” donner un cadre et une cadence à l’action, étoffaient la personnalité du personnage auxquels ils étaient exclusivement destinés. C’était d’autant plus nécessaire que les scénarios étaient peu mis en valeur (ou idiots) et que les catchphrases étaient minimales (une seule par personnage dans SF2, et même aucune dans SF1).
Je dis “étoffer”, cela reste bien sûr souvent limité : le décor et la musique fournissent ainsi d’abord des informations redondantes, connues par ailleurs (ne serait-ce que par les autocollants sur la borne d’arcade).

En premier lieu la nationalité de l’adversaire, symbolisée par quelques monuments célèbres et au prix de quelques stéréotypes plus ou moins justes (vélos à Pékin, gondoles à Gênes - sic). L’utilisation de ces symboles dépasse cependant la seule indication géographique.

Par exemple Mike, de Street Fighter 1. En rouge et bleu devant le mémorial national du mont Rushmore, sa psychologie s’enrobe irrésistiblement d’une coloration patriotique, voire d’un désir de rêve américain et d’aspiration sociale.
Inversement, la dimension de racaille minable de Birdie n’apparait nulle part mieux que dans son décor, une sordide latrine de pub (Street Fighter Alpha 2, image).
Niveau de Birdie

Le décor peut aussi informer sur la profession de l’adversaire : ouvrier pour Zangief, police pour Chun-Li. Pour cette dernière, la présence (jusque dans la musique) des klaxons de vélos modère sa fonction d’agent d’interpol indiquée par le scénario : plus prosaïquement, elle semble d’abord faire la circulation (on dira qu’il s’agit d’une couverture).


Niveau de Chun-Li, Street Fighter Alpha 2.

Dans le cas de Zangief, il apporte également un témoignage assez différent sur ses conditions de vie et d’entraînement. Avant de catcher des ours, l’imbécile version officielle, il exploite d’abord sa force dans une aciérie (thème commun de ses décors dans SF2, SF Alpha 2 et 3) ; on y est d’ailleurs loin du sacrifice héroïque d’un Stakhanov : à l’arrière plan, alcool, violence et paresse y semblent le lieu commun.

Dernier indice, l’origine sociale, qui se décline de la plus grande pauvreté (Blanka, SF2) à la plus grande aisance (le yacht dans le niveau de Ken, dans Super Street Fighter II - la précédente version figurait un steamboat défraîchi).

Cette fonction identitaire du décor avait un autre avantage, narratif celui-là : le décor motivait le combat, ni plus ni moins, et sans recourir à l’abracadabrant appareil scénaristique officiel (untel parcourt le monde pour venger son père/son ami/une défaite etc.). En effet, le lien très fort entre décor et personnage indiquait clairement qu’on entrait sur le territoire de l’adversaire et qu’en soi il s’agissait d’une agression. (La fin de la liaison entre décor et personnage me semble à ce propos un symbole très fort de la mondialisation. À creuser.) 

Certains décors de Street Fighter IV sont indéniablement jolis, mais le problème reste qu’ils ne sont que cela :



Celui-là est très beau et on se dit à première vue qu’il est parfait pour Sagat. Sauf que d’après certains globe-trotters (merci Rafchan >__<), ce n’est pas en Thaïlande mais au Vietnam. Raté.
Si certains décors se rapportent manifestement à des personnages en particulier (Chine pour Chun-Li, Las-Vegas pour le boxeur, etc.), il s’agit davantage de références aux précédents décors qu’aux personnages à qui ils étaient destinés. Pour preuve la version de jour et de nuit du niveau de la jungle : laquelle correspond à Blanka ? À qui correspondrait la deuxième ?

À vrai dire, le problème n’est pas aussi crucial pour Blanka que pour les nouveaux personnages : si le monstre vert est déjà ancré dans l’affection des joueurs, ce n’est pas le cas des nouveaux qui souffriront de cette réduction du décor à une simple carte postale (j’ai quelques doutes sur la durée de vie du Français amnésique…). À l’exception de Seth qui a le sien… mais c’est un autre problème.