J’aurais une Wii, outre me peser à jeun, je passerais chaque matin mes dernières minutes avant de partir travailler sur la Chaîne Météo.
Parce que c’est génial, la météo : ça change tout le temps, on a l’impression de prendre sa vie en main (il va faire froid, je vais me couvrir) et en même temps on peut facilement s’en évader pour se projeter ailleurs : Anchorage -7°C, couvert ; Montréal -12°C, 30cm de neige ; Eromanga 50°C, très humide…

eromanga.jpgSource.

La météo donne le pouvoir d’ubiquité ; et, à être partout, on voit que rien n’est partout pareil.

Sur le site officiel de la console, on peut trouver une intéressante interview de l’équipe qui a développé cette chaîne météo. On y apprend notamment que les icônes météo ont posé quelques problèmes :

Matsushita : Concernant les symboles météorologiques, je pensais que le soleil rouge pour signaler un temps ensoleillé, le parapluie pour signaler un temps pluvieux faisaient partie des standards internationaux. Mais lorsque j’ai reçu la documentation de l’étranger [i.e. des USA principalement a priori], ces symboles étaient complètement différents. Tous étaient photoréalistes, du soleil radieux aux nuages.

Le monde se trouve ainsi partagé entre deux jeux d’icônes dont l’un est exclusivement réservé au territoire japonais (source) :

À comparer les deux séries d’icônes, on voit que la version internationale est non seulement moche (selon moi) mais également moins efficace, voire carrément anxiogène. Je m’explique.

Regardez la bonne bouille du soleil japonais : vous êtes déjà en vacances, sur le bord de mer, attablé avec un jus d’orange frais. Il est tellement plus généreux que le soleil international qui parait lointain, presque menaçant par la longueur et le nombre de ses rayons. Celui-ci est plus lumineux c’est vrai, mais cette luminosité est presque agressive, évoquant davantage la violence du cagnard qu’une puissance enveloppante et bienfaisante. Quand le soleil japonais réchauffe le coeur, le second brûle déjà la peau.

Le constat n’est pas si différent à propos des nuages… Le cumulus japonais (c’est un cumulus) est aussi moutonneux que l’occidental paraît mesquin. Le japonais a des rondeurs enfantines, on en mangerait - d’ailleurs il est presque à portée de main ; bien sûr il peut nous jouer des tours, c’est facétieux un gamin, mais ça n’ira pas plus loin on le sait.
Il en est bien autrement de l’autre. Bien sûr il est isolé, plutôt blanc. Mais sa forme de couvercle ne présage rien de bon. Et puis il semble si lointain, si haut et, autant le dire, méprisant. Il incite à la méfiance quand le nuage nippon force la sympathie.

Les icônes pour la pluie témoignent d’une divergence de traitement assez intéressante. Plutôt que de montrer effectivement une averse comme l’icône occidentale, le dessin japonais est construit sur une figure métonymique de la conséquence pour la cause : le parapluie indique le comportement à tenir, laissant son motif dans l’implicite.
En d’autres mots, là où l’icône internationale met le spectateur face à un problème à régler (il pleut > il faudra m’en protéger), l’icône japonaise le résout sans le poser (prenez votre parapluie > c’est parce qu’il pleut). La version japonaise est non seulement d’un plus grand intérêt pratique mais surtout elle dédramatise la situation en prenant les gens par la main. Avouez, c’est tout de même bien gentil.




Comparons enfin les chaînes japonaise et internationale. On voit que les Japonais (à gauche) profitent d’une information très complète par défaut (minimales, maximales, évolution du temps et de l’humidité sur la journée…) - comme dans les détails (humidité, “index lessive” ; nous autres n’avons que l’indice UV). À côté la version occidentale parait bien pauvre : elle ne fournit au lancement que le temps actuel (et pas l’évolution dans la journée), la température et la force du vent. Notons enfin que les Japonais ont l’heure constamment affichée, à l’image de leurs émissions météo télévisuelles.

Ainsi, bien au-delà du jeu d’icônes, les différences entre les deux versions séparent en fait l’application utile du gadget. Pas de chance, c’est nous qui avons hérité du gadget.

Pour autant l’adaptation de la chaîne météo a eu quelques intérêts ; par exemple les gars de Nintendo ont fait un gros travail sur leur ethnocentrisme :

Matsushita : J’ai appris que dans certaines parties du monde, le temps peut être à la fois nuageux, ensoleillé et neigeux.
Suzuki : Et que “nuageux” pouvait avoir plusieurs variantes…
Matsushita : Nous avons également reçu une demande d’Europe pour distinguer la grêle, le grésil et la neige fondue.
Suzuki : Nous n’avons pas de symbole pour la brume ici au Japon, j’ai dû demander des modèles pour savoir à quoi cela ressemble.

Ils sont gentils mais on a parfois l’impression qu’ils ne mettent pas beaucoup le nez dehors.