The Sky Crawlers pourrait être un cas d’école du transmédia : romans à l’origine, cette série japonaise a été adaptée en mangas (illustration ci-dessus), film d’animation et enfin jeu vidéo sur Wii édité par Namco…

Le jeu, The Sky Crawlers : Innocent Aces, n’est assurément pas la meilleure entrée pour apprécier l’histoire de la licence malgré les longs intermèdes animés et les discussions radio entre les pilotes durant les combats. Se déroulant chronologiquement avant le film d’animation de Mamoru Oshii, il en évoque tout juste les thèmes (la vie, la mort, le clonage…) ; les personnages mêmes sont différents, à l’exception d’un, sans grande importance dans le film. Il ne faudra donc attendre aucun éclairage sur la lutte aérienne acharnée que se livrent deux compagnies privées, Rostock et Lautern, à travers l’espace aérien européen.



Les formes des avions du jeu très inspirées des chasseurs utilisés pendant la Seconde Guerre Mondiale finissent cependant de convaincre que Sky Crawlers tient de l’uchronie, d’un univers qui aurait bifurqué entre 39 et 45.
En s’intéressant aux lieux des batailles, on remarque que la géographie y est aussi alternative que l’histoire.

Les briefings de missions sont en effet perturbants pour un Européen : telle mission d’escorte à Nabaru, telles batailles à Rudakai, Ubasama ou Shikibo… Difficile de reconnaitre une quelconque racine germanique, italique ou celtique à ces toponymes. De même, les pilotes de la Rostock (du nom d’une ville allemande…), tous japonais, indiquent assez clairement le moment de divergence entre la vérité historique et l’univers du jeu.


Les pilotes lisent des journaux japonais mais la population parle anglais.

Si les toponymes changent, quelques localités rappellent que Project Aces, le développeur du jeu, a depuis Ace Combat 6 un accord avec GeoEye qui commercialise les photos haute-définition prises par ses satelites Ikonos et GeoEye-1. Outre sa localisation sur la carte de mission (en lieu et place du Mont Saint-Michel), les textures du château de Togakuten ne laissent aucun doute sur son modèle.

Le rocher a beau avoir été éloigné du littoral (ce qui augmente astucieusement le stress en retardant le combat au-dessus du château), on reconnaît ainsi dès le premier coup d’oeil les chenaux en tresse qui enserrent les bancs de sable :


Là les couleurs ne donnent rien mais en vrai (dans le jeu), c’est superbe.

Même chose pour l’abbaye qui a été paresseusement grimée en château : plus d’arcs-boutants pour maintenir le chœur gothique de l’abbaye, mais quelques tours et les ruines d’un pont en pierre.


Togakuten à gauche, Mont Saint-Michel en 3D (Google Earth) en médaillon.

On reconnaît par contre tout le reste, de la forme du rocher aux remparts caractéristiques de l’abbaye.

Pour tous les autres lieux, la correspondance est moins évidente : les clichés d’Ikonos sont davantage utilisés pour disposer de textures convaincantes que pour coller à la réalité (contrairement à H.A.W.X. d’Ubisoft ou au prochain Ace Combat sur PSP par exemple). On pourra ainsi rêvasser longtemps sur l’urbanisme d’Ubasama, fantasme hausmannien et ville insulaire entièrement structurée par un gigantesque rond-point terminé de quatre arcs de triomphe :



Bizarrement, la carte qui situe chaque mission ne reprend pas les toponymes utilisés dans les dialogues ou les menus mais garde les nôtres : Ubasama se trouve ainsi en Allemagne, Rudakai sur la côté italienne et la base de la Rostock en République tchèque (pas loin d’Austerlitz).



Elle demeure cependant bien farfelue. Quelques frontières ont disparu (mais pas les noms des pays pour autant) : aucune ligne ne sépare l’Allemagne de la Pologne, les Pays-Bas du Danemark, ou l’Italie de la France par exemple.

Copenhague n’est plus un port et l’ancienne île de Sjælland se trouve en continuité territoriale avec la Suède (on ne fera pas de remarques sur l’expansion territoriale des anciens pays de l’Axe et d’un pays neutre/bienveillant envers eux, c’est sans doute un hasard).

Plus cocasse, il y a maintenant deux Helsinski. Outre la capitale de la Finlande, on trouve une ville du même nom à la frontière russe. Celle-ci ne remplace aucune ville d’importance dans notre continuum - à part Usvyaty (7000 habitants) et Velizh (moins de 10 000), pas grand-chose dans le coin. Peut-être était-ce justement un problème pour le graphiste : ça créait un grand vide sur la carte. C’est bien commode l’histoire-géographie alternative finalement.

La carte enfin n’est pas tout à fait à jour pour un jeu sorti en 2008 : si les pays nés de l’éclatement de l’URSS en 90, 91 sont bien là (Biélorussie, Lituanie…), on distingue encore la Yougoslavie, telle qu’elle existait entre 1992 et 2003 (année au début de laquelle le nom “Yougoslavie” a été abandonné). De même on voit la Slovaquie qui n’a acquis son indépendance qu’en 93.

Pour un jeu censé se dérouler dans un univers parallèle, l’utilisation d’une carte à ce point inscrite dans notre histoire contemporaine est quand même décevante. Le problème est moins visible dans le film puisque la carte n’apparait que furtivement.



La faute provient-elle du romancier lui-même - ou des illustrateurs de ses bouquins ? Le premier roman date en effet de 2001, soit une année où la carte était encore grossièrement valable. On comprend mal en tout cas l’utilisation de cette carte qui jure avec les toponymes utilisés par la série (il ne s’agit pas de noms de code, puisqu’ils sont aussi utilisés lors des extraits télévisés ou radios que l’on peut surprendre au cours du jeu).

La cohérence géographique de Sky Crawlers n’est donc pas le fort du jeu, l’histoire contre-factuelle non plus : cette drôle d’histoire de kamikazes clonés sent quand même mauvais dans ses présupposés de divergence historique (l’Axe qui gagne, yerk). Pour le reste, le jeu est une réelle réussite, notamment pour sa maniabilité à la wiimote

Je sais ce que vous pensez, un jeu agréable à la wiimote (sans motion plus), ça c’est vraiment alternatif.

 

 

The Sky Crawlers : Innocent Aces est sorti en octobre 2008 au Japon (où il a fait un bide, moins de 10000 exemplaires en un mois) et en février chez nous. Le capteur infrarouge n’est pas utilisé au cours du jeu, d’où la réussite de la maniabilité (c’est le vrai talon d’Achille du bricolage de Mario). L’inclinaison du nunchuk permet de diriger l’avion, la Wiimote à la verticale ou à l’horizontale de varier sa vitesse. Les manoeuvres sont simplifiées à l’extrême et c’est assez magnifique. Le snaking était au contraire une technique exigeante de Mario Kart DS qui permettait de “serpenter” très rapidement sur les circuits. On est d’accord, les titres c’est toujours pas mon fort.