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Pour ma cent-soixante-seizième heure de Rock Band 2, j’envoyais du bois sur la variété des percussions du morceau Pinball Wizard des Who. Trippant comme à chaque fois au rythme des couleurs en plastique, tombaient sur moi les souvenirs du Magicien de mon enfance qui faisait des choses incroyables sur la borne d’arcade du village.

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Pinball Wizard est une chanson tirée de l’opéra rock des Who : Tommy (photo). Les paroles écrites par Pete Townsend sont directement associées à l’histoire du Tommy en question, qui laisse pantois un champion de flipper confiant ses impressions en musique.

Ever since I was a young boy
I’ve played the silver ball
From Soho down to Brighton
I must have played them all
But I ain’t seen nothing like him
In any amusement hall
That deaf, dumb and blind kid
Sure plays a mean pinball

He stands like a statue
Becomes part of the machine
Feeling all the bumpers
Always playing clean
He plays by intuition
The digit counters fall
That deaf, dumb and blind kid
Sure plays a mean pinball

He’s a pinball wizard
There’s got to be a twist
A pinball wizard
He’s got such a supple wrist

How do you think he does it?
(I don’t know)
What makes him so good?

He ain’t got no distractions
Can’t hear those buzzers and bells
Don’t see lights a flashin’
Plays by sense of smell
Always gets a replay
Never tilts at all
That deaf, dumb and blind kid
Sure plays a mean pinball

I thought I was
The Bally table king
But I just handed
My pinball crown to him

Even on my usual table
He can beat my best
His disciples lead him in
And he just does the rest
He’s got crazy flipper fingers
Never seen him fall
That deaf, dumb and blind kid
Sure plays a mean pinball

Wizball

Voilà des sentiments d’émerveillement, d’humilité, et de respect pour la dextérité d’un homme face à une machine qu’on croyait si bien connaitre. La machine, c’était pour moi une de ces bornes d’arcade en contreplaqué que l’on pouvait trouver en province dans les années 80. Placée à coté de jeux d’argent aussi électroniques qu’illégaux, on en trouvait dans de nombreux bars de village peut-être plus pour écarter les enquêtes des services de l’ordre que pour distraire les habitants du coin.
Toujours est-il que, en secret de ma maman qui acceptait plutôt mal l’idée qu’un enfant prépubère traine dans un débit d’alcool et de tabac, j’y passais l’essentiel du temps séparant l’école du repas familial. Les pièces de cinq francs étant rares à cet âge, l’essentiel de mon activité de joueur était l’observation de l’écran derrière l’épaisse fumée soufflée dans mes petits yeux par des ados moqueurs. Mais les humiliations ne suffisaient pas à m’enlever toutes ces images de personnages pixellisées, que je redessinais maladroitement une fois revenu dans le cocon familial.

Arcade Wizard

L’homme apparut alors que la saison était celle de l’étude d’un certain jeu de football. Hat Trick Hero, ou Football Champ pour le nom sous lequel je l’ai connu, est le plus réaliste des jeux de ballon rond jamais réalisé. Car le jeu de Taito posséde, outre les évidents passe et tir, un troisième bouton : le gros coup en travers de la figure.
Il permet ainsi un coup de poing immobile ou un superbe coup de genou sauté. Il y a bien sûr un arbitre pour siffler les fautes, mais faut-il encore qu’il soit sur l’écran de jeu pour les constater. Son embonpoint ne l’aide pas vraiment à suivre l’action au plus près, et il suffit de le frôler pour qu’il s’étale face en avant dans le gazon. Pour marquer, un équilibre peu subtil de violence et de sport est nécessaire.
Du vrai football comme à la télé, quoi.

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Mes dix francs hebdomadaires dépensés, le décompte du “continue ?” arrivait à son terme. Pendant ma partie, il avait déposé sa pièce sur la machine, réservant poliment mais fermement la prochaine. D’autres suceurs de cigarettes ne se donnaient pas cette peine, loin de là. Je me retrouvais le plus souvent poussé sur le côté, quelqu’un jouant ma partie à ma place (violons).
L’homme n’était pas bien grand, ni très costaud. Pour tout dire, j’ai le souvenir qu’il avait la démarche un peu gauche de celui qu’un accident n’a pas tué, mais n’a pas rendu plus fort non plus.
Il s’installait à la machine, et c’est la première personne que je voyais manipuler le manche par le dessous, entre le majeur et l’index. Sur l’écran, les premiers matches s’enchaînaient comme une routine. A 6-0, on voyait bien que son but n’était pas encore la victoire, juste l’extravagance contre les équipes les plus faibles du jeu. La partie n’allait commencer qu’en quart de finale, contre la Hollande ou l’Allemagne de l’ouest.
Arrivé là, la tête jusqu’ici nonchalante du Magicien était maintenant appuyée sur le néon de la borne, les gestes devenaient courts et rapides. Il avait le regard vide du Super Player, de celui qui joue pour oublier le reste, de celui qui va tout donner parce que, pour une fois, on lui demande d’être au maximum de ses capacités.
N’oubliant pas de mémoriser les techniques les plus utiles pour mes prochaines parties, je découvrais un jeu qu’il me semblait connaitre sous toutes les coutures. Ainsi, un débordement suivi d’un centre en arrière pour une reprise au ras du gardien permet de marquer à coup sûr.
Mais pour arriver en demi-finale, il en faut bien plus. Il faut traquer l’ordinateur, tacler chacun de ses amortis, et distribuer les bourre-pifs en surface. Un rythme effréné d’actions et de réactions qui sont le seul moyen d’approcher la Coupe du Monde. Et mes yeux n’étaient déjà plus qu’étoiles, soufflé par tant de dextérité, et perdu que j’étais entre l’infini de mon ignorance et celui des possibilités cachées d’un jeu vidéo.

Goooooooooool !

Vint alors le Super Shoot. Du centre du terrain, suite à une manipulation que je ne connais toujours pas, un joueur de son équipe s’envolait. Avec un affichage en gros plan, que je croyais réservé au effusions homophiles d’après but, le personnage plaçait un coup de pied sauté dans le ballon. Déformée comme dans un dessin animé à succès de l’époque, la balle entrait de plein fouet dans le gardien, qui traversait avec elle le filet des cages pour aller s’écraser quelque mètres plus loin. Laissant dans le mur la marque du goal, comme l’impact de cette image dans mon esprit.

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La plupart du temps, l’homme échouait en finale. La machine restait la plus forte, immuable et insensible à la sueur et aux dents serrées de ceux qui lui passaient dessus. Pour elle, il n’était pas différent des autres. Il jouait plus longtemps pour moins de crédits, mais le temps ne compte pas pour une machine. Moi par contre, je prenais pour la première fois conscience de l’évolution qui pouvait séparer deux joueurs de jeux vidéo, mais surtout du long chemin qui m’attendait et qui me laisserait le temps de m’amuser avant d’atteindre son niveau.
Un jour pourtant, la victoire fut sienne. Au lieu d’une course exaltée dans les rues avec la chemise sur la tête, il eu un bref sourire. Puis dans un soupir ses yeux se fermaient, frottés par des mains revenues au calme. Ce n’était pas la machine qui avait été battue, mais l’homme par lui-même. Et cette victoire lui apportait un peu de paix tandis qu’il commandait un autre pastis. Dans le coin, j’étais encore sur la machine. J’attendais que le long générique final arrive à son terme. Car le Magicien m’avait offert son deuxième et dernier crédit, dont il ne devait plus avoir besoin.

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Pinball Wizard est aussi le titre du premier chapitre du tome 4 de Debaser (image en exclu !). A ce propos Raf est en dédicace cette semaine à Lille, Nantes, et Paris. Si vous venez de ma part, vous aurez un sourire et un dessin plus joli que les autres.