Team Makoto Mizoguchi
Par Game A le 22 novembre 2024 - Ça dénonce grave.4 minutes
Dans une vidéo fournie à la presse au moment de la plainte de Capcom USA contre Data East pour plagiat et mise en ligne grâce à Mollie L Patterson, une responsable de Data East (Etsuko Adelman, elle travaillera ensuite chez Sony USA) cherche à distinguer les personnages de Street Fighter 2 et de Fighter’s History.
Même si je n’ai évidemment prêté aucun crédit aux arguments de cette vidéo, prononcés avec la contrition d’un enfant surpris la main dans le pot de confiture, (surtout avec les anecdotes de Yoshiki Okamoto sur le sujet en tête — via Drink Wild Soda, formidable chaîne youtube), un passage sur Zangief m’a quand même étonné. Je cite :
« Consistent with Zangief’s origin in the old Soviet Union, he wears his hair in a short narrow strip down the middle of his shaved head […] »
Je n’aurais jamais assimilé ce que l’on nomme en français plus ou moins justement la crête iroquoise à une « coiffure en lien avec l’ex-Union Soviétique », et pour le coup, cette explication américaine d’un design fait par des Japonais était intéressante.
En fait, Zangief doit plutôt son apparence, comme tant d’autres, à un personnage de manga (Gōda dans la version yomikiri d’Hokuto no Ken ? Un catcheur dans Tiger Mask ?), lui-même inspiré par Mr. T et/ou tout ce que l’occident pouvait sécréter d’exotisme inquiétant dans les années 80 pour des Japonais.
Après une petite recherche, l’allégation de Ms. Adelman, bien qu’imprécise, n’est toutefois pas fausse : appelée Czupryna parmi la noblesse polonaise ou Oseledets chez les Cosaques ukrainiens, il s’agissait bien d’une coiffure traditionnelle pour des minorités, parfois fort mal traitées, sous la coupe de l’impérialisme tsariste puis soviétique.
En pleine lecture de Source de chaleur du romancier Soichi Kawagoe*, un passage m’a fait rêvasser à ce propos : « Les cheveux coupés à ras sur un côté seulement accrochaient le tissu rugueux. Il poussa un long soupir et baissa la tête sur le pentagone noir cousu pointe en bas sur la poitrine de son uniforme bleu clair de condamné. Le « diamant », comme on l’appelait en rigolant. […] Le diamant [cousu sur l’habit] et la coupe de cheveux rasés très haut sur un seul côté, voilà ce qui vous identifiait comme déporté politique en Sibérie. »
Plutôt qu’une coiffure cosaque, à peu de cheveux près, Zangief aurait donc pu avoir une coupe de déporté politique. Si on se rappelle que son prototype devait détester le communisme, on se dit que le personnage en aurait gagné une certaine épaisseur biographique.
Évidemment c’est faux, et ce n’est pas faire offense à Akira “Akiman” Yasuda et Ikuo “Ikusan.Z” Nakayama, tous deux jeunes designers à l’époque, de dire qu’ils puisaient leurs sources d’inspiration/de plagiat moins loin, au combini du coin (pour les magazines de shonen), à la télévision ou dans les films américains (et au catch plutôt shoot, en ce qui concerne Ikuzan.Z).
D’ailleurs, même s’ils ont été sanctifiés par le temps et le succès, évaluera-t-on un jour à leur juste valeur l’assez grande pauvreté du design de la plupart des personnages des deux premiers Street Fighter ? (Et pas que, Cyberbots je pense à toi.)
De mon point de vue en tout cas, les copies des personnages de Capcom par Data East parviennent à être plus originales que les plates propositions de Capcom. Dans un autre monde parallèle, c’est la raison pour laquelle Capcom les a traduits en justice ; la jalousie.
* Le livre coche beaucoup de cases du bingo des choses qui m’intéressent actuellement (en concurrence avec Manchuria Opium Squad), et c’est un bon moyen pour rester dans l’ambiance de Golden Kamuy :
« Comment survivre et protéger les traditions lorsque l’impérialisme tente d’imposer la civilisation ? Comment préserver son identité dans un pays qu’on ne reconnaît plus ? Ces interrogations qui l’assaillent depuis que les Russes ont envahi la Pologne ont conduit le jeune étudiant Bronisław Piłsudski au pire. Pour avoir ourdi un complot visant à assassiner le tsar, il est condamné à l’exil sur l’île de Sakhaline, dans l’archipel d’Hokkaidô.
Alors qu’il survit péniblement dans cet endroit désolé au climat extrême, il découvre la chaleur des Aïnous, un peuple autochtone aux coutumes aussi fantasques qu’émouvantes, et se lie d’amitié avec Yayomanekh, un jeune homme qui a quitté le Japon pour revenir vivre sur la terre de ses ancêtres. » (site officiel de l’éditeur).