Je n’ai pas un grand talent de prescripteur d’achat (pas besoin de mentir, je SAIS que vous n’avez pas de Pocket Sakura), mais vous devriez vraiment acheter Soul Bubbles. Argument 1 : il est à 12 euros (ici).

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Mauvais côté de cette promotion : les ventes ont dû être jusqu’ici décevantes et le jeu n’a pas rencontré le vaste public qui aurait pu l’apprécier. Si le dit vaste public a lu cette “article” de 20 minutes, ce n’est pas étonnant :

Le plus gros défaut du jeu, et peut-être le seul véritable, concerne sa durée de vie. À moins de prendre le temps d’explorer intégralement les niveaux et d’y trouver tous les objets à récupérer, vous risquez de parvenir rapidement au bout de l’aventure, d’autant que la difficulté est loin d’être insurmontable. Quelques bonus à débloquer auraient suffit [sic] à motiver le joueur à s’attarder plus sur chaque partie.

J’ai rarement lu une argumentation aussi défaillante dans un journal : quasi contradiction (“tous les objets à récupérer” vs. “quelques bonus à débloquer auraient suffi”), ignorance (il y a bien des bonus à débloquer) et truisme (si vous ne prenez pas le temps, vous le finirez vite), le tout en deux phrases. Chapeau.

Le “seul véritable” défaut du jeu n’est pas du tout sa durée de vie. En terminant les niveaux correctement (ce que le jeu vous pousse à faire), j’y ai passé pas loin de 9 heures (en courtes sessions de 5-20 minutes, selon les niveaux). Je l’ai même trouvé un peu long par moment (les niveaux 4 et 5 en particulier). Quand le journaliste trouve que Soul Bubbles “se révèle fort bien adapté à un usage urbain de la console [sic], chaque stage pouvant se boucler en deux ou trois stations de métro”, il dit encore n’importe quoi. Argument 2 : ce jeu a une durée de vie nettement suffisante.

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Il faut manifestement distinguer l’usage urbain de la console, et son usage rural. Dans l’usage rural de la console, on peut jouer sur des séquences excédant trente secondes consécutives.

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Par contre il est exact que “la difficulté est loin d’être insurmontable”. Argument 3 : la difficulté est loin d’être insurmontable.

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Le micro est utilisé de manière biblique et judicieuse au début du jeu : le personnage naît de notre souffle. Il ne sera plus exploité in-game ensuite, ce qui me conforte dans l’idée que cette fonctionnalité est sans doute la plus mauvaise idée hardware du jeu vidéo depuis 25 ans (et le micro sur la deuxième manette de la Famicom).

L’autre plus mauvaise idée du jeu vidéo, le deuxième écran, sert ici comme souvent à afficher un plan - mais pour une fois c’est utile : c’est un des nombreux éléments qui font que l’on ne se perd jamais. J’ai d’ailleurs rarement vu un level design aussi efficace : outre le plan, la forme des niveaux, la poussière d’étoiles qui les parsème (servant aussi de challenge si on la récupère entièrement)… On se pose les questions que le jeu vous incite à formuler, on les solutionne comme il le souhaite sans en avoir conscience. Impressionnant.

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Les séquences musicales (composées par Yubaba, le binôme qui s’est aussi occupé de Nervous Brickdown) se déclenchent selon les zones de la carte, et jouent ainsi un rôle dramatique essentiel, puisque plus précis. Moins intrusives qu’une musique continue durant tout le niveau, elles permettent également de se situer (une jolie musique démarre ? Vous êtes sur la bonne voie).

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Bizarrement le game design a été si réussi, la mécanique de jeu est si intuitive, que les développeurs ont oublié quelque chose qui me paraît tout de même important : le scénario. Pourquoi doit-on transporter les esprits jusqu’au domaine de la mort ? - Ce n’est d’habitude pas dans ce sens-là que le voyage pose problème… Que deviennent alors les esprits ? Pourquoi doit-on ramasser 50 callebasses pour y parvenir ? Pourquoi en existe-t-il 112 et pas 111 ou 113 ? Vous n’obtiendrez aucune réponse à ces interrogations, ainsi qu’à pas mal d’autres. Le jeu est tellement bien fait que la plupart du temps on avance sans se les poser ; mais arrivé à la fin, on se rend compte qu’on a été affamés. Et on reste sur sa faim…

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Réagissant sans doute à la sévère moyenne du jeu sur metacritics, Olivier Lejade, le fondateur de Mekensleep (et directeur créatif de Soul Bubbles), “pense qu’il n’est pas très sérieux de réduire la richesse et la complexité de l’impression que nous fait un jeu en quelque chose aussi court, sec et sans appel qu’un pourcentage. C’est également méprisant pour les gens qui ont parfois travaillé des années sur ce projet : il ne s’agit pas d’exercices notés à rendre. Si vous pensez que les jeux sont une forme d’art, alors vous ne devriez pas accepter qu’ils soient notés. Qui noterait un Picasso ? Que vous l’aimiez ou pas, tout le monde sentirait l’absurde de sanctionner Guernica d’un 76%.” (version originale, la traduction approximative est de moi).

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“Gold Award 93%”. Qu’il est dur d’être trahi par ses propres commerciaux.

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Olivier Lejade soulève pour autant un point intéressant : les notes sont un moyen qui n’est ni satisfaisant ni honnête pour rendre compte d’un jeu. Bishop a écrit à ce propos un article très stimulant sur un domaine très proche, la critique musicale. Je vous laisse en de bonnes mains. Ce qu’il ne dit pas et qui tombe malheureusement sous le sens, c’est qu’il s’agit d’un outil formidable pour plomber la carrière d’un jeu.

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L’exemple de Picasso n’est par contre ni très bien choisi (mettre 76% à Guernica est en effet absurde : on lui mettrait beaucoup plus), ni très humble (après tout c’est la note dont Soul Bubbles a écopée sur metacritics).

Le gros problème est qu’il se base sur une pétition de principe : il n’est pas du tout évident que les oeuvres d’art ne soient pas notées. Bien sûr on n’utilise pas dans ce cas-là de pourcentages, mais la côte des artistes et le cours de leurs productions constituent un moyen de classement assez comparable (et pas plus satisfaisant).

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Je serais donc incapable de vous dire si Soul Bubbles vaut ou pas ses 93% affichés. Ce qui est sûr : j’y ai pris un plaisir immense pendant quelques heures et je suis persuadé que vous ressentirez le même en vous laissant tenter. Argument 4 : tout le monde sera content.