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C’est d’abord un très bel objet, surtout dans sa forme « star », offerte aux membres platinum du Club Nintendo japonais en 2007.

Le potentiel du design pouvait ne pas sauter aux yeux en 1980 (il avait alors une forme de tonneau de plastique translucide, des billes opaques et une partie coulissante en plastique noire) ; aujourd’hui, il est indéniable : campé sur ses cinq colonnes transparentes remplies de billes translucides (elles ne l’étaient pas à l’origine), le Tenbillion («10 milliards ») est vraiment magnifique.

Le mécanisme n’a pas la complexité du Rubik’s Cube sur le succès duquel il voulait surfer (une partie qui coulisse décalant d’un cran en haut ou en bas trois colonnes et deux étages qui tournent déplaçant cinq compartiments de deux billes chacun), mais son ingéniosité compense largement : en trois mouvements (c’est très agréable à manipuler à propos), les billes sont sens dessus-dessous, la partie commence.

D’ailleurs, le potentiel ludique n’a échappé à personne à l’époque, au Japon bien sûr mais pas seulement. S’il n’a peut-être pas été commercialisé à grande échelle en France, il a toutefois reçu un excellent accueil en Allemagne (de nombreuses annonces en proposent encore sur les sites d’enchères, sous le nom « Teufelstonne », baril du diable).

Le Star Tenbillion est donc si joli au départ qu’une fois ce bel ordonnancement cassé après quelques manipulations, l’angoisse ne manque pas de monter très vite : comment va-t-on faire pour retrouver l’alignement impeccable de ses 23 billes ?

C’est que son nom allemand est loin d’être usurpé, la difficulté est en effet diabolique : 4 000 milliards de possibilités ! Certes, le Rubik’s Cube en aurait beaucoup plus (43 milliards de milliards de combinaisons*), mais le puzzle de Nintendo en offre largement plus qu’assez pour abandonner de dépit, à tel point que Gunpei Yokoi lui-même, au moment de sa conception, ignorait comment le résoudre :

Ce casse-tête, je l’ai vraiment développé par-dessus la jambe. Vous voulez une preuve de ma désinvolture ? Le fait que j’étais moi-même incapable d’expliquer comment résoudre les problèmes de mon propre jeu devraient vous suffire, non ?

Takefumi Makino, Gunpei Yokoi, Pix’n Love éditions, p.56.

La difficulté du jeu obligera finalement Nintendo à éditer une brochure pour les vendeurs, afin de répondre aux plaintes des clients.

Extrait de la brochure de conseil

Entre-temps, « c’est un autre utilisateur qui est parvenu à trouver la réponse et qui a eu la gentillesse de venir me [Gunpei Yokoi] l’expliquer. Je buvais ses paroles,comme s’il avait été lui-même l’inventeur du jeu ! Je me souviens ensuite avoir fait une apparition télévisée dans laquelle j’expliquais, comme si c’était évident, comment jouer et vaincre au Tenbillion ! » (ibidem, p.57).

Il me semble qu’on peut voir de ce point de vue le Tenbillion comme un symbole ; celui de vouloir commercialiser un produit sans avoir à se charger du service après-vente. C’est peut-être le même espoir qui faisait dire fin 2010 à Miyamoto, à propos du Virtual Boy que

si vous le considérez comme un jouet amusant, c’est déjà un franc succès si vous en placez 50 000. Les ventes générèrent un certain bouche à oreille et dépassèrent 100 000, puis 200 000 et enfin 500 000 exemplaires, ce qui est une plutôt bonne progression. C’était une bonne tendance. Vu sous cet angle, le Virtual Boy était, à mon avis, un jouet intéressant. Pour ceux qui l’ont vu ainsi, je pense que c’est toujours un produit intéressant, mais si vous le mettez en avant et […] si vous le considérez comme une plate-forme de jeu, c’est un échec.

Je pensais qu’il aurait déjà été très amusant avec 5 très bons jeux. […]

La même tentation est sans doute à l’oeuvre dans leur manière de multiplier les fonctionnalités de leurs consoles ou les périphériques, aussitôt lancés et aussitôt négligés : dans un cas comme dans l’autre, ils n’ont jamais d’idée précise de ce qu’ils pourraient en faire et comptent un peu sur les développeurs tiers. Cet espoir est évidemment vain, chaque génération de console l’a prouvé : Nintendo ne peut compter sur les autres pour faire vivre ses machines.

Heureusement, en ce qui concerne les Tenbillions dans le désordre, une fois n’est pas coutume, un tiers est venu à leur secours : Jaap a développé une application javascript pour y jouer mais surtout résoudre n’importe quelle combinaison. Vous ne savez pas à quel point vous le remercierez.

 

 

* Je reprend benoîtement les chiffres de l’article wikipédia. En 1980, la communication autour du Rubik’s Cube se limitait modestement à annoncer « plus de trois milliards » de possibilités (image), ce qui placerait donc Nintendo et ses « 10 milliards » dans une surenchère de bon aloi.

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Le Tenbillion est sorti en 1980 pour 1000 yens (soit dans les environs du prix du Rubik’s - 69,9 FR en 1980, mais il faudrait les prix des deux objets au Japon et en Allemagne pour comparer), l’année même où le Rubik’s Cube était désigné « jouet de l’année ». En parlant de l’Allemagne, le Tenbillion y était déjà commercialisé en 1981 si on en juge des dates de parution des brochures qui lui étaient consacrées (ici ou  ou encore ce dōjinshi). Je ne comprends pas grand-chose aux brevets mais je me demande si celui du Tenbillion n’est pas tombé dans le domaine public aux Etats-Unis en 1997. En tout cas, le brevet validé en décembre 1983 avait une validité de 14 ans. Le Star Tenbillion est trouvable sur les sites d’enchères pour une trentaine d’euros (sa photo est d’ailleurs empruntée à ce vendeur). Les autres images proviennent de l’excellent beforemario.com.