La zona
Par Game A le 30 janvier 2009 - Ça dénonce grave.6 minutes
Le hasard des plannings a rapproché deux jeux Nintendo cet hiver, Mother 3 (GBA) et Animal Crossing : let’s go to the city (Wii). Ils partagent aussi apparemment un cadre rural, mais c’est trompeur : ils s’opposent absolument dans leur conception de cette ruralité.
Mother 3 débute dans le village de Tazmily. Vision idéalisée de la vie en petite communauté, les villageois vivent dans l’ignorance de la ville, de son argent et de ses méfaits écologiques et sociaux - le méchant se chargera de les initier. La conception de son scénariste, Shigesato Itoi, est sans nuance aucune, la ville y étant un lieu de vice, de solitude et de tristesse sans appel, aux antipodes de la Tazmily du départ.
Le discours d’Animal Crossing parait sensiblement identique. Le nouvel épisode ne change pas la formule depuis la version N64 : il s’agit de cultiver son jardin et son réseau social au sein d’une petite communauté campagnarde de PNJ. Le titre japonais (Doubutsu no mori, la forêt des animaux) insiste d’ailleurs sur le caractère champêtre du lieu ; et si l’appellation de “forêt” est quelque peu exagérée, le cadre incontestablement bucolique prête à l’écoute du rythme des saisons.
Comme dans Mother 3, le rapport à la nature est extrêmement valorisé. Pour autant ce rapport à la nature est biaisé, et le sous-titre de l’épisode Wii, “let’s go to the city”, dévoile le pot aux roses : loin d’opposer la ville à la campagne, Animal Crossing n’envisage ainsi les espaces ruraux que sous la domination symbolique des espaces urbains, au point d’en faire l’argument principal du dernier jeu.
L’omniprésence de l’argent, au centre de la majorité des péripéties de ce jeu, est un autre des indices qui montrent que la vie des villageois n’a rien à envier aux plus frénétiques consommateurs urbains. Rapporté à la dizaine d’habitants sur DS, le niveau d’équipement est même incroyable (et écologiquement irresponsable) ; une mairie, une poste, une épicerie (qui finira supermarché), une couturière, mais aussi un café-concert et même un musée !
La seule chose qui justifierait ce niveau d’équipement incroyablement luxueux serait la vocation touristique du hameau. On peut en effet le visiter, mais la procédure s’avère relativement dissuasive : il faut y être convié au préalable.
Gated community
Sans invitation, le village vous restera strictement interdit : sur Wii et DS il est protégé par des murailles rocheuses et fermé par de lourdes portes. C’est que les villages d’Animal Crossing n’en sont pas ; ils se rapprochent plutôt des gated communities, ces “quartiers dont l’accès est contrôlé, [..]et dans lequel l’espace public (rues, trottoirs, parcs, terrains de jeu…) est privatisé. L’accès en est permis aux résidents et à leurs invités.”
Ce jeu de sociabilité fonctionne ainsi selon un mécanisme paradoxal : la qualité des relations sociales dans le village provient dans un premier temps d’un mécanisme d’exclusion de l’étranger et d’un repli entre-soi.
Par ailleurs l’omniprésence de l’argent dévoile la destination première de cette communauté : c’est un projet immobilier visant les plus riches, le jeu forçant l’achat d’un logement et incitant fortement à l’acquisition de signes extérieurs de richesse (dont les travaux d’agrandissement successifs de cette maison).
À ce propos avez-vous remarqué qu’aucun des travailleurs (de K.K. aux gardiens) n’y possédait de logement ? Ils ne sont que des employés qui logent en dehors du village.
Tom Nook, qui pourtant vous a vendu votre maison et prospère incroyablement, n’y réside même pas ! On imagine le coût financier et symbolique exorbitant (les parvenus ne sont pas acceptés) pour faire partie du village… Malgré l’apparente diversité (des espèces) des habitants, il y a donc une forte homogénéité sociale.
Dotée d’une police privée (sur GameCube), fermée sur l’extérieur mais donnant sur la mer, la communauté poursuit sa vie d’encoche, bafouant quelques lois au passage (trafic de fossiles ou d’espèces protégées - cœlacanthe, travail des enfants pour les neveux de Tom Nook) et au mépris de toute conscience écologique (plantation d’espèces d’arbres exogènes à la moindre occasion - les palmiers voisinent avec les poiriers etc.).
Le sol “circulaire” introduit avec la version DS est un symbole transparent de l’égocentrisme qui s’y exprime ; si le producteur, Ryuji Kobayashi, clame que l’on peut ainsi toujours “voir les changements climatiques en fonction des endroits” car le ciel reste visible, comment ignorer qu’il témoigne aussi d’une évidente centration sur soi, le monde se pliant littéralement sous nos pieds et l’horizon se limitant aux frontières de la communauté.
Un lieu paranoïaque
Aussi protégée, privilégiée et choisie qu’elle soit, la vie communautaire d’Animal Crossing reste à mille lieues de la perfection. Au cours des épisodes le jeu devient même un laboratoire de paranoïa sécuritaire et de surveillance de tous par tous (les citations proviennent du dernier Iwata Asks) :
Ryuji Kobayashi (producteur) : Lorsque le joueur se déplace dans la ville, l’herbe disparait peu à peu. Bien entendu, elle commence à repousser le jour suivant, mais si vous vous rendez tous les jours au magasin de Tom Nook par exemple…
Hisashi Nogami (design) : Ainsi, si un joueur ne fait que pêcher, l’herbe sur le chemin menant au rivage ou à la rivière aura complètement disparu. Et, où il y a un pont que tout le monde doit emprunter, l’herbe aura laissé place à la terre.
Aya Kyogoku (script) : Lorsque vous rendez visite à un ami dans sa ville, vous n’avez pas forcément besoin de regarder la carte. Il suffit de suivre la piste menant des portes de la ville à sa maison.
Au-delà de l’effet gadget de cet ajout à la version Wii, l’idée d’être pisté apparait pour ce qu’elle est : plutôt inquiétante. Mais il y a pire.
Nogami : Désormais, en vous connectant à WiiConnect24, les données liées aux villes seront échangées sans qu’aucun joueur n’ait à venir chez vous et sans qu’aucun de vous ne s’en rende compte. Ainsi, tout à coup, un nouveau venu en provenance de la ville d’un ami emménage dans votre ville et se présente : « Bonjour ! Je viens de la ville X. »
Satoru Iwata (CEO) : « La ville X » étant une véritable ville Animal Crossing.
Nogami : Exactement. Et il vous racontera les cancans de sa ville : « Ce personnage de la ville X aime beaucoup ça. » et d’autres histoires dans ce genre.
Iwata : De plus en plus de commérages se propagent de ville en ville sans même que vous ne le réalisiez.
Là ça devient flippant. Et savoir que cette fonction a été développée suite à un imprévu du jeu GC n’arrange rien (un animal aurait informé le fils d’un employé de Hideki Konno, producteur de Mario Kart Wii, des activités de sa mère sur le jeu quand il n’était pas là).
Le titre du jeu s’avère finalement lourd de symboles : forcez une quinzaine d’individus sélectionnés à vivre ensemble, quelque soit le niveau de vie, vous ne pourrez éviter le retour des bas instincts.
Commentaires
A quand "Animal Crossing : Bagdad Green Zone" ?
Intéressante étude. J'avais lu dernièrement des commentaires sur le "Iwata asks" en question disant que l'herbe, bien loin de repousser, se fait désirer. De fait beaucoup de joueurs se plaignent que leur village devient un dépotoir boueux parce que le gazon piétiné ne repousse jamais.
Sinon concernant les "Iwata asks" en général, ils me font tellement penser à des séances de branlette collective sur le thème "oh putain qu'ils sont bons nos jeux oh oui oh oui oh ouiiiiiiiii" qu'au bout de quelques secondes je laisse tomber la lecture.
Waoh je ne l'avais jamais vu comme ça mais c'est assez rempli d'aberrations et tout à fait flippant, en fait. Le choix du titre est exemplaire, d'ailleurs :)
Merci pour ce bout de lecture tout à fait excellent !
Grandiose !
Pas mal de choix sont quand même explicables du point de vue du gameplay, hein. ^^ L'article plie un peu les règles du jeu pour appuyer l'interprétation de l'auteur mais c'est de bonne guerre.
+++
AC pour moi c'est une histoire d'esclavage, il y a un dialogue de la version DS qui laisse entendre que Tom Nook est un humain.
'If you choose 'Disappointment', Dr. Shrunk will say something very interesting:
Dr. Shrunk: 'For this next trigger, I'm going to refer to an actual event. Do
you remember... When Tom Nook asked you if he looked like a man dressed in a
raccoon suit? And do you remember how you laughed and said you could see the
zipper? Later he said to me, 'I am not a mascot, hm? No no. How terrible.'
+++
Au cas où certains ne connaitraient pas il y a un vieux thread très marrant et plutôt élaboré sur Something Awful (archive).
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"Sinon concernant les "Iwata asks" en général, ils me font tellement penser à des séances de branlette collective sur le thème "oh putain qu'ils sont bons nos jeux oh oui oh oui oh ouiiiiiiiii" qu'au bout de quelques secondes je laisse tomber la lecture."''
Au contraire c'est précieux de voir les développeurs justifier leur choix et les interviews sont bien menées. De plus il est généralement impossible d'avoir accès aux développeurs de Nintendo (un problème commun à la plupart des boîtes de dév).
@kwyxz : Ouep, je te rejoins pas tout à fait sur ta vindicte envers les Iwata Asks, j'avais notamment apprécié l'interview de Sakuragi au sujet de Smash Bros, dans laquelle il disait en substance "ouai ben on nous a demandé une suite pour la Wii, mais bon, on voyait pas bien en quoi ça nous servirait, du coup on a pensé notre jeu autour de la manette Gamecube", ce que je trouve assez surprenant d'honnêteté, surtout pour un japonais s'adressant au CEO de l'entreprise qui emploie son studio.
Sinon c'est vrai qu'Animal Crossing n'est pas une simulation de communauté, et que les incohérences (notamment le rapport habitants/services) ne sont pas plus aberrantes qu'un rpg dans lequel on peut rentrer dans n'importe quelle maison et piller les étagères sans qu'un habitant ne s'étonne.
Mais ca reste passionnant à considérer. ^^ (Alors? Une idée pour expliquer le fait que dans tous les RPG, tout bien appartient à tout le monde?)
@Pixoshiru : si un jeune blond tektonik avec une épée de 2m et son copain du 9-3 avec une gatling à la place du bras viennent fouiller dans mes slips, je crois que je dirais rien...
:D
T'as un point, là, effectivement. ^^
excellent article.
ça me fait réaliser d'un coup que d'une manière générale je ne joue pas du tout aux jeux de "développement" de capital. Animal crossing, Sims, ou tout autre jeu qui t'incite à acheter des objets, des meubles pour agrandir ta maison, je n'arrive pas à me sentir concerné.
Ca me saoule d'aller acheter les meubles en kit en vrai, alors le faire dans un jeu...
Je ne sais pas, je me dis que ce sont peut être des titres géniaux, mais je ne suis visiblement pas fait pour.
@Depassage : si j'ai un peu survolé le gameplay ce n'était pas forcément volontaire, j'ai écrit sur mes souvenirs de la version DS, des vidéos et des faqs. Tu pensais à quoi ?
@Pixoshiru : mm, il me semble toutefois que contrairement aux rpg il y a une vraie cohérence dans Animal Crossing. Je n'ai pas l'impression d'avoir trop forcé le jeu pour étayer mon idée (maintenant je t'accorde que certains arguments sont un peu faibles, notamment le truc sur l'immobilier et le travail des enfants - là c'était juste pour le plaisir^^).
(J'ai causé une fois de cette bizarrerie des RPG mais je n'ai pas creusé c'est vrai^^)
Je ne disais pas ça dans le sens où tu te serais planté en décrivant un aspect du gameplay mais par rapport à ton interprétation des choix, comme le suréquipement de la ville eu égard à sa population. De même je crois sincèrement que la vue adoptée pour l'épisode DS découle d'un choix de gameplay (lisibilité sur la portable, amélioration du flow par rapport à la version GC découpée en écran, faux raccord entre les deux écrans avec en plus l'arrivée des constellations qui donnent une importance considérable au ciel du jeu) plutôt qu'une tentative pour flatter la mégalomanie du joueur. Pareil pour le cloisonnement de la ville, c'est uniquement pour empêcher les vandales de saccager les parterres de fleurs des gamines, etc. Bon, je comprends bien qu'il s'agit de boutades et que le jeu de l'interprétation fait l'intérêt de l'article, hein. ^^
Le seul argument un peu contestable ce serait l'absence de conscience écologique : en fait le jeu tient compte de la répartition des plantes et des arbres du village. La création - et surtout l'entretien ! - d'une ville équilibrée et harmonieuse sont récompensés (par un arrosoir en or je crois, enfin bref). En ce sens le jeu incite au jardinage responsable.
Sinon c'est un détail mais le lien d'encoche ne renvoie vers rien.
Oups, lien corrigé (vers la définition wiki en fait). Merci !
Bon je suis d'accord avec ce que tu dis, j'avais mal compris désolé ; pour la conscience écologique, l'introduction d'espèces venues d'autres villages n'est pas forcément très responsable, dans l'absolu (même si le jeu ne simule pas l'appauvrissement et la déstabilisation de l'éco-système^^) - mais là encore c'est un peu pour rentrer dans ma thèse.
J'adore quand vous partez dans ce genre de réflexions/délires (ma notule préférée restant 6226, futur antérieur) même si sur certains arguments c'est quand même un peu tiré par les cheveux (je suis moyennement convaincu pour le rapport herbe/paranoïa)
Enfin la question de la cohérence et du rapport au réel que ce genre d'univers peuvent entretenir est assez passionnante.
Au passage, merci beaucoup pour le lien.
merci pour l'artclle, si seulemment vous etiez un peu pluss precis dans votre analyse!!!
bonne continuation :)
Merci pour vos encouragements, si seulement vous pouviez être un peu plus précise dans vos griefs !^^
J'aime beaucoup mais je vois pas en quoi ca gene, Nintendo a toujours été très protecteur envers ses joueurs =)
rien d'etonnant, malgrès cela, le nombres d'hacked town est en progression permanente.
et sinon, heureusement que vous etes la pour faire des analyses aussi poussées sur de la matière a divertissement, parce que sinon tous les possesseurs d'animal crossing vont finir par planter des abricotiers et des cocotiers en ville et en hiver, et n'oseront plus marcher tous els jours sur le meme chemin de peur qu'on les piste par la suite ; )
Serieux la, vous voyez le mal partout, arretez le jeu video, arretez la critique, vous etes profondement atteint! *et les voix sortirent de nulle part "Sattann, sattaaaaaaaaan!" *
xD