Oui, parce que je veux encore causer jeux occasionnels (casual games), hardcore gamers et casual gaming

Au détour d’un article de Playtime, Laurent Checola, journaliste du Monde, rappelle ces résultats d’une étude américaine :

L’institut, qui a sondé près de 4000 personnes représentatives, a analysé les goûts culturels des citoyens américains, en fonction de leurs affinités politiques. Que le sujet soit conservateur, modéré ou libéral, le plombier italien arrive toujours en tête des suffrages.

D’après le sondage, les “Rouges” conservateurs représentent 37 % de la population. Ce public conservateur ne “joue pas beaucoup aux jeux, mais quand il le fait, Madden NFL et Mario sont ses jeux favoris”, précise Zogby. Les “Bleus” libéraux, qui “jouent beaucoup plus que les autres”, ont pour leur part une majorité relative de 39 %. Mario et les Sims sont parmi leurs favoris.

Quant aux “violets”, modérés (24% de la population), ils choisissent également volontiers Mario, mais aussi Donkey Kong et le jeu de football américain.

Il se demande notamment comment expliquer le succès de Mario, qui semble dépasser les clivages politiques (vous savez que j’ai ma théorie : Mario, en bon nain de jardin, est kitsch, et en cela peut plaire à tout prix et au plus grand nombre [parce qu’il est] la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion, selon Kundera).
Ce qui parait assez intéressant dans cette étude, c’est qu’elle montre aussi, biais mis à part*, que la pratique occasionnelle du jeu vidéo passe en majorité par des jeux qui ne le sont pas, si l’on définit, très rapidement, le jeu occasionnel comme un jeu qui a un budget très limité.
Mario, les Sims et Madden NFL, quoi qu’on en pense, sont des jeux d’une richesse aussi gigantesque que leur budget. Bref, la pratique du joueur peut détourner un jeu.
Ce qui n’est pas pour autant dire que le jeu occasionnel n’existe pas.

Le jeu occasionnel

Autre article, et là je commence à reprocher à l’auteur son manque de distance vis-à-vis du terme de “jeu occasionnel”.
Le jeu occasionnel existe. La preuve, il s’est même organisé un petit lobby pour le promouvoir : la Casual Games Association. Je vous laisse parcourir la liste étonnante de ses membres sur la page de leur site : Nintendo n’en fait pas partie, Adobe et Real si. La CGA regroupe des entreprises qui développent majoritairement en java et visant les téléphones portables, voire les sites de jeux flash. On devrait donc limiter le terme de casual games proprement dit aux jeux développés sur des plateformes qui ne sont pas des consoles, ou pas destinées prioritairement au jeu.


Vous saviez qu’Occasion était une déesse ? Et pas une sympa il parait. Source : utpictura18

Il faudrait aussi réfléchir sur le terme même de “jeu occasionnel”. C’est quoi, une occasion ?
Le dictionnaire parle de “moment favorable”, de “premier moment favorable”, mais aussi de moment quelconque. Le jeu occasionnel s’oppose donc d’une certaine façon au jeu “planifié”, prévu.
De plus, dire qu’il est occasionnel ne veut pas dire qu’il est fréquent ; il est seulement opportuniste. Dépendant du moment favorable, il peut donc aussi s’avérer très court.

On imagine dès lors quelques caractéristiques du jeu à usage occasionnel : le scénario est quasi inutile, la progression de la difficulté doit être assez forte pour créer rapidement un challenge et il doit offrir une replay value conséquente. Son prix et son accessibilité devraient enfin être adaptés pour transformer l’occasion en acte d’achat compulsif.
C’est exactement ce que proposent les entreprises de la CGA. C’est sans doute le cas de tous les jeux d’arcade et, assurément, c’est celui des Game & Watch et de tous les jeux électroniques qui proposaient en plus du jeu une ou plusieurs autres fonctions (heure, réveil, chronomètre, calculatrice…).

Et de la même façon que les joueurs peuvent occasionnellement détourner des jeux exigeants en temps et en implication, des jeux occasionnels peuvent devenir l’objet de pratiques assidues : par exemple Bakudan Man, un des premiers jeux LCD de Bandai (1981), n’est pas forcément prévu pour atteindre le score maximal de 19 990 points : la difficulté n’est rapidement plus croissante et rien ne vous en félicitera ; seule la passion d’un joueur transforme un jeu occasionnel en un jeu auquel on se consacre des heures durant.


Photo de gauche tirée du très riche site japonais Jun Amano’s Homepage.

Le jeu habituel


Dans le Programme d’entrainement cérébral du Dr Kawashima, un tampon crédite chaque jour d’exercice.

Rendre sa nature occasionnelle au casual gaming permet de donner ses lettres de noblesse à des jeux longtemps dénigrés ici : Kawashima, Wii Fit ou encore English Training.
Ces jeux peuvent partager avec les premiers un budget de développement relativement raisonnable (“peuvent” parce que j’ai bien envie d’inclure Animal Crossing dans cette catégorie). Ils partagent aussi avec les casual games un temps de jeu très court (dans Kawashima, il suffit de 3 exercices pour que le tampon du jour soit plus gros. Comme si lui consacrer 5 minutes plutôt que 2 paraissait suffisant aux développeurs).
Cette catégorie de jeux possède toutefois cette caractéristique d’être conçu pour le jeu au moins quotidien : dans Animal Crossing, il s’agissait de cueillir les fruits et d’acheter les objets du jour ; dans Wii Fit, c’est encore plus symbolique : on se pèse..

Dans sa dernière interview avec Miyamoto, Iwata récapitule ainsi le début du développement de Wii Fit : Donc au début, il n’y avait que trois personnes impliquées dans le projet, et le développement ne s’engageait pas au mieux. La seule consigne qu’avait reçue votre équipe était de mesurer son poids et de noter ce qu’elle mangeait.
Au début, Wii Fit n’était pas pensé comme un ensemble de jeux et avait une fonction hygiénique. Les mini-jeux ont été rajoutés à mesure du développement et de l’évolution de la balance.
Pour autant le plaisir reste, et c’est assez fascinant : la dictée, la pesée, le calcul deviennent des sources de satisfaction. Ce plaisir s’éloigne toutefois diamétralement de celui que l’on peut ressentir dans disons, un FPS. Il ne s’agit pas vraiment de maitriser le jeu, mais plutôt de se maitriser soi-même (pour Miyamoto, Wii Fit doit aider à prendre conscience de son corps).

Hardcore gaming ?

Reste donc à définir le hardcore gaming. Je différencierai encore le jeu (un jeu conçu pour être pratiqué longtemps et assidument) du joueur (le fait de jouer assidument, ce que l’on peut faire sur n’importe quel jeu donc) à cette remarque près : ce terme de hardcore, “noyau dur”, me pose problème, parce qu’il voile la réalité : le terme “hardcore” témoigne d’une vision “ethnocentrique” du jeu vidéo.

Le hardcore gamer n’a peut-être jamais été au “centre” de ce business ; qu’il le veuille ou non, il a toujours été à la marge d’un média qui, niches mises à part, s’adresse toujours au plus grand nombre.
Les auto-proclamés hardcore confondent leur date d’entrée dans le monde du jeu vidéo (qui peut être récente d’ailleurs, en gros avant la vogue des jeux occasionnels et habituels) et leur place réelle dans cet échiquier : pas grand chose.
On retombe ainsi sur les résultats de l’étude citée par Checola : la majorité du public ne joue pas, mais quand elle le fait, elle cite des jeux qu’on pourrait penser hardcore : parce qu’ils sont exigeants (Madden, une étude française aurait fait ressortir FIFA ou PES) ou anciens (Mario et cette étonnante percée de Donkey Kong).

* Les résultats précis étant payants, on reste avec des titres assez flous : on peut ainsi se demander à quel Mario les personnes interrogées jouent, s’il s’agit toujours du même. Plus gênant à mon sens, à quel jeu pensent-ils lorsqu’ils répondent “Donkey Kong” ? Le jeu musical ? J’ignorais qu’il avait rencontré un tel succès. Celui de 1981 ? J’en doute aussi. Voulaient-ils dire Mario encore ?