« Journalistes », « presse », on ne sait finalement pas trop comment les désigner (sans doute parce qu’ils ne sont pas l’un et plus l’autre dans leur immense majorité). En tout cas, depuis le doritos gate, ils prennent cher et leur indépendance est plus que largement mise en doute. 

Malheureusement, comme il est bien plus pratique de sacrifier un bouc-émissaire que d’aller au bout des questions, tout semble se résumer à filer des claques à un J.C. qui tend sans doute un peu trop la joue gauche quand il se prend des droites. 

Il y a quelque temps (quand on écrivait davantage), Game B ou moi aurions pu être parmi les premiers à lui jeter des pierres. Aujourd’hui, il me semble toutefois qu’on a sommé Julien Chièze de s’expliquer sur un peu trop de choses pour que le procédé ne frise la malhonnêteté et n’aboutisse qu’à cacher la forêt. 

Pour évoquer seulement l’émission d’Arrêt Sur Images (article payant), le voilà qui doit se justifier sur la navigation et la publicité envahissante du site Gameblog, le système des « ménages » (qu’il pratique), celui des présentations de jeu organisées par les éditeurs (que Gameblog accepte), qu’il n’est pas journaliste mais que, parfois, il fait tout de même un travail journalistique (ce qui est pourtant tout à son honneur, il devrait même le faire plus souvent, ça aurait évité certaines news contestables), etc.

Les forumeurs du site achevaient enfin le lynchage en l’accusant d’avoir monopolisé la parole. Il aurait pourtant sans doute moins parlé si le dispositif de l’émission avait organisé autre chose qu’un tribunal passablement orienté, avec à sa gauche Usul qui venait de sous-entendre tout le mal qu’il pensait de lui dans un édito (un poilou généralisant) et à portée de droite le rédacteur en chef de Gamekult qui, s’il est resté sur son quant-à-soi, n’en pensait manifestement pas moins.

Chièze bafouerait ainsi l’éthique journalistique par son mélange des genres entre critiques et présentation marketing. Or le fait est qu’il n’est pas journaliste : il le dit (pas assez systématiquement d’ailleurs car tout en se défendant d’en être, il dit aussi en faire partie) mais, surtout, il n’en a ni le statut, ni les avantages. Or, être journaliste, ce ne sont pas seulement des devoirs et une éthique, c’est aussi tout un ensemble de dispositions juridiques qui sont justement là pour permettre la dite indépendance (notamment des clauses de licenciement qui laisseraient rêveur tout ouvrier de la métallurgie et qui permettent, par exemple, de refuser une nouvelle ligne éditoriale). Il me semble donc tout à fait injuste de reprocher à un type sa conduite par rapport à des exigences professionnelles qu’il n’a pas à honorer puisqu’il en a pas les moyens. 

On critique donc ici et là la collusion entre éditeurs, RP, et « rédacteurs » (faute de mieux, je garde ce terme), la proximité de ces sphères professionnelles en évoquant les va-et-vient d’untel de l’une à l’autre, etc. Bouh les rédacteurs.

En tant que joueur n’ayant jamais goûté le moindre petit four, j’oserais tout de même dire, et dans une perspective tout aussi christique que le souffre-douleur de Gameblog, que nous devrions tous commencer par faire nous-mêmes notre examen de conscience avant d’exiger celui des professionnels.

Les rédacteurs seraient liés au marketing ? La belle affaire ! Et nous ? Que faisons-nous quand nous critiquons, par exemple, la présentation catastrophique de la Wii U lors de l’E3 2011 (« on ne savait même pas que c’était une nouvelle console ») ou le concept de la Wii U (« personne ne comprend rien »), sinon adopter exactement le point de vue du vendeur pas intéressé un brin mais qui devra pourtant refourguer la console à ses clients ? 

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Connaissez-vous vraiment une personne passionnée par les consoles qui n’a pas pensé à scruter les seconds plans de la présentation E3 pour vérifier si la forme de la console correspondait bien à la Wii ? Ou qui n’avait pas compris qu’il s’agissait d’une nouvelle console ? Sérieusement ? De la même manière, qui ne comprend pas le concept de la Wii U parmi les joueurs ? Pas son intérêt hein, son concept. Le système asymétrique est juste la base des 3/4 des jeux pour enfants. Jusqu’à la Wii U, personne ne s’était jamais plaint de la difficulté des règles du jeu du gendarme et du voleur.

Bref, chaque fois qu’on se plaint de cette manière, ce n’est pas le point de vue du joueur qu’on emprunte, c’est celui du commerçant qui ne sait pas comment vendre un produit au tout venant, ce qui devrait être la dernière chose à nous préoccuper. Rappelons-nous des débats autour du casual gaming d’il y a quelques années ; le « tout venant » ne nous semblait pas alors si important à séduire.

Ainsi, quand bien même certains rédacteurs seraient « achetés » par les éditeurs, au moins ont-ils un prix, tandis que nombreux d’entre nous jouent parfois les agents commerciaux à titre gratuit.

On pourra toujours demander aux rédacteurs d’être intraitables, de refuser les invitations, les présentations de jeux dans un hôtel, les fêtes et les cadeaux. Dans l’absolu, ce serait tout à fait normal, même si on peut considérer au contraire que c’est justement parce que c’est leur travail qu’ils parviennent à garder une certaine distance (le voyage de presse à Fukuoka, le dessin dédicacé comme l’invitation dans les studios de CyberConnect2 n’ont pas empêché Puyo d’être très réservé à propos d’Asura’s Wrath par exemple).

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Vidéo de la rencontre presse avec CyberConnect2 (Jeuxactu) et test sur GK.

Le fait est que non seulement la plupart des lecteurs ne l’exigent pas mais au contraire les envient pour ça : quand un blogueur célèbre reçoit un press kit pour le film Silent Hill Revelation et évoque à la fin de son billet la possibilité d’en faire la critique, que croyez-vous que les lecteurs lui répondent ? Que sa critique il peut se la garder parce qu’elle ne sera certainement pas objective ? Pensez-vous : seulement qu’il a bien de la chance, et qu’ils aimeraient bien avoir la même chose.

Plutôt que jeter l’opprobre sur une profession, inversons donc la perspective : finalement, par rapport à ce que ce serait si une bonne part d’entre nous étions à leur place, les rédacteurs sont incroyablement vertueux.