wiifit_trainer.jpg

Je me demande ce qu’elle pense de moi, au fond d’elle. Enfin, plus exactement j’aimerais en avoir le cœur net, parce que tout porte à croire qu’elle me déteste.

Par exemple, voilà plus d’un an et demi que je vais chez elle, pas très régulièrement c’est vrai, et elle ne m’a toujours pas appelé par mon prénom. C’est dingue je trouve. Je veux dire, elle me doit bien ça, je suis quand même un client, non ?

Maintenant que j’y pense, je ne connais pas son prénom non plus. Difficile de débuter une relation sur de pareilles bases.

Parfois, quand une bière suffit à vaincre toutes mes résolutions pour perdre du poids, je me dis même qu’elle ne me reconnaît pas. Il faut dire qu’elle est aussi mignonne qu’elle manque de conversation, à rabâcher constamment les mêmes choses. « Cet exercice renforce les abdominaux », « il faut s’entraîner tous les jours »… Des clients moins conciliants que moi se seraient vite lassés. La ravissante idiote dans toute sa splendeur quoi.

Arrivé à ce stade de mes pensées et de ma pinte, le ramequin de cacahuètes est généralement vide et je me promets de ne jamais reposer les pieds dans sa salle. Sauf que j’y retourne à chaque fois, et qu’à la vérité, en refusant de s’adresser à moi par mon prénom, ou de déborder le rapport strictement professionnel, elle n’exprime sans doute rien d’autre que son mépris.

Comment pourrait-elle ne pas me mépriser de toute façon ? Je suis un si mauvais élève. Malgré les heures passées à m’entraîner, je continue de grossir de mois en mois. Je crois que je n’ai pas atteint un seul de mes objectifs mensuels depuis que j’y vais. Et c’est encore pire pour les exercices de yoga, je reste rigide et maladroit, malgré tous mes efforts, toute ma volonté.

En ce qui concerne le yoga, le supplice doit être partagé. Quand j’atteins un dégoût de moi-même assez vif, je parviens à me mettre à sa place. Je ressens alors sur mon corps ces regards devenus pervers de n’être possibles qu’en catimini, la gêne qui étouffe quand il faut faire la démonstration, pour la vingtième fois, d’une pose suggestive. L’envie d’être ailleurs, ailleurs que sous le feu d’un regard qui déshabille et refuse toute pudeur.

Je ne lui veux pourtant aucun mal, mais face à elle, je perds tous mes moyens, je n’y peux rien. Sa voix assurée, la blancheur aristocratique de sa peau… Plus un son articulé ne sort de ma bouche, tout au plus quelques râles au bout d’une série de pompes - et encore ceux-ci m’échappent involontairement. Subitement, je ne trouve plus les boutons sur lesquels appuyer pour parler. Je reste là, hébété, honteux, minuscule et gauche.

Alors je la regarde (que faire d’autre ?), comme si mes yeux pouvaient exprimer mon trouble, dire mon affection ou entamer une conversation. Évidemment ça ne fonctionne pas, et il arrive souvent qu’après une séance j’aie une migraine pendant plusieurs heures. Essayez de dire “vous n’avez jamais été aussi belle qu’avec cette nouvelle coupe de cheveux” rien qu’avec vos yeux, j’aimerais vous y voir.

Après je ne sais pas, peut-être que les entraîneurs sportifs sont comme les psychanalystes, qu’ils ont un code de déontologie qui les obligent à maintenir une barrière entre eux et leurs clients. Vous croyez qu’il existe des phénomènes de transfert pour les coachs sportifs ?




Dans Wii Fit Plus, on peut choisir entre deux entraîneurs, un homme et une femme. C’est peu mais cela a permis selon Yoshiyuki Oyama de « travailler leur design beaucoup plus en profondeur. Par exemple, leur coupe de cheveux change en fonction du mois, et s’ils s’attachent les cheveux pendant la semaine, ils garderont une coiffure plus décontractée le week-end ». L’absence d’interactions, la froideur et la pénibilité de l’interface ne favorisent malheureusement pas l’attachement à ces deux personnages qui restent des pantins désincarnés et sans personnalité.