La rom de Virtua Fighter arcade est un palimpseste fascinant, dans lequel subsistent de nombreuses couches d’états du jeu antérieurs à sa commercialisation. Il y a quelques années Mountainmanjed avait non seulement déniché plusieurs personnages abandonnés mais également des fichiers sonores inutilisés. Parmi eux, on trouve les noms digitalisés des techniques de combat, prévus sans doute pour être utilisés en cours de match ou durant le replay en fin du round, à la manière des combats de sumo qui mettent en avant la technique décisive.

On retrouve ainsi le moment où les personnages partageaient une panoplie de coups moins étendue et plus générique (je pense au fait que le Seoi Nage de Kage-Maru se nomme désormais Taitou dans le jeu final, et de même pour toutes les techniques).  


Sur cette feuille d’instructions utilisée lors d’un test du jeu finalisé à 50% — remarquez le “s” au titre du jeu —, tous les personnages jouables avaient un Seoi Nage — 2e technique en partant du bas à gauche.

La liste des techniques laisse également penser que Wolf a eu une palette de prises plus étendue que celle que l’on connaît (particulièrement sommaire, Jeffry ayant davantage de chopes) ou bien qu’un combattant type vale tudo /combat mixte spécialisé dans les prises de soumission vénères (Octopus Hold, Stretch Plum, Cobra Twist) avait été prévu². S’agirait-il du « Fighter K » ? (K pour désigner le 11e personnage modélisé, à partir de Wolf dans ce cas précis d’après « Nakajima d’AM2 Research »).

Un système basé sur les soumissions aurait-il été envisagé pour gagner un round ? (Je soupçonne alors qu’il a été abandonné pour ne pas ralentir le rythme des matches.) 

Le nom qui me semblait le plus mystérieux était cependant le pachi pachi punch.

Il s’avère que la technique existe, mais qu’elle n’a rien de martiale : c’était un numéro célèbre de Shimaki Joji (1944-2016), un comédien de la pléthorique troupe du Yoshimoto Shinkigeki (« la comédie du nouveau type de Yoshimoto »)*, durant lequel il se giflait le torse (pachi pachi est l’onomatopée des applaudissements).

Ce n’est pas la première fois que lui et sa troupe avaient l’honneur d’un jeu vidéo : beaucoup de titres sont sortis sur famicom, mais celui qui fait les beaux jours du youtube retrogaming est le Bakushō : Yoshimoto no Shinkigeki (PC Engine CD, 1994). Sur la jaquette du jeu, le gars torse nu avec les cendriers, un autre de ses numéros phares (le « pokopoko head », qui peut aussi être réalisé avec une poubelle en aluminium), c’est lui.

On pourra se demander longtemps à quoi aurait ressemblé pareille technique dans un jeu aussi sérieux que Virtua Fighter (était-ce une provocation qui retire de la vie au joueur ? à l’adversaire ?).

 

 

* Le « Shinkigeki » fêtant ses 65 ans sous ce nom cette année, cette « comédie » n’est plus si neuve, surtout au rythme des représentations (tous les jours de l’année) et des nouvelles pièces hebdomadaires (!) qui alimentent trois salles de théâtres du Kansai et une émission télévisée. De même que les pièces réemploient les mêmes situations, sacrifiant le fan service à la vraisemblance, les acteurs sont souvent cantonnés dans un type de personnage. Shimaki Joji campait ainsi souvent « un yakuza ou un collecteur de dettes, enchaînant sans cesse les blagues, mais qui, au final, est roulé et doit s’enfuir. »

La Yoshimoto Shinkigeki appartient à l’entreprise tentaculaire Yoshimoto Kogyo, agence de communication détenant le quasi-monopole médiatique du divertissement au Japon, et qui s’est fait connaître jusqu’à nous pour de mauvaises raisons ces dernières années : il a été découvert qu’elle avait organisé un système de touche-touche avec des yakuzas et contre des personnes non consentantes.

Les documents préparatoires et les citations de Nakajima viennent toujours du CD Virtua Fighter the Beginning, la photographie de Shimaki est prise du site Oricon, celle du jeu de mobygames. On trouve sur tiktok un extrait assez long où Shimaki propose ses trois numéros fétiches.

² Liste des voix digitalisées de prises dans la rom du jeu : Back Drop, Body Lift, Body Slam, Brain Buster, Cobra Twist, DDT, Drop Kick, Elbow Attack, Elbow Drop, Face Crusher, Flip Kick, Flying Bomber, Flying Foot Hold, Flying Kick, Flying Knuckle, Front Suplex, German Suplex Hold, Giant Swing, Guillotine Drop, High Kick, Hook, Ippon Seoi, Jab, Jump Kick, Kangaroo Kick, Kick, Knee Attack, Knuckle Bomber, Low Kick, Neckbreaker Drop, Northern Light Bomb, Octopus Hold, Pachi Pachi Punch, Power Bomb, Power Slam, PPK, PPPK, Punch, Rear Kick, Rock Drop, Rolling Sole Butt, Seoi Nage, Shower Kick, Sleeper Hold, Sole Butt, Splash Mountain, Straight, Stretch Plum, Surface Kick, Tai Otoshi, Tomoe Nage, Turnaround Kick, Turning Kick, Uppercut, Ura Nage.

En considérant plusieurs de ces prises, on croit pouvoir trouver l’influence du puroresu japonais de type shoot (Seichii Ishii était fan de la RINGS, une fédération née en 1991).