GUN GRIFFOWND
Par Game A le 22 décembre 2010 - Ça dénonce grave.6 minutes
GUNGRIFFON The eurasian conflict… C’était bien, c’était il y a près de quinze ans et c’est un des rares souvenirs marquants que m’a laissés la Saturn. On y pilotait un mécha massif, le HIGH-MACS, en pleine troisième guerre mondiale. La 3D avait beau être rudimentaire, même pour l’époque, le jeu possédait un puissant pouvoir d’immersion, provenant à la fois de la vue subjective, de la complexité (relative) des commandes et d’un futur proche à la géopolitique funeste mais crédible.
Réchauffement planétaire, crises énergétique et alimentaire… Les causes du conflit paraissent encore plus solides aujourd’hui qu’à l’époque. Le jeu renouvelait aussi les alliances continentales : l’APC (Communauté Asie-Pacifique comportant notamment le Japon et la Chine) s’opposait à une coalition UAC (union des deux Amériques)/PEU (Europe élargie jusqu’à la Russie), tandis que la fédération continentale africaine (OAU) prenait les coups.
Si le contexte était donc très bien planté, le déroulement même de la guerre paraissait moins clair, et le verso de la boite du jeu n’aidait pas : si le texte français nous incorporait dans « la 45ème division blindée, l’unité de combat d’élite de la légion étrangère » de l’UAC (Pays Unis d’Amérique), les cinq autres langues dont l’anglais plaçaient le joueur dans le camp ennemi, l’APC (« a leading commander of the Asian Pacific Community’s army »).
En 1996, il était plus tentant de blâmer les rédacteurs occidentaux (la médiocrité des boites et des manuels des jeux Saturn étant proverbiale) que de déceler une escroquerie. On a eu tort.
Les briefings en cours de jeu confirment en tout cas la version française : notre HIGH-Macs appartient bien à l’UAC et combat l’APC sur huit théâtres d’opérations, de Kiev à Lianyungang sur le littoral chinois en passant par Ulan Bator. Quelques cartes fléchées complètent les ordres de mission mais la situation comme la stratégie restent opaques. On subodore vaguement que s’il faut repousser l’APC d’Ukraine ou de Russie, c’est que la PEU (Pan European Union) s’est pris avant le début du jeu une sacrée saucée de la coalition asiatique, mais rien n’est jamais explicite.
En fait, rien n’est dit clairement parce que notre Gun Griffon (sic) est un faux grossier passé complètement inaperçu : dans la version originale, le HIGH-Macs du joueur fait partie de la légion étrangère japonaise (APC donc) !
Comment a-t-on pu avaler de toute façon qu’il fallait détruire un train blindé asiatique en Sibérie ou des ogives nucléaires sino-japonaises dans un complexe souterrain à l’Est de l’Oural. Ou ne pas distinguer des idéogrammes sur les tanks de notre escadron durant l’introduction du jeu (à notre décharge, nous n’avons pas profité de la cinématique de meilleure qualité proposée dans la version japonaise aux détenteurs de la carte de décompression MPEG pour Saturn).
En comparant justement la cinématique japonaise à la nôtre (commune aux États-Unis et à l’Europe), on peut noter quelques différences radicales.
Alors que l’action se passait en 2015 à Kharkov (« ハリコフ », en Ukraine), dans notre version la bataille se déroule en Chine, en 2074 - au crédit des Occidentaux, 2074 est une période plus probable de crise des ressources que 2015.
« J’ai entendu qu’ils ont utilisé une nouvelle arme en Sibérie. -Une nouvelle arme ? Ne t’inquiète pas, ça ira. » Boum.
Un court dialogue entre deux soldats précédait l’arrivée explosive des méchas (AWGS dans le jeu). Il a été simplement supprimé de notre vidéo d’introduction qui ne conserve que les sous-titres : les pilotes parlaient en allemand.
Si les phases de jeu elles-mêmes n’ont pas subi de modifications (les plaintes en japonais au début de la mission de Kharkov ont été bizarrement conservées), il n’en est pas de même du reste : exit la voix digitalisée japonaise lors des débriefings, exit l’identité des contingents sur les cartes occidentales.
Version originale à gauche (flèches blanches : Ukraine et légion étrangère japonaise, flèches sombres : PEU) et version occidentale à droite (allez comprendre quoi que ce soit).
Ainsi expurgées, les cartes ne peuvent plus contredire le retournement du point de vue et de la situation : à Kharkov par exemple, au lieu d’appuyer l’Ukraine alliée à l’APC pour conserver son indépendance face à la Russie (PEU, appuyée par des contingents belges et allemands), les HIGH-MACS japonais, passés pour l’occasion dans « la 45ème division blindée de la Légion Étrangère Américaine », sont dépêchés en urgence par la PEU et l’UAC pour « soutenir l’Ukraine ». Fallait oser, d’autant que dans le jeu original l’Amérique n’est absolument pas alliée à l’Europe : elle finira même par l’envahir** !
Autre exemple à Novossibirsk. Dans la version japonaise, la France est impliquée (cadre).
D’une version à l’autre, l’objectif du jeu bascule donc d’une suprématie asiatique à confirmer en déjouant les contre-attaques à un sursaut européen soutenu par la technologie supérieure des États-Unis.
Dans une des dernières missions du jeu, le HIGH-Macs devait à l’origine faire échouer une manoeuvre d’encerclement d’un aéroport militaire asiatique par quatre bataillons américains. En occident, l’aéroport devient une base avancée sur territoire ennemi.
Le joueur passant dans l’opération du pilote japonais au sauveur américain providentiel, on sait au moins quelle susceptibilité* a été ménagée.
* L’union des Pays d’Amérique (UAC en anglais) s’abrège en AFTA au Japon (American Free Trade Agreement). Outre qu’il existe déjà une AFTA (Asean Free Trade Area), l’homophonie avec « aphta », aphte, explique sans doute le changement en Occident.
** D’où cette dernière mission étonnante dans un complexe militaire nucléaire : en fait, l’AFTA a battu l’APC et envahi la PEU. Les HIGH-MACS, passés sous commandement américain, doivent débusquer des résistants russes avant qu’ils n’envoient tout leur stock de missiles sur les positions américaines (source : gungriffon.jp).
GUNGRIFFON The Eurasian Conflict (Gun Griffon en Occident) a été développé par Game Arts (Silpheed, Grandia, Lunar). Le jeu a connu plusieurs suites : un deuxième épisode sur Saturn japonaise deux ans après (1998), GunGriffon Blaze sur PS2 (2000) et GunGriffon: Allied Strike sur X-Box (2004). Le scénario de Blaze n’a pas été altéré, ce qui n’a pas étonné les testeurs outre mesure : « And instead of playing as the Americans, as was the case in the very first Gun Griffon, in Blaze, you’ll play as part of the 501st Japanese Foreign Legion, the troops sent to fight on one side of a three-way conflict in the shattered former United States » (IGN) - pour Allied Strike c’est à confirmer. Les captures d’écran utilisées ici proviennent des vidéos de gungriffonjp, PickHutHG et de Sokutsu. L’illustration en début d’article est de Tomoaki Okada. À propos de la « complexité relative des commandes », non je n’ai jamais joué à Steel Battalion.
Commentaires
Sacré nom d’une pipe ! Si l’on m’avait dit que je lirais à nouveau un billet signé Game A, je ne l’aurais pas cru. ;)
Et d’ailleurs, comment as-tu fait la transition entre l’océanographie et le reportage de guerre ?
Mauvaise langue, et avant-hier alors ? J’espère au moins que ça t’a plu. ;)
Sinon je te rassure, la transition s’est faite sans douleur.
@Kage no Otaku : Ce qu’il ne dit pas, c’est que les cartes qu’il utilise pour appuyer son propos, elles proviennent à coup sûr de l’exploration assidue d’une faille sous marine au large des côtes japonaises …
Miam, un post sur Gungriffon.
(J’occulterai volontairement le petit trolling de la Saturn subrepticement glissé au début du texte, coquin.)
J’ai découvert la série avec Blaze, et c’est pas de bol, parce que j’ai directement commencé par le meilleur. Cela étant, je ne suis qu’à moitié choqué par cette réinterprétation sauvage de l’Histoire, dans le sens où Game Arts lui-même prend pas mal de libertés vis-à-vis de son propre univers au cours de la série.
Dans le principe, c’est éminemment contestable, mais l’identité de la victime a toujours une influence dans notre perception du crime (Kennedy et Oswald, par exemple). Et en l’espèce, le préjudice n’est pas énorme.
Si le cas s’était présenté avec Front Mission ou Armored Core, là j’aurais peut-être pris les armes. Mais quand j’y pense, elles sont toutes les deux immunisées contre de genre de détournement. La première parce qu’il y aurait des kilomètres de texte à réécrire, la seconde parce qu’elle met en scène (de superbe façon) des conglomérats plutôt que des États.
Bel article, sinon. Tu as le chic pour trouver à chaque fois les sujets les plus improbables. ^^
Plus qu’une bourde monumentale, c’était peut-être une déclinaison de version pour toucher un public occidentale, non ? Ce ne serait pas la première fois (du moins, ça ne l’est plus) : de la simple retouche de jaquette jusqu’au changement sauvage de héros dans Nier.
@Kage no Otaku : la seule bourde est le chevauchement des deux versions sur la jaquette.
« Déclinaison » ça me parait un peu gentil, c’est malhonnête et assez maladroit.
@Ignis : de quelles libertés que prendrait Game Arts parles-tu ?
@Game A : Je me souviens avoir à l’époque relevé pas mal d’incohérences dans les timelines entre les 3 épisodes auxquels j’ai joué. C’était surtout une histoire de dates mais j’ai trouvé ça léger à l’époque, quand tu compares avec la timeline parfaite de Front Mission.
(Et, non, j’ai pas d’exemple. Je me souviens juste que Gungriffon 1 me paraissait le pire coupable mais, après avoir lu ton article et compris le pourquoi du comment, je le déclare hors compétition et remets la palme à Allied Strike.)
J’ai découvert le site gungriffon.jp après avoir posté et il comporte un musée de la troisième guerre mondiale avec toutes les dates répertoriées : le contexte original semble super solide.
A lire ce joueur, je me demande si GunGriffon Allied Strike n’a pas connu le même sort :
@Game A : Le problème vient peut-être des traducteurs (je n’ai joué qu’en anglais), mais plusieurs fois dans la série je me suis posé des questions sur les nations et l’état de leurs relations à différentes dates. Du genre «Mais pourquoi ces types se battent entre eux ? Ils étaient pas alliés ?»
Peut-être la timeline est-elle claire dans l’esprit des créateurs mais si c’est le cas, les jeux manquent clairement -dans mes souvenirs- d’explications sur le pourquoi du comment. (Encore une fois, je parle des versions anglaises.)
Ah, au fait, en cherchant si Game Arts n’avait pas publié de livre sur Gungriffon, je suis tombé sur ça : http://www.amazon.co.uk/Gungriffon-…
28£ pour 84 pages de «High Quality content by Wikipedia articles».
What ? oO
@Ignis : Je savais même pas que ce genre de choses existait…
Au Japon, pas mal de produits dérivés sont sortis, des maquettes de tanks du jeu (basés sur des extrapolations de machines réelles, genre le Leopard 2 du côté allemand) aux guides habituels.
J’en attends un d’ailleurs…
Kon-nichi-wa, I really enjoyed reading this article and following comments.
I am writing to let you know that an explanation for better understanding the original Japanese background story is now opened:
http://gungriffon.jp/english.html
I hope you enjoy it. (…et desole, mais je ne parle pas Francais Xp)
@Ignis
Thank you for discovering my website ;) Wow, what is that interesting book??? I have never seen such a thing, but I suppoese it may contain copied graphics from Gungriffon-related books sold in Japan, without GameArts’ permission.
Ca fait du bien de te lire, A. Un peu plus et je passais les fêtes persuadé que les jeux n’avaient plus de mystères. :)
@Ignis :
The book you mentioned has arrived.
To my disappointment, I have to tell you that the book is of NO VALUE; it contains nothing but just several articles about “Gungriffon,” “Game Arts,” “Video game,” “Sega Saturn,” “PlayStation 2,” “Xbox,” “Mecha,” and “Design,” all cited from Wikipedia.
This book has nothing to do with Gungriffon. It never occurred to me that such deceptive books were sold on Amazon and I would become a careless dupe. Hahaha(-_-;)