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Peut-on comprendre l’amour que certains portent à la série The Chykyuu Boueigun (EDF pour faire simple) si on en a pas acheté un épisode dans un bac à soldes, sur la seule promesse de son titre et de minuscules vignettes peu convaincantes ?

Dès le premier jeu sur PS2, volume 31 de la collection budget Simple Series édité par D3, le concept était aussi fort que ressassé : détruire tout seul ou à deux une armée extraterrestre. Tout annonçait le kusoge, les premières minutes le confirmaient (maniabilité douteuse, caméra mal pensée, modélisation limite), et pourtant le jeu était génial, notamment pour ses références décomplexées aux films de monstres et à la science-fiction.

Mais, à mesure de ses épisodes et de son audience grandissante, la série se débat avec une aporie : comment développer son identité quand on est d’abord un pastiche ?

Pour une bonne part, il semble que ces questionnements passent largement au-dessus des fans de la série : ils ont ainsi plébiscité Chikyuu Boeigun 3 (EDF 2017 chez nous) qui n’apportait pourtant rien. Tout juste Sandlot, le développeur, a-t-il ajouté royalement un exosquelette, un ennemi (une sorte de cheval de Troie) et relié deux environnements jusque-là distincts (la crique de Tsugawa et un paysage vallonné).

Sur bien d’autres points, il marquait au contraire un net retour en arrière : remake sans l’avouer du premier épisode PS2, il abandonnait un grand nombre des apports de sa suite (PS2, 2005) : la chair à canon extraterrestre était réduite au minimum* (fourmis, araignées et ovnis), comme le nombre d’armes et d’environnements. On y perdait même sur Xbox360 le deuxième personnage jouable (et cosplayable) du 2, Palewing.

Promo PSVita
Yoshiki Risa en Palewing et Minoru Kawasaki pour la promo d’EDF3 sur PS Vita.

Du deuxième, EDF 2017 ne conservait en fait que les araignées, les nids de petite taille et les niveaux souterrains (partiellement encore car il n’y a plus de passage dans le métro). 

Quand le principal argument de vente mis en avant du futur Earth Defense Forces (sic) 4 est un nouveau personnage féminin, on peut cerner à quel point la série se complaît dans une zone de confort particulièrement étroite.

Mais le joueur d’EDF n’est pas du genre à se plaindre. Il sait qu’à chaque nouvel épisode il faut préalablement mettre la caméra sur manual, les commandes sur advanced, supporter la maniabilité douteuse des appareils (et éviter de les utiliser), ne pas attendre le moindre easter egg et ne rien espérer du côté des graphismes, de la fluidité ou de la physique. Le contrat signé depuis 2003 est immuable et Sandlot ne fait pas de zèle. En échange on a toujours eu un jeu dynamique, difficile et jouissif, et pour cette raison on lui a toujours tout pardonné.

En sous-main pourtant, la série vit une révolution. Les changements sont apparemment si peu nombreux d’un épisode à l’autre qu’on a pu aisément manquer la solution que D3 apporte à son dilemme, continuer de copier ou se singulariser : il semble ne plus vouloir assumer le pastiche et devenir son propre faussaire.

En abordant la série avec Earth Defense Force 2017 (2006), ou Insect Armageddon (2011), on peut en effet manquer une bonne part du plaisir énorme que procuraient les épisodes PS2 : EDF fleurait alors franchement la série B.

Si le titre japonais comme le design des vaisseaux ennemis sont empruntés sans complexe un film de 1957 réalisé par Ishirō Honda (Prisonnière des Martiens en France, sorti en 1957), les fourmis semblent directement provenir d’un autre film catastrophe de la période, américain celui-là (l’excellent Them!, Des Monstres Attaquent la Ville !, 1954).

Il en allait de même pour les monstres géants qui « s’inspiraient » sans la moindre gêne de Gojira (Godzilla), Mecha Gojira et même Baby Gojira (dans EDF2). Ajoutons enfin des uniformes au look vintage totalement Ultraman, le pied était total.

Vallak
Vallak Saurus, à mi-chemin entre Gojira et Gomora, kaiju emblématique d’Ultraman.

La kitschissime publicité de l’adaptation Vita d’EDF3 peut laisser croire que la série maintient toujours le cap de la parodie, mais rien ne serait plus faux.

Eric Peterson, dont le studio s’est occupé d’Earth Defense Force: Insect Armageddon, s’en étonne d’ailleurs (site d’origine de l’interview fermé) :

« À ma grande surprise, nous avons rapidement compris que, dans l’esprit des développeurs japonais, Earth Defense Force était un jeu très important au sujet sérieux. »

EDF est en effet devenue une licence essentielle pour D3, loin devant OneeChambara. Le fait même qu’un épisode soit externalisé dans un studio américain n’est qu’une étape d’un changement d’orientation qui a commencé dès EDF 2017 (sorti uniquement sur Xbox 360 sur console de salon, comme par hasard), voire même avec EDF2, qui démarrait par une bataille face au Palais de Westminster : insensiblement, la série abandonne le pastiche et l’univers du film de genre japonais**.

Si les décors ont gardé un charme nippon invariable***, les vaisseaux de 2017 ont ainsi troqué les coloris Go Nagai pour le métal rutilant façon Enterprise, tandis que les uniformes remisent l’United Nations Scientific Investigation Agency d’Ultraman pour se rapprocher de vagues treillis paramilitaires.

Quant aux monstres géants, ils n’ont plus grand rapport avec les productions de la Toho, et si l’on doit trouver un cousinage au Vallak Saurus, il faudra plutôt le chercher chez le Godzilla de Roland Emmerich.

Peut-on mettre sur le compte de ce même tropisme américain l’exosquelette d’EDF3 et les premiers screenshots du 4 qui insistent beaucoup sur les nouveaux joujoux motorisés (appareils pourtant traditionnellement inutiles) ?

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En tout cas, la seule chose que Nobuyuki Okajima, producteur des premiers jeux et conseiller sur EDF:IA, a exigé que Peterson et Vicious Circle conservent sont les fourmis et les araignées, c’est-à-dire précisément ce qui ne vient pas des films de monstres japonais, dont le Chikyuu Boueigun de 1957 ! 

Il est sans doute obligatoire, à mesure que la visibilité de la série augmente, que D3 et Sandlot abandonnent les emprunts les plus visibles. Toutefois, en cherchant simultanément à contenter leurs juristes et à séduire un nouveau public, pas sûr que quiconque y trouve son compte. 

Evidemment, il restera de « vastes environnements destructibles avec des vagues d’insectes géants et de robots » (Peterson)… Il manquera pourtant aux joueurs et aux développeurs l’excitation d’un univers sans propriété intellectuelle et à Earth Defense Force l’essentiel de ce qui le singularisait : sa manière toute à lui d’avoir ponctionné d’autres œuvres.




Earth Defense Force est essentiellement développé par Sandlot pour l’éditeur D3. Il est sorti sur PS2, PSP, Vita et Xbox 360. Le premier est sorti sous le nom Monster Attack en Europe, le deuxième a connu une diffusion confidentielle sous le nom Global Defence Force, a priori uniquement au Royaume-Uni. Comme ses grands frères sur PS2, « Force de défense terrestre 2017 » se trouve assez facilement dans les bacs à solde à moins de dix euros. 

Earth Defense Forces 4 sortira en 2013 sur PS360.

 Note à propos du titre : le lyzander Z est l’arme ultime du jeu qui en compte jusqu’à presque 300 dans EDF2. Les armes s’obtiennent en tuant des insectes, par drop aléatoire. Autant dire que le lyzander est rare et n’apparaît que dans les derniers niveaux en difficulté maximale.

* on peut compter 6 types d’ennemis en moins, dont deux vaisseaux, un mille-pattes géant. Plus de nid d’insectes grand comme un immeuble non plus.

** Occidentaliser le jeu était d’ailleurs un objectif majeur des développeurs de Vicious Circle pour Insect Armageddon, comme l’écrit Jim Richardson, lead designer du jeu, sur Siliconera :

Quand nous avons commencé EDF:IA, une de nos idées principales était de l’occidentaliser un peu, de le rendre plus accessible au public américain et européen. EDF 2017 était un jeu très japonais, ce qui faisait une grande part de son charme. C’était en même temps un vrai jeu de niche. Je ne vais pas parler de chiffres mais 2017 n’a pas été vendu à beaucoup d’exemplaires aux Etats-Unis. Et, pour le meilleur comme pour le pire, l’industrie du jeu c’est d’abord ça, une industrie où les ventes dirigent tout.

*** Et pour cause, les décors sont globalement identiques aux deux premiers jeux, quelques détails en plus (jolies maisons sur la côte) ou en moins (immeubles en construction du quartier pavillonnaire).