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Papy Ryu, militant pour de la baston à la cool.
Dessin de Gobi

Street Fighter 4 est formidable. C’est la quintessence du jeu de baston, le retour de celui qui l’a imposé. La prouesse a été de garder le système de jeu original et de le propulser en ligne et en haute définition pour que chacun puisse enfin se mesurer à l’ensemble des joueurs.
…Pour se rendre compte que ce n’est pas vraiment le jeu d’honneur et d’arts martiaux que l’on croyait. En fait c’est juste l’équivalent d’un Counter Strike en un contre un. Les adversaires ne cherchent pas la belle et honorable victoire mais répétent indéfiniment les mêmes routines. Le jeu se découpe ainsi en un éventail de coups de pute et de contres-coups de pute, et s’arrête là.

S’élever en marchant sur les autres

En affrontant Autrui l’Anonyme, on découvre naïvement un monde où les coups de pieds sautés se font en atterrissant dans le dos; profitant d’une confusion de collision pour le rendre imparable. Dans cet univers chaque boule de feu est précédée par un coup de pied moyen au sol l’empêchant d’être bloquée, au sein d’une combinaison de coup qui ne fait que commencer. Et la liste des combos de ce type est longue comme le bras de Dahlsim. C’est l’intérêt du jeu diront certains.
Et des miyons de joueurs ne peuvent mentir. Leur engouement réside dans la recherche et la maîtrise robotique de ces successions de boutons; qui n’ont rien à envier au plus perché des jeux musicaux. La finalité de la pratique est entière dans la domination et l’humiliation de l’adversaire, qui constituent un délice Freudien certain pour plusieurs générations d’adulescents ayant grandi sans l’image du père.
Parce que, à l’image de bien d’autres sports modernes, l’important reste une victoire écrasante qui signifie bien plus qu’un simple score au yeux des joueurs. Comme une victoire de l’OM sur le PSG redonnera le goût de vivre au plus à plaindre des RMIstes.

Les automatismes remplacent l’instinct

Malheureusement Street Fighter n’est pas Fight Club. On en ressort pas plus grandi par l’épreuve car le problème n’est pas de se dépasser, mais de dépasser l’autre par tous les cheats imaginables. On peut prendre un plaisir technique à regarder un match (“ouh c’est pas facile a faire cette combo”), mais rarement un plaisir esthétique. Malgré le soin du character design chez Capcom, les combats n’ont rien d’une chorégraphie de film de combats et rien n’y est exécuté par instinct. De telle manière qu’un petit coup de poing sauté mettra au sol le plus puissant des gros coup de pied aérien.
Chaque combat est donc l’affrontement de deux inconnus répétant leurs entrées de combo jusqu’à les faire passer pour augmenter leur capital de Battle Points en cas de victoire. Et, contrairement à d’autres systèmes, la défaite n’amène pas d’expérience mais en soustrait. Même si certaines tentatives improvisées de contre pendant le combat ont pu marcher, le personnage n’a rien appris car il a perdu au final.
Je sais que ces points établissent le classement et non l’expérience. Pourtant il mettent en avant un système où la défaite n’est qu’une perte de temps, et où ce qui ne vous tue pas vous rends plus misérable.

Descendre au niveau de l’adversaire pour gagner

Il est donc évident que Street Fighter 4 n’est pas un jeu casual. Faire une boule de feu avec une croix de direction est toujours aussi incohérent par rapport au stick d’origine; qui pouvait simuler un mouvement du corps. Remplacer les touches, de manière à avoir plusieurs boutons accessibles en un, ne règle pas l’impossibilité de faire plusieurs quarts de cercle à la suite tout en ayant une vie normale.
Si, à la limite, le game play avait été évacué de la possibilité de faire des combos chaque coup aurait alors son importance. La gestion des distances et de la pression permettrait à chaque adversaire de prendre du plaisir à la pratique et à l’apprentissage. Au lieu de cela, les plus expérimentés laisseront passer une attaque légère, car elle pourra leur permettre d’enchaîner la combo-à-douze-coups-qui-tombe-la-moitié-de-la-vie et d’assurer une nouvelle victoire. Et si tu veux gagner, il te faudra te péter les doigts à apprendre à la réaliser.
Que certains apprécient ce système est une chose. Que le jeu en ligne n’offre que ça et des salles de jeu virtuelles limitées à deux personnes réduit le plaisir de jeu à ce seul mode opératoire.

Réservé aux membres

Street Fighter est moins un jeu de combat qu’un jeu d’informaticien avide de jeu de rôle. Les système papier-pierre-ciseaux prend le pas sur tout réalisme d’art martial. Je lance 2D6 et mon envol poing fermé devant mon genou bats le meilleur coup de pied sauté de Bruce Lee. Ce qui ne se rattache à aucune expérience cinématographique ou réelle de la bagarre, c’est juste un jeu basé sur des règles aussi efficaces qu’abstraites.
Enfin Street Fighter 4 n’est même pas un jeu pour les fans de jeux vidéo. L’appât certain du succès immédiat nous a donné un jeu reniant plusieurs fonctionnalités de ses précédents épisodes. Les options sont trop peu nombreuses pour, par exemple, virer cette horrible musique de générique. Et à l’image de ce morceau de bruit R’n’Beurk qui sera vite has been, le jeu a été pensé dans l’air du temps mais ne survivra pas au cycle des saisons. C’est peut-être pour cela que la vache à DLC/collector a été traie le plus vite possible et que le gros des ventes a été établi les premiers jours auprès d’un public déjà conquis depuis un vingtaine d’années.

Street Fighter 4 Family Edition

Mais Street Fighter reste un excellent jeu (pour enfants hyperactifs élevés à DisneyLand). Pour ma part les coups bas et la fin justifiant les moyens représentent le monde du travail de tous les jours, et je les rends dans ce cadre là. Par contre l’argent et le temps que j’investis dans ma console le sont pour obtenir des sentiments positifs : de l’évolution d’une pratique personnelle (Rock Band) au jeu en équipe (GoW2, L4D, TF2), en passant par la joie de retrouver plusieurs amis dans des party game. Je n’ai pas payé tout cet équipement pour baisser le froc de mes camarades, et leur mesurer la zizette fiévreusement à coups de poignet.
Street Fighter me culpabilise d’avoir raté des mouvements inhumain, me juge par rapport à d’autres qui n’ont pas les mêmes intentions dans le jeu, me force à apprendre des suites de coups moches et illogiques, et me laisse une image peu honorable de mes congénères obsédés par la WIN. Je le laisse donc à ceux qui y prennent du plaisir, parce que moi je ne l’aime plus.

tu te plains que de jeunes gens qui n’y connaissent rien arrivent à te battre pasque le jeu est mal conçu en gros non?
Gobi, artiste-gameur à la cool.

Ergh.
Oui, un peu. Je ne dis pas que dans les autres jeux c’est trippant de perdre. Mais ici le plaisir est binaire, et la joie d’une victoire classieuse n’efface pas l’amertume des défaites moches. Donc mon sentiment d’être loser éternel prend le pas, et la route pour atteindre le niveau de Winners ne m’intéresse pas. Un Street Fighter du XXIèmé siècle aurait pu proposer d’autres manières de prendre du plaisir au jeu, plus rapprochées de la mode coopération actuelle (matches en équipe, défis multijoueurs, etc).
Et, en tant que perdant, je représente au moins la moitié des joueurs j’te ferais dire :p