Le panzer de Rodin
Par Game A le 21 juillet 2011 - Now playing.4 minutes
Sait-on jamais ce qu’implique de réussir totalement quelque chose ? Pas seulement d’atteindre ses objectifs, d’être content de soi ou de se contenter de ce qu’on obtient, mais de parvenir à la perfection, à ce stade où tout désir, toute possibilité de mieux faire sont impensables ?
Que fait-on après un tel triomphe ? Dans quel état d’esprit ? Après une aventure de quelques heures, 3D Space Tank (Q-Games/Nintendo) permet de concevoir à quoi ressemble la perfection pour un défenseur de l’ordre.
3D Space Tank, X-Returns au Japon, est la suite d’un jeu aussi important que méconnu chez nous (X est sorti en 1992 mais n’a pas été commercialisé en dehors du Japon). Prouesse technique incroyable, le jeu affichait une 3D fil de fer fluide et convaincante sur Game Boy ; on imagine la surprise de la trentaine de pontes de Nintendo devant le moteur 3D développé par un programmeur de 18 ans, Dylan Cuthbert.
Dix-huit ans après, et après avoir régulièrement relancé Miyamoto, Dylan Cuthbert a pu reprendre les commandes du VIXIV pour un nouveau tour de tank, toujours en polygones taillés au ciseau mais en Gouraud-shading cette fois.
En débouchant sur Taros d’un tunnel de téléportation, on pouvait s’attendre à quelques scènes de liesse, de celles qu’on écarte faussement de la main, ce n’est rien, je n’ai fait que mon travail, comme chacun de vous : aux commandes du VIXIV, on venait pas moins d’annihiler la menace extra-terrestre sur Tetamus II. Mais la physique de la téléportation est complexe : une de ses lois, à coup sûr renvoyée en note de fin d’ouvrage, menaçait d’un paradoxe temporel de 20 ans lorsque certaines conditions étaient réunies, comme à la fin de l’aventure sur Game Boy.
À notre retour, vingt ans après l’exploit, le peuple n’a plus l’esprit à la fête : l’autre héros de l’époque, le commandeur, a su profiter de la disparition du VIXIV pour imposer son sanguinaire empire sur tout un système stellaire.
La vie de pilote de tank est un constant apprentissage de l’humilité : notre ancien supérieur vaincu, toujours aucune foule en délire pour louer notre bravoure. L’armée impériale a méticuleusement tué ou déporté la population de vingt planètes, après quoi, grâce à la puissance du VIXIV, on s’est occupé des militaires avec la même passion du chiffre (un pourcentage nous renseigne sur la présence des unités ennemis).
Tetamus II à part (on peut y rejouer à volonté l’affrontement final), les autres planètes sont irrémédiablement vides. Quelques bâtiments abandonnés tiennent encore debout mais la plupart des équipements ne sont plus opérationnels. Une fois la menace écartée à 100% (trois heures suffisent pour déboulonner l’empereur, mais on s’en voudrait d’abandonner trop vite cet univers esthétiquement si réussi), on appréhende alors l’immense solitude du guerrier qui a réussi parfaitement sa mission, l’ennui qui ne lâche plus la semelle.
Les dieux grecs n’avaient pas pensé à ce supplice, tellement plus pernicieux que celui de Sisyphe : permettez à un forgeron de réaliser l’arme parfaite. La lame en sera si fine, si tranchante, si solide qu’il sera incapable de croire qu’il a pu la façonner. Mortifié à l’idée qu’il ne pourra jamais faire aussi bien, il ne touchera plus un marteau de sa vie, maintenant qu’il a atteint malgré lui le sommet de son art, sans le maîtriser. Voilà, votre forgeron est brisé, éternellement.
3D Space Tank condamne au même sort. Une fois tous les compteurs bloqués (sous-missions, portails, points…), on tourne en rond autour de chaque planète, seul spectateur de certains panoramas magnifiques et de l’harmonie irréelle des couleurs. Mais le tableau n’est pas complet, il manque quelque chose à la beauté de l’ensemble ; du rapport social. Sans civils à protéger, sans ennemis à pourchasser, un guerrier n’est plus rien.
Tout pilote d’un appareil meurtrier qu’on est, on se dit que la guerre est aussi une façon d’exprimer son amour de l’autre, même si c’est avec des missiles. Ça vaut toujours mieux que l’indifférence et, surtout, d’être le dernier humain de tout un système stellaire.
3D Space Tank (X-Scape aux États-Unis, X-Returns au Japon) est disponible depuis l’an dernier sur DSiWare (800 points, 8€). Très court, il est également formidable, et c’est le principal joyau, avec Art Academy, des logiciels édités par Nintendo sur sa plateforme de téléchargement (quand Mario y croyait encore et qu’il se donnait les moyens de ses ambitions - pour info, il n’a plus édité de jeu depuis décembre). Comme la plupart des jeux dont la musique a été composée par Kazumi Totaka, le jeu possède un Totaka’s song (méthode) - c’est d’ailleurs X qui a baptisé la pratique.
Commentaires
“…on se dit que la guerre est aussi une façon d’exprimer son amour de l’autre, même si c’est avec des missiles. Ça vaut toujours mieux que l’indifférence…”
c’est beau.
C’est vrai que quand je tire dans le tas en jouant à GTAIV, c’est simplement un appel à l’amour et à l’échange social avec tous ces passants amorphes et indifférents.
C’est drôle, c’est exactement le même sentiment de solitude ludique que j’ai eu quand j’ai terminé Fable II pour la première fois ! J’étais surpuissant, j’avais sauvé le monde, pris le pognon au lieu de ressuciter les maris morts en esclavage des veuves d’Albion, les quelques survivants me huaient ou étaient effrayés, ne craignant même plus de prendre un coup d’épée. J’étais seul, terriblement seul, dans un monde qui refusait de m’offrir quoique ce soit de plus. Un héros chômeur est un héros MORT. é_è
Ca me fait le même truc après avoir fini disgaea.
Même si je peux encore augmenter ma force sur les armes.
Mais …. si c’est juste pour les chiffres …?
C’est la question du sens de la vie à l’interieur d’un jeu vidéo.
Déjà que c’est pas évident d’en trouver un à la vraie vie, alors le sens d’une vie de Sonic ou Mario surtout quand tu peux en avoir facile 99…
En fait, la seule chose qui donne du sens à la vie, c’est la mort non ?
Dans un jeu, y’a que quand on ne peut plus mourir qu’on se pose la question du sens de la vie du héros. En fait, le sens de la vie sur terre, si on regarde un peu la tendance depuis quelques millions d’années, on dirait que le but est de se reproduire, de perpetuer ses gènes vaniteux à travers quelque descendance plus ou moins organique. Dès lors, y’a-t-il des jeux vidéo qui ont appliqué le même principe ? Il y avait Creatures me semble-t-il ou des générations de petites bestioles pouvaient se succèder et évoluer… mais ce n’est pas exactement mon propos. L’idée serait qui si on ne joue pas au jeu, qu’on meurt trop souvent, ou si on n’arrive pas à battre le dernier boss, le jeu risquerait de mourir, de s’effacer ou pire de ne pas avoir de suite. Je tiens un concept ?
@alucardo : Je crois que Heavy Rain le fait. Le jeu prend en compte le fait que les personnages puissent mourir avant la “fin officielle”, un peu à la manière des “livres dont vous êtes le héros” à ceci près qu’il y a plusieurs héros.
Ensuite, que le jeu s’efface après l’avoir payé au prix fort, personnellement, je l’aurais en travers de la gorge. Ceci dit, il y a un jeu sur AppStore - dont j’ai oublié le titre - qui ne peut se jouer qu’une seule fois avant de disparaître. Est-il gratuit ? Je ne sais pas.
Il me semble aussi que Peter-je-te-fais-avaler-des couleuvres-Molyneux prépare un truc dans ce genre.
Après, je suis assez d’accord avec toi : il y a peut-être des concepts intéressants.
@alucardo : comme AAA, je crois que tu tiens un concept intéressant.^^
Il doit rester les Rogue-like avec permadeath. J’allais me la jouer Juju en expliquant que le fait de ne plus “avoir rien à faire” à la fin d’un jeu mais continuer à pouvoir s’y promener est une métaphore de la vie (genre comme les puissants de ce monde, qui ont tout mais n’estiment jamais en avoir assez et finissent par s’ennuyer…) mais on pourrait m’accuser de chercher à défendre Molyneux avec trop de véhémence :3.