Dans ce qui devait être le dernier jeu du développeur, son « chant du Cing », Kyle Hyde apprend au début de Last Window son expulsion de la résidence Cape West où il logeait.

Il aura fallu toute la misanthropie et la négligence du personnage principal d’Hotel Dusk pour ignorer jusqu’au dernier moment la vente de l’immeuble et sa destruction programmée : l’avis d’expulsion attendait depuis assez longtemps dans la boite aux lettres pour étouffer sous les dépliants publicitaires, et c’était le principal sujet de conversation entre ses voisins.

Cet aveuglement, je le reconnais bien, j’ai souffert du même avant d’être mis devant le fait accompli et de poser un œil blasé et qui louche sur les annonces de l’après-Wii ou les présentoirs 3DS. Le bail est expiré, et on me convie à gentiment abandonner mes consoles pour passer à autre chose.

La destruction du Cape West comme le renouvellement des consoles ont cet autre point commun d’avoir la spéculation pour principal motif, et leurs usagers comme premières victimes : rien ne justifiait aujourd’hui la fin de vie de la Wii, la DS, encore moins celle de la PSP : leur coût, relativement important, est enfin amorti par les heures passées à les utiliser, les jeux sont de plus en plus convaincants (pour la Wii, Monster Hunter Tri, Kirby, on pourrait en citer dix), et certains d’entre eux connaissent même des ventes astronomiques, impensables il y a quelques années (Dragon Quest 9, les Monster Hunter sur PSP…).
Quant aux nouvelles consoles, elles engendrent au mieux de nouveaux besoins dont les joueurs se passaient jusque là (motion gaming, HD, 5.1). Au pire, elles ne changent rien. Que l’on puisse faire technologiquement mieux est une chose, que la majorité des joueurs le désire s’il faut repasser à la caisse en est une autre.

Les seuls bénéficiaires du cycle de consoles sont donc, et sans équivoque dans un premier temps, les constructeurs. Ce sont également les principaux coupables de l’asphyxie des générations précédentes*, par calcul (pour forcer les joueurs à changer de console) ou par impossibilité logistique ou marketing de mener les deux de front.

Le Wiiware et le DSiware sont un bon exemple de cette asphyxie provoquée artificiellement : Nintendo n’a plus commercialisé un de ses jeux depuis octobre aux États-Unis (Snapdots et Thruspace) et décembre chez nous (Spin Six et Hydroventure), alors qu’elle n’a pas encore puisé dans tout son catalogue déjà sorti au Japon.


Snapdots, pas sorti chez nous, est une repompe du génial Guru Logic Champ tandis que Spin Six reprend les mécaniques de Nonono Chai Alien, deux jeux GBA.

Les éditeurs y trouvent sans doute aussi un intérêt, puisque qu’aucune console n’a survécu à son abandon par le constructeur (qui, il est vrai, est également un fournisseur de jeux important). Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un étonnant pari pour les éditeurs : combien d’années faudra-t-il avant de retrouver une base d’acheteurs potentiels sur 3DS/NGP équivalente à celles de la DS et de la PSP ?

La presse spécialisée n’est pas en reste dans l’opération, et reprend avidement les chiffres de ventes des consoles. Ces brèves sont souvent l’occasion d’une analyse de haute volée, où chaque baisse conduit à la même conclusion (360 au Japon mise à part) : une nouvelle console s’impose. On pourrait voir dans cette déduction un aveu de leur positionnement économique, en tout cas de leur grande facilité à adopter le point de vue des constructeurs**. S’ils préféraient celui des joueurs, la conclusion serait différente : on achète une console à contre-cœur paraît-il, et la remplacer n’est pas plus plaisant.

Les changements de génération sont une période de crise pour les joueurs. Si les acheteurs précoces de nouvelles machines comme ceux restés sur les anciennes n’en « souffrent » apparemment que par le plus faible nombre de jeux commercialisés, le malaise est plus profond : les joueurs ne sont pas une population captive, pas plus d’une marque particulière (Sega ou Sony…) que de la pratique elle-même.

Chaque nouvelle console, chaque saut de génération divise la communauté des joueurs. Bien sûr, la division n’est pas une mauvaise chose en soi, l’opposition entre utilisateurs de Megadrive/Super Nintendo ou de Saturn/PlayStation créait paradoxalement de la cohésion à l’intérieur de ces groupes (serait-ce trop dire qu’elle structurait la communauté, comme autant de piliers ?). Aujourd’hui, j’ai surtout l’impression que les nouvelles machines vont la fragiliser : combien de personnes arrêteront de s’intéresser aux jeux, faute de sorties sur leur « ancienne » console ?

Cette division des joueurs, on l’a ressentie sur ce blog même : on est par exemple quelques-uns ici à n’être jamais passés sur 360 ou PS3. Quant à la DSi, au dernier recensement nous étions quatre à en posséder une - à tous les autres à propos, désolé de parler autant des Dsiwares : c’est une des conséquences fâcheuses de la segmentation du marché. Je regrette d’ailleurs beaucoup la période PS2/DS (au début du blog en fait) : au moins les machines formaient un « consensus » entre nous qui facilitait le partage et les discussions. Enfin je crois.

J’en tire donc les conclusions qui s’imposent : client docile jusqu’à aujourd’hui, achetant au moins une console par génération et beaucoup de jeux, désormais la coupe est pleine, comme mes placards. Je ne passerai pas à la prochaine génération, quoi qu’elle propose, à moins d’un accord entre les constructeurs pour commercialiser une seule machine. Ou d’une offre genre OnLive où le joueur n’a pas à renouveler sa console à chaque nouveau processeur bon marché. Ou que Nintendo sorte une DS3.




* Steel Diver, Nintendogs + cats étaient sans nul doute des jeux DS avant d’être basculés sur 3DS. Pikmin 3 que l’on a vainement attendu sur Wii subira le même sort. C’est d’autant moins acceptable que ni la Wii ni la DS n’ont apporté tout ce qu’elles pouvaient, leur cycle s’achève sans que la boucle soit bouclée : le Wii Motion Plus aura servi à dix jeux (en gros, Zelda compris), Nintendo n’aura jamais développé un jeu exclusif à la DSi, etc.
** Comme le rapport de résultats de Nintendo en 2010 nous l’apprend, le chiffre d’affaire de l’entreprise repose principalement sur le hardware, à hauteur de 60% (et à 0,2% sur les cartes à jouer, on pense à elles).

La formule latine Ne Varietur signifierait « que rien ne soit changé ». Je connaissais pas non plus il y a trois jours, ne vous en faites pas.