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L’annonce d’une baisse de prix de la 3DS a rendu tout le monde euphorique : les journalistes se sont empressés de focaliser leur papier sur les pertes de l’exercice en cours (338 millions d’euros), les boursicoteurs de faire dévisser l’action aussi sec (-14% aux États-Unis) et les joueurs de flairer la bonne affaire.

La baisse de prix, qui a été confirmée dans la foulée en Europe par Nintendo, est inédite : comme il le souligne dans un communiqué, Mario n’a jamais « réduit de manière aussi significative le prix tarif d’une de ses consoles moins de 6 mois après son lancement ». On se rappelle que Satoru Iwata se méfiait de ces baisses de prix, notamment parce que « lorsque l’étiquette de prix d’un modèle baisse au fil du temps, les fabricants incitent les consommateurs à attendre » (novembre 2008) et que « l’effet ne peut pas durer très longtemps » (mai 2009).

Une telle baisse risquait également « d’affecter la confiance [des] clients les plus importants aux yeux de Nintendo », les braves qui avaient « soutenu » la console dès son lancement : Nintendo les récompensera d’une vingtaine de jeux à télécharger dans son catalogue Virtual Console. Pour tous les autres, qui rechignaient devant une tentative de « montée en gamme » (belle escroquerie, puisque 6 mois après la console perd 70€), c’est donc une excellente nouvelle. C’est bien la seule.

La baisse de prix de la console ne témoigne en effet ni d’une prise de conscience de Nintendo (« désolé on a été trop gourmands »), ni d’un échec de la console : 4 millions de consoles vendues dans le monde en juillet, ce n’est pas une déroute, c’est un résultat objectivement considérable. Il n’est décevant que relativement, parce que Nintendo espérait les atteindre dès fin mars. Les joueurs qui relaient l’idée d’un échec adoptent en fait le point de vue des actionnaires ou des analystes financiers. (Il est vrai que les médias qui égrènent systématiquement les variations du CAC 40 et que la publication hebdomadaire des chiffres de vente des consoles et des jeux nous y habituent insensiblement.)

Annoncée conjointement avec des résultats d’exploitation négatifs sur le premier trimestre, cette baisse de prix signale donc essentiellement la dépendance de Nintendo face aux attentes du marché. Or la plupart des investisseurs ne partagent ni la culture, ni les attentes des joueurs, du moins en premier lieu : ils attendaient un résultat positif de 1,3 milliard d’euros en fin d’année fiscale, Nintendo n’en espère plus que cinq fois moins. Iwata doit donc les ménager et limiter l’effondrement de l’action en promettant des années fiscales qui chantent. Le geste ne trompe personne cependant, et demeure quelque peu désespéré (Mario ne prévoit pas que l’augmentation des ventes compense la baisse de prix cette année).

C’est dans ce contexte que la baisse de prix de la 3DS doit inquiéter les joueurs, parce que son caractère exceptionnel est une conséquence de l’importante fébrilité du marché : non seulement les investisseurs « ne croient pas que la Wii U soit un produit innovant » (Iwata, début juillet), mais ils reprochent également à Nintendo de ne pas investir dans les secteurs qui leur semblent porteurs, social games et smartphones. Au secours.

Si la 3DS n’est donc pas l’échec qu’on veut nous faire croire, il y a par contre un vrai ratage, celui du planning des consoles depuis deux ans : l’annonce de la 3DS en mars 2010 comme sa présentation lors de l’E3 en juin 2010 étaient une erreur, la 3DS est sortie trop tôt (février 2011 au Japon, mars en Amérique du Nord, Europe et Australie). Elle a précipité la retraite de la DS qui avait encore de beaux restes (début juillet, Pokémon Blanc et Noir sont encore dans le top 5 des ventes en France) et assassiné la DSi XL.
Mario aurait mieux fait de présenter la console lors de l’E3 du mois dernier en vue d’une commercialisation cet automne. Ce délai lui aurait permis d’aligner des franchises plus solides et un eShop fonctionnel dès le lancement, au lieu de quoi elle a vampirisé la DS et la DSi pour pas grand-chose.

Steel Diver Steel Diver
Sorti quelques mois après la 3DS, Steel Diver était au départ un DSiWare.

Le report de la 3DS aurait également permis de reculer d’une année l’annonce de la Wii U qui a été elle aussi absurdement hâtive : présenter une console sans rien d’autre que des cinématiques ou des idées de gameplay (comme Battle Mii ci-dessous), sans savoir combien de tablettes elle pourra gérer simultanément ou à quoi elle ressemblera, c’est assez incroyable. Dans un tel flou, le désert qui s’annonce la première année sur Wii U permet d’ores-et-déjà de relativiser la légèreté actuelle des plannings 3DS.

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3DS pour l’E3 2011, Wii U pour juin 2012… Qu’aurait dû proposer Nintendo pour l’E3 2010 ? Mario aurait mieux fait d’annoncer la commercialisation de la Wii HD dont Gameblog jurait de l’existence sur tous les toits  : les utilisateurs de Wii attendaient-ils autre chose de toute façon qu’une résolution qui rende justice à la quinzaine de très bons jeux de la console ? A l’évidence, le renouvellement du parc de Wii ne promettait pas à l’époque les mêmes perspectives de gains que celui de la DS. On voit où ça a mené Nintendo.

Quoi qu’il en soit, Nintendo a préféré griller toutes les étapes, aboutissant à la situation actuelle de la 3DS (et à un pronostic réservé pour la Wii U). Ce n’est sans doute pas sans rapport, en 2009, 60% du chiffre d’affaires de l’entreprise provenait du matériel (essentiellement des consoles donc), or Nintendo doit rendre compte de ses résultats aux investisseurs et gommer autant que possible l’effet du cycle des consoles sur eux (le concept du cycle est difficilement compatible avec une croissance annuelle à 15%). On trouve peut-être là une des raisons qui ont mené Mario à précipiter la fin de la DS et de la Wii au profit de la 3DS et de la Wii U : annoncer puis sortir une nouvelle console était à court terme le levier le plus simple pour améliorer les résultats et limiter la grogne des actionnaires.

Cette fois-ci, les joueurs ne sont pas les perdants de l’opération, ils auront une console à bon prix (ce qui ne règle pas la question des jeux même s’il reste Mii en péril ou les 3D Classics pour patienter). Il n’est pas évident que ce soit toujours le cas à l’avenir.



La photographie d’origine est de Raymond Wong. Plusieurs liens proviennent des twitters de Gueseuch ou de Gyotoa.