Je vous ai déjà dit à quel point Arkanoid DS était décevant, visuellement moche et parfois pénible à écouter. Anticipant les critiques, Taito a donné la possibilité de reconfigurer complètement chacun des niveaux : musique, fonds d’écran, cadre, bruits, sprites. On peut ainsi grimer le jeu en suite de Puchi Carat (“raquette”, blocs, cadre), en spin-off de Darius (fonds d’écran qui reproduisent ceux de Darius I et II, idem pour les bips) ou en simili Cleopatra Fortune (fond d’écran, blocs et cadre). Des musiques inédites sont aussi disponibles.
Je devrais dire super…



Puchi Carat, Cleopatra Fortune (source : taitolegends2.com).

Je devrais dire super mais je ne le dirai pas, parce que modifier les niveaux du jeu pour les rendre agréables a un prix. Littéralement : il faut acheter très cher ces dizaines d’options. Le jeu permet de gagner des points en terminant le jeu plusieurs fois (Clear Game ; comme Darius, Arkanoid DS propose de choisir son chemin (35 étapes) parmi une arborescence de niveaux - 150 possibles) et en recommençant chacun de ces niveaux en respectant certaines consignes (Quest Game ; temps limité, nombre maximum de rebonds, nombre défini de blocs, etc.). Terminer le jeu sans perdre rapporte environ 1000 points (1h30 de jeu), environ 400 si l’on recommence dans les derniers niveaux ; En Quest Game, un challenge réussi rapporte de 5 à 50 points.


Terminé en 100 secondes, le niveau U5 rapporte 50 points - infaisable en si peu de temps sans l’intervention du saint-Esprit vu le comportement de la boule et le design du niveau. ; à droite, Vaus d’Arkanoid II (source : www.taito.co.jp)

Les bonus, quant à eux, coutent 100 points minimum (pour un fond d’écran super moche) ; le Vaus d’Arkanoid II (seul bonus en rapport avec Arkanoid, un comble), la raquette de Puchi Carat, une des deux musiques valent 1000 points chacun. Autant dire qu’avant que le jeu soit agréable…

On pourrait parler de bonne Replay value. Moi je parlerai simplement d’arnaque. Le même type d’arnaque qui m’interdit de jouer avec Joe Musashi (Shinobi I, III) dans Shinobi ou dans Nightshade sur PS2 depuis deux ans : impossible de dépasser le 3e niveau du premier et le quatrième du second ; alors les finir à 100% pour le débloquer….

Bref je vais abandonner Arkanoid DS comme j’ai abandonné Shinobi et Nightshade. Ce que je n’aurais pas fait, du moins pas avec le même sentiment d’insatisfaction, si les options étaient généreusement directement disponibles sur le premier, et si les niveaux étaient, sinon moins durs, au moins court-circuitables, comme le chapitre d’un film sur dévédé.

C’est de l’arnaque parce que ce n’est pas ma faute à moi si je suis nul (le premier colosse…), débordé et fainéant. Ça ne justifie pas pour autant de quel droit je n’aurais pas celui de voir la fin des jeux que je possède, de ne pas profiter de toutes ses possibilités.

Je rêve d’une prise de conscience de la part des développeurs de jeux :

  1. qu’ils facilitent l’accessibilité de leurs jeux en proposant systématiquement un menu permettant de choisir directement son niveau ;
  2. qu’ils multiplient le potentiel de leurs jeux en abandonnant le principe des bonus (surtout quand ils sont aussi essentiels que ceux déjà cités) : on est pas des ânes pour nous secouer une telle carotte : si le jeu est bon, on continue de nous-mêmes, s’il est mauvais tout doit être mis en œuvre pour nous récupérer, et pas en nous disant “après 4 heures de jeu, il ressemblera à quelque chose promis”.

Vous allez me dire : c’est un manque de respect pour le travail des développeurs ; que l’on gâche la progression scénaristique, que l’on sabote le minutieux travail de mise en scène, la montée dramatique, etc.
En littérature, voilà quelques temps que commencer un bouquin par la fin (particulièrement pour les romans policiers) ou sauter les descriptions interminables est considéré comme un droit du lecteur, imprescriptibles dit l’autre, et il ne viendrait plus l’idée à aucun auteur de le discuter.
Même chose pour les films sur dvd : on saute des chapitres, on regarde en accéléré, etc. Je ne pense pas que les jeux vidéo aient un fonctionnement dramatique assez particulier pour nécessiter une linéarité avec laquelle les autres supports de récit ont transigé.

De plus, si on peut toujours sauter des dizaines de pages pour lire plus vite la fin, tous les lecteurs ne le font pas ; pas systématiquement, du moins. Loin d’être un problème, c’est même une chance pour l’auteur : manifestement, il a raté son coup, et c’est une chance supplémentaire que le lecteur lui laisse de se refaire plus loin. Toujours mieux qu’un bouquin fermé définitivement.
De la même façon, un accès à tous les niveaux du jeu dès le début ne concernerait qu’une part minime des joueurs : ceux qui n’aiment pas un passage ou ceux qui buttent trop sur un passage.

Cette linéarité actuelle de la plupart des jeux soulève au moins deux problèmes :

  1. une question financière : les jeux coutent cher ; ne pas exploiter toutes les possibilités d’un jeu devrait être une décision du client exclusivement : le prix n’est pas proportionnel à ses capacités, le jeu ne devrait pas l’être, parce qu’alors moins le joueur est aguerri (ou volontaire), plus le jeu devient cher, ce joueur rentabilisant moins son investissement (je ne parle pas du temps passé sur le jeu, autre indicateur - moins bon à mon sens[1], mais du pourcentage d’exploration).
  2. c’est aussi un conflit d’autorité : pourquoi devrait-on être “méritant” ? De quel droit le développeur pose-t-il lui-même ses exigences de jeu ? D’autant que je ne lui concède qu’un devoir : fournir le jeu le plus équilibré, le plus progressif et le plus accueillant possibles, justement pour que le joueur évite les raccourcis que j’aimerais voir proposer.
    Le jeu vidéo n’est pas un sport (même s’il peut l’être) ; la méritocratie est une des caractéristiques du second que le joueur, parce qu’il n’est pas forcément un sportif, devrait alors le droit de refuser. Or, dans les jeux cités (il y en a tellement d’autres, n’hésitez pas à compléter la liste), mon plaisir a été limité parce qu’il était conditionné par des conditions que j’estime abusives.
    C’est laisser trop de champ aux décisions du développeur, qui n’a pas forcément raison dans ses choix (quoiqu’il en pense) et trop d’emprise sur l’usage du jeu qu’il n’a fait “que” produire. Il doit, comme tous les autres créateurs, faire son deuil de la propriété de son œuvre une fois qu’elle est publiée, et laisser au joueur toutes les libertés de se l’approprier.

Par ailleurs, ces droits du lecteur ou du spectateur seraient un moyen de rassembler, autour des mêmes jeux, hardcore gamers et joueurs occasionnels (pour peu que ces catégories soient réelles ou opératoires) : proposer les mêmes découvertes à tous les joueurs, quelque soit leur niveau, est le seul moyen de les faire se rejoindre : imaginez un casual gamer qui bloquerait au premier niveau de Panzer Dragoon II, et ne vivrait jamais l’envol du dragon au milieu du deuxième. Quelle serait son image du jeu ? Sombre, musique passable, niveau brouillon ; l’accès direct aux niveaux aurait résolu ce risque ; et aurait pu le motiver pour y jouer plus sérieusement.

Finalement, ce serait simplement revenir aux bases, notamment aux jeux LCD : le joueur occasionnel (oui, il existait déjà, c’est pour lui que Gunpei Yokoi a inventé le Game&Watch) et le fanatique se distinguaient seulement par leur score, non par leur niveau d’exploration du jeu.

Notes

[1] Moins bon parce qu’on peut passer longtemps sur un jeu sans prendre aucun plaisir : Arkanoid DS, Virtua Fighter Evolution, tous les FF, que l’on soit bloqué contre un ennemi ou qu’on répète inlassablement les mêmes actions pour gagner de l’argent, améliorer des stats…