Comme un Jean Jacque Lundi
Par Game A le 5 janvier 2025 - WebTouring3 minutes

Ce n’était peut-être pour Moebius « pas du design, […] juste un dessin pour la pochette du jeu », ses illustrations pour la version originale de Panzer Dragoon (30 ans en mai) ont eu une grande importance pour moi, notamment en contribuant à m’assurer que la Saturn japonaise était le camp à choisir dans la guerre des consoles de l’époque.
Depuis une dizaine d’années j’étais persuadé d’avoir lu un entretien dans la salle d’attente d’un dentiste où il mentionnait les illustrations qu’il avait réalisées pour le jeu. Il disait en avoir réalisé trois (on en connaissait seulement deux), et on comprenait que l’expérience n’avait pas dépassé l’échange commercial. Jusqu’à aujourd’hui je craignais avoir rêvé.
Il semble finalement que cet entretien (ou un autre où il racontait la même chose) existe bien, puisque je suis tombé cet après-midi sur cette vidéo de février 1996 mise en ligne par Oli (Jeux vidéo et des bas) :
« J’ai fait trois dessins de couverture, ça a été un boulot vraiment de mercenaire, je sais pas du tout, je savais pas du tout ce qu’était le jeu, je l’ai découvert après. »
Cet hypothétique troisième dessin, j’avais fait une croix dessus, d’autant qu’il me semblait avoir lu ailleurs (une autre hallucination ?) que les développeurs ignoraient ce qu’étaient devenues ces illustrations, qu’on imaginait subtilisées par un cadre démissionnaire ou retraité.

Un message court transféré par Vg Densetsu fournit deux réponses d’un coup : non seulement cette troisième illustration existait bel et bien (pas fofolle au demeurant), mais, s’il s’agit bien des originaux et pas de reproductions, les illustrations sont revenues dans les mains du dessinateur (à moins qu’elles ne les aient jamais quittées, ce qui est fort possible connaissant le souci de Moebius pour préserver ses œuvres) : elles ont été exposées au moins une première fois entre fin 1997 et début 98 dans quatre villes italiennes et une autre en 2003, à Liège (photo de OVGA ci-dessous).

C’est étonnant et décevant de voir à quel point la frontière a été étanche entre l’artiste et les fans du jeu (je plaide coupable), alors même que le dessin qui nous intéressait était également en ligne depuis des années. Les catalogues concernés sont visionnables à cette adresse.
D’ailleurs, le rendez-vous n’a pas seulement été manqué entre les fans du jeu et ceux de Moebius, mais également entre les développeurs et le dessinateur : « As we were such big fans of Moebius, we were surprised with the results because they were not as abstract as we expected. It was very in keeping with the game. » (Kentarou Yoshida, designer sur la série, Xbox Nation n°6, février 2003). Cette rencontre ne pouvait que décevoir, à comprendre sa démarche devant une commande :
dans un processus de création, il y a différents niveaux : si par exemple j’ai un travail à faire, une commande, je vais pas m’amuser à jouer le chamane hein, et je vais mettre en branle toute ma connaissance, ma cuisine professionnelle acquise sur 20 30 ou 40 ans pour répondre à la demande en utilisant mon expérience, ma technique et ma capacité de comprendre le désir de l’autre. Mais par contre quand je fais des choses plus plus plus secrètes euh, sans stimuli extérieurs que que mon stimulus intérieur, là je cherche surtout à libérer celui qui en moi est connecté à ce désir, à des désirs collectifs mais indicibles.
Bravo et merci à OriginalVideoGameArt.com pour les messages et la photo, VG Densetsu pour le repost et Oli pour la vidéo.
Commentaires
“dans la salle d’attente d’un dentiste” ce contexte !
Merci pour ce petit article très chouette à lire.
Avec le temps, la véracité des souvenirs de jeunesse semble parfois bien trouble (pour moi en tout cas), alors ça fait plaisir de voir que cette fois en tout cas, c’était correct !
Je suis bien d’accord concernant les souvenirs. Et ça paraît tellement invraisemblable qu’il y ait autre chose que des vieux Paris Match ou des Nouvel Observateur défraichis chez un médecin…
Je te rejoins sur le côté pas terrible de la 3e illustration. Ça fait limite case découpée d’une planche de BD.
Je viens de finir sa bio parue l’an dernier - Jean Giraud alias Moebius, par Christophe Quillien - et la partie JV est à peine évoquée, le temps d’une mention de Panzer Dragoon et de Fade to black.
C’est marrant parce que j’ai parcouru la bio pour la même raison et j’ai réussi à manquer la partie consacrée aux jeux. Les deux titres sont explicitement cités ?
Ça me laisse un peu perplexe cette histoire, se dire que des illustrations qui ont eu un tel impact sur moi n’étaient pour l’auteur rien de plus qu’un travail de commande sans vrai affect. J’ai mal réussi à l’exprimer mais quel faux rendez-vous.
(Inside Moebius, tome 3, montage à l’arrache.)
Panzer Dragoon et Fade to Black sont mentionnés, mais ça doit tenir en une ou deux phrases. Pilgrim : Par le livre et par l’épée et Seven Samurai 20XX ne sont eux même pas évoqués. Idem pour le fait qu’Hironobu Sakaguchi avait envisagé de faire appel à lui pour Final Fantasy, mais qu’il s’était rabattu sur Amano du fait de la barrière de la langue. Concernant Panzer Dragoon Zwei, j’avais lu que Sega estimait qu’il coutait trop cher et avait de ce fait choisi de se passer de ses services. Après, Moebius était tellement prolifique que c’est loin d’être la seule impasse qu’a faite l’auteur du livre mentionné.
Ce dernier m’a au moins conforté dans l’idée que ce n’est pas son travail d’auteur de BD de SF qui lui aurait permis de vivre correctement, même si je suppose que l’Incal a quand même dû lui rapporter de l’argent durant toute sa carrière. Arzach, Le garage hermétique et, dans une moindre mesure, les yeux du chat font partie des oeuvres qui le définissent le mieux en tant qu’auteur de SF à mes yeux, voire comme artiste tout court à l’échelle mondiale, mais s’il n’y avait pas eu Blueberry, j’ai l’impression que c’est surtout grâce à ses travaux annexes - chara design, illustrations, storyboard - qu’il aurait pu continuer à creuser son sillon dans la SF sans être inquiété financièrement.