On a souvent tendance ici à parler de Nintendo comme si cette entreprise était une entité unique, cohérente, qu’elle avait un avis et faisait bloc autour de lui.
C’est vrai qu’on parle des marques comme si elles existaient, pensaient, agissaient : Nintendo se moque des joueurs, Microsoft nous prend pour, Sony est vraiment, etc. La plupart du temps, c’est pour alléger la prose et la rendre plus concise : on ne va pas dire à chaque fois “les gens chez Nintendo”, ça ferait long.

En y repensant d’ailleurs, dire “les gens chez Nintendo”, c’est aussi abusif, encore trop généralisateur : comme si tout le personnel de Nintendo avait le même avis.

Par exemple, vu l’animosité qui se crée parfois ici dès qu’on dit casual, pensez au degré de frustration devant Wii Fit de la part de types qui ont bossé sur des chefs d’œuvre genre F-Zero : ces logiciels qu’on aurait jamais cru acheter, eux n’auraient jamais pensé avoir à les développer en entrant chez Mario. Seulement ces voix dissonantes ne s’entendent pas beaucoup, et les dissensions restent internes.

Les efforts de communication de la firme de Satoru Iwata permettent cependant de pressentir l’âpreté des luttes internes.
Lors du dernier Iwata Asks, le patron interroge ainsi une dizaine de développeurs du jeu. Arrive le tour de Mitsuhiro Takano, « chargé du script de Twilight Princess, mais [qui a] également participé au développement des cinématiques et de certains événements du jeu. »

Takano : Cela me rappelle une expression employée par Shigesato Itoi[*] dans un article. Il avait utilisé le terme omotsurai (combinaison des mots japonais omoshiroi, amusant, et tsurai, douloureux).
Iwata : Ah, je crois qu’il parlait de Bass Fishing!
Takano : Oui, c’est quelque chose qui est à la fois amusant et éprouvant, mais particulièrement plaisant au bout du compte. Quand je joue à Zelda, c’est ce que je ressens. Il y a des passages vraiment difficiles, mais qui procurent finalement beaucoup de plaisir. Et lors du développement du jeu, c’est la même chose ! On ne compte plus les problèmes à régler et les défis à relever, mais quand on peut enfin jouer à la version définitive, on ne ressent que du plaisir.

Six mois après, en août 2007, Miyamoto déclarait “qu’à l’avenir, les jeux ne seront pas difficiles et très amusants à jouer”, qu’ils devaient “sortir plus de jeux qui ressemblent à des jeux”. Oubliez le omotsurai, l’amusement ne paraît plus du coup plus provenir de la difficulté.

Rendez-vous dans quelques temps pour constater laquelle de ces deux visions qui a gagné.

Notes

[*] Une note précise que Shigesato Itoi est un écrivain, “un grand publicitaire et un célèbre concepteur de jeu. Grand fan de pêche, il a prêté son nom aux jeux de pêche sortis sur Super Nintendo et Nintendo 64”. C’est enfin le célèbre concepteur de la série-RPG Mother.

Publicitaire, fan de poissons et écrivain, ce qui occasionne des comparaisons de haute volée genre : “Advertising is like fishing. To sell the product, you’ve got to have the right lure. A lure is a lie that looks like the truth. Then you’ve got to use your lure in a pond where there are fish — no fish, no luck”.