mother_700.jpg« Nowhere Islands ». Si le jeu commence dans une utopie au sens propre, ça ne dure pas (image).

Après avoir lu et colporté tant de choses élogieuses sur Shigesato Itoi, scénariste de Mother 3, j’avais un a priori très positif sur ce jeu tout juste traduit par des bénévoles. Leur passion avait achevé de me convaincre : Mother 3 devait être formidable. Comme quoi il faut toujours critiquer ses sources.

L’entrée dans le jeu est plutôt fastidieuse : un menu permet de renommer les quatre personnages principaux et membres d’une même famille, leur chien et d’indiquer notre plat préféré (ben oui). Ce n’est que courtoisie de la part de Shigesato Itoi car il ne nous laissera plus personnaliser grand-chose et c’est, au contraire, sa grande maîtrise de la narration qui étonne.

Maîtrise du rythme du récit d’abord : on ne peut pas, par exemple, abréger les nombreuses cinématiques, parfois longues, du jeu. Parfois ça s’éternise (surtout celles qui précédent un boss que l’on ne parvient pas à battre), parfois c’est simplement magistral.
Maîtrise aussi dans l’ordre et la continuité de ce récit : les flashbacks se succèdent, réussis et touchants, certains chapitres de l’histoire revenant en arrière en alternant les personnages jouables. Itoi ose même une ellipse temporelle au gros tiers du jeu vraiment pas mal du tout.

La confiance et l’expérience du scénariste sont encore éclatants lorsqu’il rompt le quatrième mur, certains personnages s’adressant directement au joueur au tout début du jeu :

Please tell me your name.
Yes, the name of the person playing this game. [..]
You must forget…
- Premier chapitre du jeu, dans une église.

Itoi s’amuse aussi avec quelques topos du jeu de rôle (RPG) : alors que le jeu commence avec le lever du personnage principal, beau cliché comme Kwyxz le relève justement, la mère demande à son fils : « Are you planning to play in pajamas ? ».

Itoi sait créer de la connivence avec le joueur, il s’amuse avec lui et ne s’interdit rien, même le grotesque (voir la fin de la section « Naming a character… » dans cette interview en anglais) ou le graveleux, comme lors de l’initiation du personnage principal (image) :


Just endure it for a little bit ! Don’t struggle ! Just a little more ! +18

Il révèle enfin toute son expérience d’écrivain dans la construction de personnages bizarres, attachants, aux réactions très humaines.

Rarement enfin des héros auront été si mal traités par un scénariste de RPG : par exemple, non seulement Duster boite, mais il est constamment rabaissé par son père :

Le très jeune personnage principal du jeu, Lucas, apparaît ainsi sous un éclairage nouveau : en l’incluant parmi des personnages déchus, bizarres ou asservis (le singe Salsa), Itoi renouvelle un des plus gros clichés du RPG japonais et du récit d’apprentissage : le “héros” n’en est pas justement un, handicapé par son jeune âge comme Duster l’est par sa patte folle.

Pourtant, après une vingtaine d’heures passées sur le jeu (je l’ai abandonné à cause d’un trio de bosses infernaux), mon avis est très réservé : malgré les trésors d’intelligence déployés par Itoi pour en faire un jeu unique, Mother 3 se révèle à mesure des heures de plus en plus banal : certains chapitres (dont l’avant dernier, le 7) n’en finissent plus de durer, lestés par des combats infinis ou des distances incroyablement longues à parcourir.

De plus en plus longs à cause de l’endurance des ennemis, les combats détruisent le fragile édifice de la narration : les heures passent sans événement ou dialogue d’importance et finalement la psychologie, les motivations et l’intérêt des personnages s’effacent. Au lieu de l’apothéose que ces combats successifs devraient préparer ne se diffuse qu’un sévère ennui.

Mais le plus grave est d’avoir finalement glissé sur la plus grosse banane du RPG : le récit commence avec des personnages bizarres et mal dégrossis et finit par l’accomplissement épique d’un destin. Entre l’épisode familial dramatique (mais pourtant anecdotique : c’est la faute à pas de chance) et le sempiternel combat ontologique entre le bien et le mal, où un héros particulier était attendu depuis des lustres (coïncidence incroyable), quelque chose ne passe pas.

Voulant articuler le contingent et le nécessaire, faire évoluer la petite histoire en grande Histoire, Shigesato Itoi rate son coup. Malheureusement la leçon est au prix de l’originalité du jeu.