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La fin de l’année 2010 fut remarquable en termes de promotions dans le jeune marché des jeux vidéo dématérialisés. Les plateformes comme Steam, Xbox Live Marketplace, ou le Playstation Network ont rivalisé d’offres de réductions allant parfois au-delà de -50%. Mais quelles conséquences peuvent avoir ces pratiques issues de la vente de produits réels sur du contenu immatériel ? Et quelles influences auront-elles sur le joueur consommateur ?

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Affaires de la semaine sur le XBLM du 21 au 28 décembre derniers :

  • Super Meat Boy : 800 points, réduction de 33%
  • Comic Jumper : 800 points, réduction de 33%
  • Toy Soldiers : 800 points, réduction de 33%
  • Banjo Tooie : 600 points, réduction de 50%
  • Castle Crashers : 600 points, réduction de 50%
  • Risk Factions : 400 points, réduction de 50%
  • Afterburner Climax : 400 points, réduction de 50%
  • Borderland’s Claptrap : 400 points, réduction de 50%
  • Carcassonne : 400 points, réduction de 50%

Et croisées à celles-ci, chaque jour de la semaine précédant le 31 décembre, se présentaient des offres supplémentaires pour la journée. Limbo était par exemple à -33% uniquement le dernier jour de l’année.
Tous les services proposent des réductions hebdomadaires tout au long de l’année. Mais si Steam et le PSN affichaient eux aussi des rabais pour les fêtes, c’est le marché de la Xbox avec ses réductions flash disponibles pendant 24 heures qui poussa le concept le plus loin.

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A l’origine, dans le monde réel, les soldes concernent les invendus d’une saison, proposés à la vente depuis au moins un mois. Et les dates sont déterminées par le préfet du département après consultation des organismes de professionnels et de consommateurs. Sur internet manifestement, chacun fait ce qui lui plait. L’entreprise décide et les joueurs votent avec le porte-feuille.
Les jeux et contenus désignés ne le sont pas en fonction de leur ancienneté ou de leurs chiffres de vente, comme on pourrait le voir en magasin et avec les collections “Playstation Platinum” ou “Xbox Classics”. Par exemple, Super Meat Boy profitait d’un prix réduit pour sa première semaine de sortie.
Ces réductions sur des produits virtuels sont donc arbitraires et non-motivées, et ne permettent de tirer aucune conclusion certaine du genre “tel jeu est en réduction parce qu’il s’est mal vendu”.

Cours-y vite !

Le problème des soldes virtuels c’est qu’une fois terminés, dans leur grande majorité, les prix remontent à leur origine. Ces courtes promotions ne pressent donc le consommateur non plus avec une quantité limitée, mais avec une limite dans le temps.
Ainsi, si vous achetez Castle Crashers sur Xbox Live maintenant, vous allez payer le même produit deux fois plus cher qu’il ne valait il y a quelques semaines. On se voit ainsi acheter, sans envie immédiate de jouer, par peur de regretter plus tard la promo manquée.
Alors que le premier argument du dématérialisé était la disponibilité diffuse et permanente, il est maintenant devenu un marché que des promos peuvent dynamiser. Et cerise sur le gâteau, les joueurs ne peuvent pas se les prêter ou se les revendre. Un joueur correspond à un achat : le bonheur de l’industrie.

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L’effet sur le comportement des joueurs

Ma personne ne profitant pas de l’universalité d’un Julien, je ne peux parler que pour mon cas et vous inviter à partager les expériences dans les commentaires en fin d’article. Merci.
Ma découverte des soldes dématérialisés se fit donc sur iPod Touch. Ne devant pas assumer le budget d’un iPhone, j’avais plutôt bien accueilli les jeux chiffrés en centimes d’euros. Il y a même des démos quelquefois, et à ce prix là, la déception ne coûtait pas cher. De plus, sur l’AppStore, les promos virevoltaient. Certains jeux sont gratuits durant une journée grâce à des offres comme le freeappaday. Il arrive donc, si on surveille ces évènements, de voir passer gratuit un jeu qu’on a payé.
C’est là que j’ai décroché.
Un jeu que j’ai payé, me disant “gna gna ça va direct dans la poche du développeur c’est un geste fort de consommateur je suis trop un rebelle responsable gna gna”, et bien le lendemain il est gratosse pour tout le monde. Marquant la futilité de mon geste et la perte d’une somme qui, même si ridicule, a été épargnée à d’autres.
Évidemment, à ce moment là, je me dis que je vais surveiller ces fluctuations de prix grâce à des sites comme AppShopper. Me voilà alerté des changements de prix au jour le jour pour les jeux que j’ai sélectionnés. Autant dire tout de suite que ma consommation a chuté de manière significative. Et mon temps de jeu sur l’appareil a suivi puis, cercle vicieux, je ne faisais même plus attention aux alertes.

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Variations de prix pour Street Fighter 4 sur iPhone (Source AppShopper). Si t’as payé huit euros, bravo, t’es le roi des pigeons.

Si ça n’a pas de prix, c’est gratuit

Le temps passe et, au détour d’un article sur Kotaku, j’apprends qu’il est très facile de “jailbreaker” l’appareil pour en customiser les menus. Vu qu’Apple c’est comme les consoles : c’est joli, c’est à toi, mais tu ne touches à rien, et comme la manipulation à l’époque se faisait en tapant une simple URL, j’allais pas me priver.
( D’ailleurs deux choses m’ont toujours mené au piratage : la possibilité de personnaliser et de comprendre quelque chose qui m’appartient (réminiscence d’une jeunesse à cyclomoteur sûrement), et l’envie de jouer à des jeux inaccessibles par souci culturel ou de basse rentabilité des éditeurs.)
Je découvre donc Installous, un logiciel qui permet de télécharger la plupart des applications plus simplement et plus efficacement qu’avec iTunes. Sans payer, ça va plus vite vous me direz.

Si ça me plait, je paie…

…mais pas parce que je suis un consommateur responsable que les pauvres développeurs gna gna. Par exemple, Epic Win, je le paie car l’appli est régulièrement mise à jour. Des améliorations sont appliquées très rapidement en se basant sur les retours des utilisateurs, à travers la page Facebook par exemple. Si je veux continuer à passer outre, il faut alors que je trouve et installe à chaque fois la dernière version piratée.
Il est plus simple de payer bien volontiers son concepteur et de profiter paisiblement des updates.

Voilà tout mon propos : quand les jeux sont bradés, vendus à télécharger buggés sans patch à l’horizon (Scott Pilgrim : The Game, DeathSpank : T.O.V), avec des variations de prix inexpliquées, le message que l’industrie m’envoie est “à partir de combien es-tu prêt à te faire enfiler ?”. C’est l’édition même qui abolit la valeur du travail des développeurs. Un joueur et un programmeur savent ce que coûte et vaut une expérience de jeu. Le Bobby Kotick (patron d’Activision) et son armée du marketing, ce qui les intéresse c’est à quel prix le jeu se vend et en combien de temps.
Et je pense encore une fois que ce sont les intermédiaires de ce genre qui pourrissent le système et dénaturent le produit. Ils n’y apportent aucune valeur et augmentent le budget de production pour se payer grassement. Comme ça l’a été pour la musique, avec l’incompétence des majors, et le bouc émissaire du MP3. Comme ça l’est actuellement dans la filière du livre, avec l’incompétence et le mépris des éditeurs pour les auteurs, et l’excuse du passage au numérique. Et tout cela n’est pas la responsabilité de l’individu en bout de chaîne qui doit choisir entre manger ou se cultiver, mais des irresponsables qui vendent de la culture en barils et qui vous disent que si vous en achetez plus, il y en aura plus.



Affiche “Marre des soldes” par Richard G.