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Les pontes de Nintendo ont récemment déployé les éléments de langage contre le marché du jeu sur les smartphones/tablettes. Tout y est passé, du trop grand nombre de logiciels disponibles à leur prix trop bas, de leur faible qualité aux risques qu’ils font courir à l’industrie tout entière et à « l’emploi de ceux qui en font leur carrière ».

On ne s’étendra pas sur leurs arguments, personne n’y a cru ; la position de Nintendo était de toute façon délicate : ici ils ne veulent pas de jeux à 100 yens mais en développent pour deux cents points (200 yens donc), là ils refusent les développeurs dans leur garage tout en voulant attirer les studios indépendants, notamment avec « une barrière d’entrée minimale » (qu’il dit Reggie).

Il ne faudrait pas balayer leurs avertissements pour autant : il est possible que le grand public refuse à terme de dépenser 50€ pour un jeu, qu’importe sa qualité et « le cœur » qu’y a mis Hideki Konno, et préfère des jeux peut-être moins riches en contenu mais beaucoup moins onéreux.

Le seul problème de leur joli discours est finalement que Nintendo a sa part de responsabilité dans le déclin de qualité (du moins d’ambition) des jeux vidéo, et la réalité augmentée, qu’il va populariser à coup sûr, en sera la prochaine étape.

Faute de pouvoir s’amuser avec des jeux plus conventionnels peut-être, les cartes RA (pour Réalité Augmentée) semblent d’ores-et-déjà la principale activité des possesseurs enthousiastes de la 3DS.


Mii à l’échelle Iwata et grandeur Tetsujin 28-gō.

La Guerre des têtes comme les « jeux en RA », pré-installés sur la console, ont également fait leur effet lors des présentations. Il est vrai que la 3DS ne fait pas qu’incruster des objets (ce que proposaient déjà tous les logiciels exploitant une caméra - de la gamme EyeToy à l’application photo de la DSi), elle est capable de les restituer en relief et de suivre les mouvements du joueur grâce à son gyroscope. Bref, on va en manger à toutes les sauces.

Mais au delà de l’exploit technologique, qu’est-ce un jeu de réalité augmentée ? Pas grand-chose d’intéressant d’un point de vue narratif : rien qu’un jeu qui décline toutes les formes de l’invasion, des plus sympathiques (partie de pêche virtuelle) aux plus angoissantes, comme dans ce DSiWare annoncé depuis deux ans, Ghostwire :

Cette courte vidéo de présentation du jeu (toujours sans éditeur à l’heure actuelle) est intéressante car elle illustre la grande faiblesse de ce genre tout jeune : ne maîtrisant pas son environnement, le jeu est incapable de créer une atmosphère sans l’assentiment du joueur. La réalité augmentée exige donc bien davantage qu’une suspension de l’incrédulité : pour que le jeu « fonctionne », le joueur doit carrément participer à la mise en scène. Dans l’exemple caricatural de la publicité de Ghostwire, cela implique de jouer dans un immeuble abandonné éclairé à la bougie ; en plein jour dans un McDonald’s, le jeu n’aura pas le même impact.

C’est donc faire porter une lourde responsabilité à l’utilisateur, ce que les développeurs éviteront à coup sûr ; il est ainsi probable que les jeux en RA se limiteront au jeu d’adresse, sans autre prétention qu’amuser le court temps qu’on voudra bien lui consacrer.
Pour prendre un exemple chez Nintendo, c’est le retour à l’ambition des tout premiers Game & Watch, qui proposaient une situation de jeu sans contexte ni justification.

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De ce point de vue, réel et virtuel fonctionnent comme des vases communicants : la réalité augmentée, c’est du virtuel appauvri. Oubliez l’immersion dans un autre univers, les paysages envoutants ou les batailles épiques : l’Aventure s’accommode mal d’un décor de cuisine.

L’idée de supprimer le décor ne pouvait évidemment pas effrayer Nintendo, dont les compilations d’épreuves sans scénario ni personnages ont été couronnées de succès (les deux Wii Sports, Wii Play…). Que la 3DS soit si bien équipée pour la réalité augmentée était donc l’étape suivante, logique : il ne restait plus grand-chose d’autre à sabrer. Reste qu’à force de retrancher des éléments fictionnels de leurs jeux, on peut se demander à quoi va tenir la qualité « jusque dans les moindres détails » dont Satoru Iwata se prévaut et qui distinguerait leurs productions des logiciels sur mobiles.




On peut lire les récentes déclarations de Satoru Iwata lors de la GDC ici. Hideki Konno a (étonnamment) exprimé les mêmes conclusions que son patron récemment. Sur les développeurs indépendants et les amateurs, on peut consulter l’interview de Reggie Fils-Aime par Gamasutra. Enfin, préparant le terrain à la GDC, Reggie développait déjà la thèse de jeux iPhone à la fois vendus à un prix trop bas et trop pauvres en contenu.