Source de l’image : Tom’s guide.

Difficile d’échapper à la réclame sur Wii Fit ces jours-ci. Tellement difficile même, que le coût de cette campagne explique sans doute une bonne part du décrochage de prix entre ici (90€ en Europe) et là-bas (environ 50€ au Japon et aux USA).
Pour autant, quitte à les supporter, on aurait aimé des publicités moins vides de sens.

Ceci est une réclame. À quoi sert cette réclame ?



J’ai récupéré ces deux pubs dans des magazines people. Respectant la sobriété typique du marketing Wii, elles sont construites selon le même modèle : une silhouette à gauche, dont la posture sans doute exagérée est typique des désagréments quotidiens de la vie dans une grande ville (cahots des transports en commun, poids des mallettes ou des sacs à main, talons hauts) et une colonne sur fond bleu dans la partie droite.
L’œil est amené à parcourir la page de l’image à la seconde colonne, puis de lire celle-ci de haut en bas, fortement guidé par une flèche de direction. On y retrouve une sentence (une mauvaise posture perturbe votre équilibre corporel) et plus bas, en gras, la conclusion de la publicité, essayez ce plateau, liée par la syntaxe (le déterminant « ce ») et la proximité à une photo de pieds sur ce qu’on imagine correspondre au « plateau ». La publicité se clôt enfin par le nom du jeu, et son slogan.

Ces deux publicités fonctionnent également de la même manière du point de vue du discours : elles se présentent comme un raisonnement inductif, un discours qui part du cas particulier pour aller au cas général.
Les deux silhouettes de gauche représentées en plein déséquilibre servent ainsi d’exemple pour la suite du discours : ces deux cas particuliers sont généralisés par un énoncé dans la colonne de droite, rédigé au présent de vérité générale : une mauvaise posture perturbe votre équilibre corporel.
L’exemple de gauche, le présent de vérité générale comme la connotation de froide objectivité du fond bleu, en confortent la crédibilité. On ne se rendrait presque pas compte que ce message est avant tout un pléonasme : évidemment qu’une mauvaise posture perturbe l’équilibre. Sans blague.

L’expression équilibre corporel est toutefois ambiguë : veut-on dire équilibre de la masse corporelle ou, au sens figuré, santé du corps ? Rien ne permet ici de décider, les pubards jouant sans doute volontairement sur l’imprécision.

J’ai parlé de raisonnement, il est pourtant mené de manière particulière. Ces deux publicités le construisent sans connecteur logique, sinon une flèche un peu indigente. Ainsi c’est au spectateur de reconstruire l’argumentation ; tout d’abord en reliant l’exemple et sa généralisation, seulement juxtaposés dans la réclame, puis en créant entre la sentence et sa conclusion l’équivalent syntaxique de la flèche.
La supercherie de cette réclame se loge justement dans ce tour de passe-passe, qui laisse au spectateur le soin de se convaincre lui-même.

L’objectif de la réclame est clair : essayez ce plateau (le terme est par ailleurs impropre, un plateau est plutôt un support plat permettant de transporter ou de poser quelque chose).
Une flèche signale une relation de conséquence, voire une relation de cause à effet. Toute la question réside dans cette alternative : le plateau a-t-il un effet ou est-il seulement un effet ? Ce plateau doit-il résoudre la perturbation de l’équilibre corporel ou seulement le vérifier ?
Le slogan en bas (que veut dire exactement prendre soin ?) comme la photo (où le déséquilibre correspond à chaque fois à celui de la silhouette) ne permettent pas plus de se décider (ce qui finit par poser un problème de raisonnement : si le plateau vérifie le déséquilibre sans le régler, la flèche devrait être inversée : la conclusion ne serait alors qu’un argument de la sentence).
Ici encore, la publicité laisse planer le doute, et compte sur le malentendu généré par la flèche pour persuader sans rien affirmer.


Le graphique me rappelle les pénibles premières minutes de Rythm Tengoku qui mesurent votre rythme…

La troisième publicité, plus jolie et plus explicite, n’en reste pas moins aussi ratée. Le pavé de texte reprend les arguments apportés précédemment par les dessins – je rétablis les connecteurs logiques implicites :

L’équilibre est un important facteur de bonne santé corporelle. [Or] Un mobilier mal adapté, un sac trop lourd ou le stress quotidien peuvent provoquer une mauvaise posture. [Et] Cela pourrait affecter, à long terme, vos organes internes et vos muscles.
Alors le 25 avril, montez sur ce plateau.

La blancheur du fond et du short, le vert comme le discours hygiéniste, basculent cette publicité vers la communication de santé publique. Comme les deux autres réclames, la dimension ludique est complètement évacuée, comme le nom même de Nintendo d’ailleurs, j’avais oublié de le dire.
Outre que cet appauvrissement du produit est sans doute un peu casse-gueule d’un point de vue marketing, elle est source de malentendus : on pourrait comprendre qu’il s’agit d’un service, et pas d’un produit ; que nous dit-on en effet ? Le 25 avril (et pas à partir du 25), montez sur une balance et évaluez votre équilibre. On dirait une campagne de prévention ; rien en tout cas qui laisse présager 90€ de dépense, plus une console.

Campagne de prévention peut-être, mais de quoi ? Le risque semble bien faible : cela pourrait [conditionnel] affecter [oui mais dans quelle mesure ?] à long terme [c’est bon Mario, tais-toi] vos organes internes et vos muscles.
Les marques de modalisation sont trop nombreuses pour être honnêtes. À force de prudence, la pub noie l’intérêt du machin.
Elle répond tout de même au passage aux questions posées par les précédentes réclames : il s’agit d’équilibre intra-corporel, mais le plateau ne propose qu’une évaluation de notre posture, et pas sa correction pour soulager nos organes internes (lesquels, dans quelle mesure et de quelle manière ils sont affectés, on ne saura pas).
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ces précautions étaient déjà celles des responsables japonais[1].

Outre les connecteurs logiques, il manque cruellement quelque chose pour juger de l’effet réel du plateau : la caution scientifique.
Elle relève de l’argument d’autorité, qui exploite la crédibilité d’une personne reconnue et prestigieuse pour en faire profiter un produit. Nintendo connaît bien, et en abuse pas mal d’habitude : La méthode mathématique du professeur Kageyama, le Programme d’Entraînement Cérébral du Dr. Kawashima, etc. (voir pour ce dernier l’artisanale utilisation d’un argument d’autorité avec Michel Cymes).
Rien de tout ça ici. Or il aurait bien fallu l’autorité d’un scientifique pour que ces publicités ne semblent pas reposer sur un argument fallacieux, la pétition de principe : qu’est-ce qui prouve en effet qu’un déséquilibre externe temporaire peut devenir un déséquilibre interne permanent ? Rien dans la publicité en tout cas, et c’est bien le problème.

Un concept entre deux balances

La communication autour de Wii Fit est aussi pressante que bancale.
Si en France elle rencontre un problème linguistique supplémentaire (le “balance board” des anglophones n’a rien à voir avec notre balance - “weighing scale”), elle vient d’abord de l’originalité du concept lui-même qu’elle n’est pas vraiment parvenue à assimiler (malgré le nouvel usage du terme “plateau”).

Cependant, même pour les anglophones, il reste de toute façon un problème de terme, le “plateau” n’étant pas non plus un balance board : le balance board est un appareil mobile de travail sur l’équilibre. De vrai travail sur l’équilibre : si on se manque, on tombe. Au contraire, le Wii Balance board est un instrument de mesure, fixe, auquel ont été rajoutées des fonctions propres aux pèse-personne et une utilisation à mi-chemin entre le jeu (télécommande pour les pieds dit un développeur), l’hygiène et l’exercice physique. Autant dire qu’il est d’une richesse assez extraordinaire.


Balance Board, Balance et pèse-personne. Source des images : wikipedia, articles correspondants.

Les publicités qui fleurissent dans les métros (Ceci est un plateau. À quoi sert ce plateau ?) essaient maladroitement d’aborder la nouveauté de l’engin : elles commencent ainsi par définir l’objet (“un plateau”), en l’écartant de ce qu’il n’est pas (une balance).
L’échec des publicités est tout entier déposé dans la deuxième phrase : sa lourdeur syntaxique (la répétition du nom commun) annonce le discours tautologique des trois publicités (une posture déséquilibrée déséquilibre), et sa tournure interrogative n’annonce rien de bon : d’après les trois publicités papier, ça n’a pas l’air de servir à grand-chose.

Notes

[1] Cette frilosité est constante dans les Iwata Asks qui lui sont consacrés. Par exemple Miyamoto et Iwata (c’est moi qui souligne) :

Plus qu’un objet destiné à entretenir sa forme, Wii Fit doit aider à prendre conscience de son corps. Il peut aider à faire de la santé un sujet de conversation dans les familles, et aider ses membres à mieux se connaître.

Iwata en remet une couche :

Le fait de parler avec ses proches de sujets tels que l’équilibre et le poids peut amener chacun à prendre conscience de son corps et, pourquoi pas, à vivre de façon plus saine.

Le “pourquoi pas” vaut son pesant de bullshit, comme le bénéfice de Wii Fit qui laisse songeur : faire parler la santé dans le cadre familial.
Pourtant Wii Fit, à condition d’une pratique sérieuse, est peut-être le seul jeu Nintendo ayant un impact positif et vérifiable sur la condition physique, voir the great experiment de Vinnk.