Bonne mère ?
Par Game A le 8 janvier 2009 - Now playing.4 minutes
Après avoir lu et colporté tant de choses élogieuses sur Shigesato Itoi, scénariste de Mother 3, j’avais un a priori très positif sur ce jeu tout juste traduit par des bénévoles. Leur passion avait achevé de me convaincre : Mother 3 devait être formidable. Comme quoi il faut toujours critiquer ses sources.
L’entrée dans le jeu est plutôt fastidieuse : un menu permet de renommer les quatre personnages principaux et membres d’une même famille, leur chien et d’indiquer notre plat préféré (ben oui). Ce n’est que courtoisie de la part de Shigesato Itoi car il ne nous laissera plus personnaliser grand-chose et c’est, au contraire, sa grande maîtrise de la narration qui étonne.
Maîtrise du rythme du récit d’abord : on ne peut pas, par exemple, abréger les nombreuses cinématiques, parfois longues, du jeu. Parfois ça s’éternise (surtout celles qui précédent un boss que l’on ne parvient pas à battre), parfois c’est simplement magistral.
Maîtrise aussi dans l’ordre et la continuité de ce récit : les flashbacks se succèdent, réussis et touchants, certains chapitres de l’histoire revenant en arrière en alternant les personnages jouables. Itoi ose même une ellipse temporelle au gros tiers du jeu vraiment pas mal du tout.
La confiance et l’expérience du scénariste sont encore éclatants lorsqu’il rompt le quatrième mur, certains personnages s’adressant directement au joueur au tout début du jeu :
Please tell me your name.
Yes, the name of the person playing this game. [..]
You must forget…
- Premier chapitre du jeu, dans une église.
Itoi s’amuse aussi avec quelques topos du jeu de rôle (RPG) : alors que le jeu commence avec le lever du personnage principal, beau cliché comme Kwyxz le relève justement, la mère demande à son fils : « Are you planning to play in pajamas ? ».
Itoi sait créer de la connivence avec le joueur, il s’amuse avec lui et ne s’interdit rien, même le grotesque (voir la fin de la section « Naming a character… » dans cette interview en anglais) ou le graveleux, comme lors de l’initiation du personnage principal (image) :
Just endure it for a little bit ! Don’t struggle ! Just a little more ! +18
Il révèle enfin toute son expérience d’écrivain dans la construction de personnages bizarres, attachants, aux réactions très humaines.
Rarement enfin des héros auront été si mal traités par un scénariste de RPG : par exemple, non seulement Duster boite, mais il est constamment rabaissé par son père :
Le très jeune personnage principal du jeu, Lucas, apparaît ainsi sous un éclairage nouveau : en l’incluant parmi des personnages déchus, bizarres ou asservis (le singe Salsa), Itoi renouvelle un des plus gros clichés du RPG japonais et du récit d’apprentissage : le “héros” n’en est pas justement un, handicapé par son jeune âge comme Duster l’est par sa patte folle.
Pourtant, après une vingtaine d’heures passées sur le jeu (je l’ai abandonné à cause d’un trio de bosses infernaux), mon avis est très réservé : malgré les trésors d’intelligence déployés par Itoi pour en faire un jeu unique, Mother 3 se révèle à mesure des heures de plus en plus banal : certains chapitres (dont l’avant dernier, le 7) n’en finissent plus de durer, lestés par des combats infinis ou des distances incroyablement longues à parcourir.
De plus en plus longs à cause de l’endurance des ennemis, les combats détruisent le fragile édifice de la narration : les heures passent sans événement ou dialogue d’importance et finalement la psychologie, les motivations et l’intérêt des personnages s’effacent. Au lieu de l’apothéose que ces combats successifs devraient préparer ne se diffuse qu’un sévère ennui.
Mais le plus grave est d’avoir finalement glissé sur la plus grosse banane du RPG : le récit commence avec des personnages bizarres et mal dégrossis et finit par l’accomplissement épique d’un destin. Entre l’épisode familial dramatique (mais pourtant anecdotique : c’est la faute à pas de chance) et le sempiternel combat ontologique entre le bien et le mal, où un héros particulier était attendu depuis des lustres (coïncidence incroyable), quelque chose ne passe pas.
Voulant articuler le contingent et le nécessaire, faire évoluer la petite histoire en grande Histoire, Shigesato Itoi rate son coup. Malheureusement la leçon est au prix de l’originalité du jeu.
Commentaires
Ha bah moi qui le gardais dans un coin avec la trad pour le faire, il vient de descendre dans mes priorités pour le coup :/
C'est marrant parce que justement, je réalise que ce qui fait que je ne termine plus les RPG est cette avalanche de combats et de passages de levelluping fastidieux.
En fait, dans les RPG, j'adore le début, l'histoire qui se met en place, les héros un peu gauches, les combats qui durent 30 secondes contre des ennemis à 21HP, etc...
J'aime bien aussi les quêtes annexes, rencontrer des nouveaux personnages, gagner des objets rares.
Mais dès qu'on est dans la phase de fin à bastonner dans tous les sens, un combat tous les deux pas, ça me saoule.
Du coup, paf, je sais jamais si le méchant il meurt à la fin.
Pareil. J'ai fini le jeu en le regardant sur youtube (si tu veux savoir si le méchant meurt, attention c'est long).
En plus j'ai un problème philosophique avec le fait que les combats deviennent de plus en plus difficiles dans les jeux : dans la vie cette gradation n'existe pas vraiment, enfin j'ai l'impression.
Chouette article.
<mild spoilers>
Ton souci au chapitre 7 vient peut-être du sequence breaking. Tu peux vraiment te compliquer la vie si tu ne prends pas le bon chemin. J'imagine que ton trio de bosses est celui de la jungle ? As-tu terminé le volcan ?
Sinon c'est vrai que c'est un RPG d'initiation classique. La structure est la même que DraQue 4, ça commence en RPG choral jusqu'au moment où tout le monde se retrouve pour la grande aventure. Itoi s'en sert simplement comme d'une plate-forme pour propager ses idées (satire sociale, discours écolo).
Comme pour Personna 3, j'ai abandonné parce que j'ai l'impression de ne pas comprendre les subtilités du système de combat.
Dans Mother 3, il me semblait qu'on pouvait appuyer en rythme sur les boutons pour augmenter les attaques. Mais je ne me souviens d'aucune explication ou tutorial là-dessus. J'ai des bonus d'attaque mais c'est frustrant de ne pas comprendre une mécanique qu'on est partie pour répéter des heures entières.
Ca me rappelle Contact sur DS : très joli, très original, inutilement complexe.
Je crois qu'on entre de plus en plus en conflit avec la tradition de RPG japonais de difficulté frustrante et de règles/objets cachés sans le moindre indice.
C'est ça, en fait, le système de combat repose sur la musique et tu peux réaliser des combos en suivant la partition. En pratique c'est super dur à utiliser (du moins en ému, peut-être moins sur GBA micro). Tu peux endormir tes ennemis pour entendre le rythme idéal.
Merci Depassage^^
Je suis bien bloqué contre le Barrier Trio de l'île Tanetane (après m'y être repris à plus d'une dizaine de fois - je te laisse imaginer le temps et le sang-froid que j'ai perdu - contre le boss 2.0 dans le volcan, en effet !).
J'ignorais le truc du sequence breaking, c'est intéressant et ça limite un de mes reproches sur ce chapitre 7 interminable et dirigiste.
Personnellement le problème est que la grande aventure sert moins bien ses idées que le début : la dégradation du lieu bucolique et campagnard est extrêmement intéressante mais passe à l'as, certaines choses sont téléphonées 5 heures avant la découverte finale (ne serait-ce que l'identité du boss masqué). Certains personnages sont oubliés (que fait Lucky Luke pendant tout ce chapitre ?) ou pas exploités (le bûcheron). Tout est dilué. Ou trop lourd au contraire, par exemple ce speech de 10 minutes pour "expliquer" les tenants et les aboutissants de l'histoire. Plus lourd c'est pas possible (enfin si, sans la reprise d'Erik Satie).
La seule chose qui rattrape cette "grande aventure" est l'ambivalence de la fin et son écran noir si tu vois ce que je veux dire.
Je rajoute une chose à propos de la personnalisation des personnages : j'ai toujours été peu friand de cette pratique dans les RPG (notamment parce que c'est un frein à la vraisemblance et à l'immersion, surtout quand on prénomme le personnage avec le sien ou un autre personnage connu : chaque mention de ce prénom nous "sort" du récit en lui accrochant d'autres références).
Dans ce cas, c'est vraiment une faiblesse d'Itoi : il sait pourtant à quel point un nom de personnage est important (l'interview plus haut). C'est une responsabilité qu'on ne doit pas laisser au lecteur (/joueur), ne serait-ce que chronologiquement : il fait pleinement partie du processus de création et il est souvent programmatique.
Sans mentionner que renommer Jean Valjean, par exemple, en Kevin Raoul, et plus rien ne marche.
Pour le rythme des attaques combos ça s'attrape assez vite, ils ne sont pas très nombreux (mais j'ai joué sur console). Un personnage doit l'expliquer en cours de route, je ne sais plus trop quand. C'est un bel ajout en tout cas, ça dynamise un peu le combat tour par tour (j'ai oublié de dire que c'était du combat tour par tour).
Dernière chose je n'ai pas dit à quel point le travail réalisé pour traduire ce jeu est incroyable ! C'est vraiment magnifique.
@Menstruel : "Mais dès qu'on est dans la phase de fin à bastonner dans tous les sens, un combat tous les deux pas, ça me saoule."
Ah bin pareil, dernier exemple en date avec Odin Sphere. Malgré le fait que ce soft soit mon coup de coeur 2008, j'ai toujours pas plié le chapitre Armageddon ( dernière étape supposée avant l'ending), obligée de passer par du lvl-up intempestif si je tiens à mettre leur fessée aux boss de fin. Et de manière générale, avec les RPG c'est toujours cette étape fastidieuse qui réussi à prendre le pas sur l'attachement que je porte à un univers, son scénario et ses personnages.
C'est très très lourd.
Je serais curieux de savoir qui a réalisé la carte qui surplombe ce billet. Ca ressemble bigrement aux illustrations de Katamari, non?
Ah tiens oui, j'ai oublié de mettre la source. J'ai attrapé ça sur le site officiel du jeu, je le rajoute.
Aucune idée par contre de l'auteur, je ne crois pas que ce soit précisé.
Je n'ai pas encore entamé Mother 3, je vais me faire le 1 et le 2 avant. Mais le test de Chocolat sur le site des testeurs objectifs m'a convaincu, en fait.
Chocolat a fait un test positif?
Mince ! ^^
Donnez au moins une URL que les gens puisse voir de quoi/qui vous parlez.
C'est pas MSN ici, hein.
Tiens, http://www.gamerama.fr/ Le premier site objectif du jeu vidéo.
Je pensais que vous connaissiez. Ebichu le fréquente aussi, si je ne m'abuse.
En ce qui me concerne je découvre.
"C'est Mother qu'on assassine", que c'est bien trouvé !
Je rajoute une chose à propos de la personnalisation des personnages : j'ai toujours été peu friand de cette pratique dans les RPG (notamment parce que c'est un frein à la vraisemblance et à l'immersion, surtout quand on prénomme le personnage avec le sien ou un autre personnage connu : chaque mention de ce prénom nous "sort" du récit en lui accrochant d'autres références).
Dans ce cas, c'est vraiment une faiblesse d'Itoi : il sait pourtant à quel point un nom de personnage est important (l'interview plus haut). C'est une responsabilité qu'on ne doit pas laisser au lecteur (/joueur), ne serait-ce que chronologiquement : il fait pleinement partie du processus de création et il est souvent programmatique.
Sans mentionner que renommer Jean Valjean, par exemple, en Kevin Raoul, et plus rien ne marche.
Rien ne t'oblige à renommer les perso...
Non non bien sûr, j'ai d'ailleurs choisi les noms par défaut (qui n'apparaissent que lorsqu'on refuse).
Ça ne change rien au fait que la possibilité même nuit à l'intégrité de l'oeuvre je trouve.
Je ressors tout juste de ce jeu… Game A,
tes remarques m’ont donné envie de réagir !
D’abord je trouve ça un peu abusé de parler de banalité !
Bordel ce chapitre 7 est incroyable, rempli de passages, personnages et situations drôles et originales… et surtout il a eu l’avantage de donner un bon bol d’air frais au jeu parce qu’il donne bcp de liberté. Pour ma part je me suis laissé guider. Les combats peuvent paraître rudes mais c’est d’autant plus gratifiant. Ça peut se régler avec du level-up ou une bonne stratégie (avec des item d’attaque, un bon équipement, un bon sens du rythme et en déterminant les faiblesses de l’adversaire). Le timing des combo est peut être un petit peu trop serré pour un RPG… ceci dit ça reste grisant et force le joueur à se concentrer sur le combat.
La longueur du chapitre ne m’a pas dérangé, un peu surpris, certes, mais j’étais presque triste d’en voir le bout !
A chaud comme ça la seule critique que j’accepte c’est peut être ce que tu dis à propos du scénar’ sur la fin. Néanmoins Mother a toujours été l’histoire de jeunes élus chargés de “sauver” le monde (ici c’est un peu plus compliqué mais en gros ça reste la même chose). Au final j’ai pas trouvé ça si maladroit que ça… et surtout c’est très émouvant, attachant et les dernières scènes sont formidables.
C’est un des rares jeu récent qui semble posséder une âme.
Bordel :)