« MICHAEL BAY VA RÉALISER ET PRODUIRE UNE ADAPTATION DU OUTRUN DE SEGA POUR UNIVERSAL PICTURES, AVEC SYDNEY SWEENEY À LA PRODUCTION. » (Sega.co.jp, 22 avril 2025)

Il y a parfois des informations dont on ne sait que faire. On pourra éventuellement s’amuser qu’un jeu inspiré d’un film finisse à son tour sur grand écran mais considérant que le film en question était particulièrement mauvais (The Cannonball), les voyants sont aussi rouges que la carrosserie de la Ferrari. 

Que le jeu n’ait pas été entaché par son origine cinématographique n’est d’ailleurs qu’un des petits miracles qui font d’Outrun cette perle incroyable : sa musique géniale (même plus ou moins plagiée), la réussite des panoramas européens, l’accent porté sur la conduite et pas sur la course… L’alchimie était si complexe que Sega, avec ou sans le démiurge Yu Suzuki aux commandes, n’aura jamais vraiment réussi à reproduire la formule, ni même à la comprendre, à voir la manière dont sa suite immédiate, Turbo Outrun, échouait en tout à prolonger la magie de l’original (Outrunners est l’exception qui confirme la règle). On peine donc à croire que Michael Bay sache transposer la martingale au cinéma (« miracles don’t happen every day, you see » chantait Donna Burke dans Outrun 2).

Bien que le communiqué officiel déclare inscrire le futur film dans le sillage des « succès d’adaptations de jeux vidéo en 2023, The Super Mario Bros. Movie et Five Nights at Freddy’s », je doute d’autant plus de l’intérêt pécuniaire de l’affaire que je devrais me sentir concerné : Outrun est un de mes jeux préférés depuis plus mon plus jeune âge, au point d’acheter le vinyle de l’OST (je n’ai pas de platine pour l’écouter), or jamais je ne dépenserai un sou pour le voir au cinéma (voir quoi de toute façon ? la série n’a ni personnages identifiés, ni scénario.)

Michael Bay échouera de toute façon à en faire quelque chose de fidèle et de bien. J’insiste sur le « et », car si le film est fidèle, ça ne pourra pas être bien : la seule chose que mettra en évidence cette adaptation, c’est le discours réactionnaire que le jeu trimballait depuis le départ et que les fanatiques dans mon genre n’ont au mieux pas vu ou, pire, refusé de voir.

Il y avait bien sûr le statut d’objet de la femme blonde à côté du conducteur, réduite à un signe extérieur de richesse comparable à la Testarossa custom décapotable. Il y avait aussi la vénalité et la superficialité que certaines fins lui prêtaient, encore plus insistante dans Turbo Outrun ou Outrun 2

Je n’étais pas le seul j’imagine à ne pas y adhérer, pas plus qu’à l’insolence de l’étalage de la richesse, au fétichisme d’une marque automobile, et jusqu’au concept même de cannonball, ces rallyes illégaux de riches oisifs méprisant tous les radars à bord de leurs voitures surpuissantes (à choisir je préfère le go-fast, par solidarité de travailleur et proximité de classe) ; je me focalisais plutôt sur le côté aventure, la simulation de conduite le long des vagues, la sensibilité au paysage, le plaisir du contre-la-montre. De ce point de vue, mon adoration d’Outrun a donc toujours été une sorte de compromission, négligeant ce qui ne me convenait pas pour me concentrer sur le; reste.

Une chose pourtant ne m’avait pas choqué des années durant, mais a éclaté à ma conscience avec l’annonce d’un film en prise de vues réelles : Outrun s’inscrivait dans un monde négligeant toute interrogation sur l’épuisement des ressources, l’artificialisation du milieu et la pollution dus à notre mode de vie en général. Pour autant, tout était exposé en plein jour, dès le titre même du jeu (to outrun, ce n’était pas seulement se dépasser ou doubler les autres conducteurs, c’était aussi outrepasser les limites planétaires). Rouler à 294 km/h grâce à un moteur de 400 chevaux et quelque, les pneus en constant dérapage sur une bande d’asphalte qui saigne l’environnement n’a jamais été vertueux ; ça en ait même incroyable aujourd’hui qu’un tel tableau ait pu paraître désirable… 

Alors comment ne pas penser qu’adapter Outrun aujourd’hui est, sous couvert de fidélité à un monument de pop culture, un moyen de tenir tout à la fois un discours rétrograde sur le statut social de la femme, sur la place de la voiture, ou sur la durabilité du mode de vie moderne ?

Au vu de ses précédents films, Michael Bay ajoutera sans doute quelques accents patriotiques qui n’étaient pas dans le jeu original, du moins explicitement. Comme on a été happé par les ambitions et le cadre de valeurs de Yu Suzuki à l’époque*, il imposera ses marottes. Mais il n’aura pas à forcer l’œuvre pour y trouver les accents trumpistes qu’il cherche sans doute : l’essentiel d’un programme politique lamentable attendait patiemment son heure depuis 1986.

On peut donc préparer le popcorn. Pas pour voir le film, mais dans l’éventualité que l’industrie du cinéma poursuive la récupération du divertissement japonais des années 80-début 90 : avis aux réacs et anti-wokistes, il y trouveront des trésors pour relayer xénophobie, racisme, banalisation du harcèlement voire pire.

 

 

* Quelques années plus tard, Yu Suzuki collectionnera les voitures de course (Ferrari 348, 355, Lamborghini Diablo 6.0, Jaguar). Outrun est donc aussi l’annonce d’un programme et l’expression d’une ambition de réussite sociale en pleine bulle japonaise. Onemillionpower a traduit une interview assez géniale où Daichi Katagiri se rappelle avoir été passager d’une de ces voitures, Yu Suzuki au volant, lors d’une course sur les autoroutes tokyoïtes. Namie Amuro à fond dans les hauts parleurs. Je pose également ici une interview de Youji Ishii que j’avais manquée en 2022, enfin une autre voix que Suzuki pour raconter le développement d’Outrun, et notamment le voyage de préparation en Europe (trois semaines entre avril et mai 86, de Francfort à Rome, en passant par Chamonix, Nice et Monaco). Un article de Reassembler récapitule ce que l’on sait sur l’équipe qui a créé le jeu avant que Suzuki les cancelle pour s’attribuer tous les mérites.

L’illustration provient du site Death generator.