DD Neon

L’animation autour de la biographie de Yoshihisa Kishimoto aidant, l’annonce d’un nouveau Double Dragon m’avait aussi vite alléché que les premières images flashy m’en avaient détourné.

C’est finalement l’excellente musique de Double Dragon Neon (XBLA, PSN) qui m’a convaincu de lui donner sa chance ; un premier run plus tard, j’en suis bien content, même si je me demande encore s’il était bien légitime de rattacher ce nouveau bon jeu de Wayforward (Shantae, Mighty Flip Champ!) aux Double Dragons.

Parce que Double Dragon finalement, c’est quoi ? Deux sprites aux couleurs différentes qui combattent en même temps et cognent les adversaires avec leurs propres armes ou quelques éléments du décor. Pour le reste, pas grand-chose, et beaucoup de flou.

DD Neon

On s’en rend bien compte à la manière dont Double Dragon Neon aligne l’essentiel des références à la série dès les deux premiers niveaux, qui reprennent en gros le premier niveau du jeu d’arcade de 1987. La voiture de Road Blaster, la (formidable) musique encore améliorée par Virt, les ennemis qui tombent ou qu’on pousse dans le vide, tout est fait pour le fan service.

DD DD
Neon va jusqu’à reprendre les intermèdes fixes de la NES avant chaque mission.

Ensuite, on veut se convaincre que tel combat contre un hélicoptère ou un tank, ou tel passage périlleux avec des presses reprennent des passages de l’adaptation NES de DD II, voire même que le concept visuel en provient :

DD II

Il faut pourtant se rendre à l’évidence : en dehors des décors orientalisants, peu de choses pourraient finalement se rattacher à coup sûr à un Double Dragon.

A bien y regarder, cette série était de toute façon d’une grande inconséquence¹ : les frères Lee alternent de couleur de tignasse, Jimmy troque le gilet rouge pour un autre argenté le temps d’un épisode, on ne sait toujours pas si Marian, la petite amie de Billy, est blonde, brune ou tend vers le roux.

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Marian dans DD arcade (fin), DD II arcade (jeu et fin), DD II PC-Engine et DD II Nes.

D’ailleurs, est-elle professeur d’arts martiaux (DD), journaliste (DD II Pc-Engine) ou flic (Super DD) ?

Le même flou prédomine en ce qui concerne les ennemis. Le déficit de personnages reconnaissables était d’ailleurs si fort que le jeu de combat sur Neo Geo choisit d’en inventer un paquet, sans même reprendre les quelques noms qui revenaient d’un jeu à l’autre (à défaut d’un design constant) : Roper, Bolo, Williams, Linda…
Même Abobo, seul ennemi à avoir acquis un minimum de notoriété², n’a jamais le même physique d’un jeu à l’autre, à tel point que Genzoman, l’illustrateur principal de Neon, a pris soin d’inscrire son nom sur sa boucle de ceinture. Au cas où.

Il en va de même de l’univers des jeux. Au-delà du dojo final façon Opération Dragon, tous les décors sont plutôt lambda, rien qui marque et qui caractérise immédiatement la série. Et alors que Double Dragon prend place dans une Amérique post-nucléaire³ (ce que précise l’introduction de DDII), aucun décor dans le jeu ne le répercute (à moins que ce soit la justification de ces trous dans le sol et de la taille d’Abobo et de Bolo ?)⁴.

On en viendrait même à se demander comment ce jeu a pu atteindre ce niveau de notoriété. En tout cas, l’amélioration de son gameplay par rapport à son aîné d’un an Nekketsu Kōha Kunio-kun (grimé en Renegade chez nous) s’est fait au détriment de l’univers : Kunio-kun et ses voyous japonais lui reste infiniment supérieur de ce point de vue.

La pauvreté et l’absence de personnalité sautent ainsi rapidement aux yeux en jouant à Double Dragon Neon qui n’est pas tant un hommage à la série qu’une plus générale collection de souvenirs de mômes devenus trentenaires. Pete Rosky (Majesko) le répétait à tous les journalistes de l’E3, c’est une « lettre d’amour aux eighties », et le jeu vous proposera air guitar, pastiches musicaux, powerglove et danses idiotes.

Il suffit ainsi de voir le méchant du jeu, mauvais croisement entre Skeletor, le Schredder des films des TMMT et Mortal Kombat, pour se rendre compte que cette tendre parodie des années 80-90 s’est abreuvée aux « meilleures » productions américaines pour ados de la période. Le jeu emprunte ainsi à Moonwalker comme au Wizard (un achievement demande d’atteindre 50 000$ - source) en passant par Jack Burton dans les griffes du mandarin (Rosky le cite comme source d’inspiration dans une interview, la proximité de certains décors est évidente).

DD Neon

Dès la confrontation avec « SkullMageddon » (sic), on est bien plus proche de la nanarissime adaptation ciné de Double Dragon que du jeu lui-même : on y retrouve le goût du high-five, les choix musicaux datés, les couleurs acidulés, les péripéties abracadabrantes et ce même détachement « cool », typique des scénarios crétins de l’époque (un des niveaux de Neon se nomme ainsi « une espèce de labo » - « some kind of lab », pourquoi s’ennuyer à rendre l’histoire crédible ?).

C’est finalement le problème : quand on relève toutes les références qui ne viennent pas de la série de Kishimoto (y compris un cameo assez marrant de Megaman), on se demande pourquoi le jeu s’appelle encore Double Dragon : à la fois par le manque de personnalité de la série et le nombre des clins d’œil sans rapport, Wayforward aurait tout aussi bien fait d’« inventer » une nouvelle IP en piochant ici et là ce que Double Dragon pouvait offrir. Après tout, ce n’est pas comme si des dizaines d’autres développeurs⁵ ne l’avaient pas fait avant eux.

Ironiquement, la démarche aurait été plus honnête (à défaut d’être légale) : quoi qu’en dise Rosky, l’intérêt des développeurs pour la série a du mal à dépasser les adaptations NES. En l’état, Double Dragon Neon arbore un étendard certes fédérateur mais quelque peu mensonger : le jeu exprime une profonde nostalgie pour une époque révolue, nostalgie qui ne parvient pas à se limiter à Double Dragon : si le jeu a bien sa place dans le panthéon des eighties, il n’y a jamais occupé la place d’honneur.




¹ Sur le manque de cohérence d’une illustration à l’autre, Kishimoto explique que c’était parce que « Technos externalisait souvent le game design à d’autres compagnies, ce qui aboutissait à un manque de cohérence de la franchise et de la qualité ». Neogaf en répertorie un certain nombre.
² Sauf éventuellement le combat dans les champs de blé, dans la version arcade de Double Dragon II, niveau qui n’est pas repris dans Neon.
³ Hokuto no Ken était sans nul doute une inspiration de l’équipe de développement dès le 1 si on en croit l’illustration famicom du jeu et une remarque de Kishimoto à Wayforward, demandant que les cheveux des jumeaux ressemblent davantage à ceux de Ken (« If you could make it a little more spiky like the Fist of the North Star guy [that would be a better fit] »). Toujours est-il que cela ne se ressent pas vraiment lors des phases de jeu.
⁴ Quand on lui demande si Willy sera présent, Pete Rosky ne connaît même pas le nom du boss des deux premiers jeux (pas plus qu’il ne sait s’il sera dans Neon). Alors bien sûr il n’est « que » « assistant product manager » chez Majesco, l’éditeur, mais ça reste significatif.
⁵ Dernier « hommage » en date, Rage of the dragons (Neo Geo, 2002) n’a finalement gardé « que » le prénom des frères, Abubo (sic) comme middle boss (accompagné d’une Linda et d’une Roxy) et une certaine voiture rouge à l’arrière-plan.