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En avril dernier, Nintendo a offert à ses plus fidèles clients japonais une reproduction du Game & Watch (G&W) BALL. La seule condition était d’avoir accumulé 400 points d’achat pour être gratifié du statut de membre platinum. Je sais, Nintendo qui fait des cadeaux, c’est dur à croire.

Je ne vous ferai pas l’affront du déballage de la boite mais le soin et le sens du détail sont évidents, du numéro de série (RGW-001 au lieu de AC-01 - pour Acrobat (jeu) 01) au petit présentoir en carton pour y reposer le jeu - la patte d’acier au dos du jeu n’était apparue qu’avec la série Gold (Helmet, Lion…).

Du jeu lui-même que dire ? Comme beaucoup de monde, il me sort gentiment des yeux : on a pu l’essayer à six reprises* alors que trois minutes suffisent pour s’assurer que ces adaptations ne sont dues qu’à l’intérêt patrimonial de BALL (c’est le premier de la gamme, sorti en avril 80), pas du tout à son potentiel ludique.


Dessin préparatoire de l’écran LCD du jeu, source.

Bref on jongle entre deux (Game A) ou trois balles (Game B), on jongle encore et encore.
Et durant tout ce temps on se dit qu’un autre titre n’aurait pas été plus mal : d’abord, comme le dit Makoto Kano (dessinateur des personnages, concepteur de la coque et des boites des G&W, entre autres), il n’a pris conscience de l’engouement autour des G&W qu’avec Parachute (juin 1981), plus d’un an après.
Ensuite les G&W sont essentiellement un succès occidental (30 millions de jeux vendus, pour “seulement” 12 au Japon), mais on doit se fader depuis des années le rabâchage des séries Silver (que BALL inaugurait) et Gold, soit les seules sorties intégralement au Japon (voir leur sur-représentation parmi les DSiWares sortis courant avril).

Si le gameplay ne réserve aucune surprise, la taille de la machine peut cependant étonner, surtout quand on est habitué aux séries Wide (1981-82, Octopus…) ou New Wide Screen (82-91, Donkey Kong Jr…) : BALL tient vraiment dans le creux des mains.

On reconnait bien là le concept de départ, permettre aux adultes de passer le temps discrètement dans les transports en commun. Cette réédition va même plus loin puisque, cette fois-ci, « il sera possible d’y jouer dans le train » : Kano et son équipe ont ajouté une fonction pour couper les bips stridents qui rythment le jonglage !
Entre deux balles en l’air (que c’est ennuyeux…), on peut donc rêvasser sur cette impossibilité à l’époque. Et sur l’amusante manière dont Hirokazu Tanaka justifiait plus tard cet oubli :

En réalité, ne prenant jamais vraiment le train, nous n’avons pas pris conscience de ce problème.**

Hop, bip, hop, bip, c’est reparti pour quelques secondes.

Cette amélioration du modèle de base montre d’ailleurs qu’il s’agit bien d’une réédition plutôt qu’une reproduction : Makoto Kano n’a pas manqué d’insister sur les difficultés rencontrées pour rassembler, trente ans après, documents de référence sur le hardware et souvenirs afin de reproduire les sensations du jeu électronique d’origine (rythme, matériaux…).
Si ce n’était pas de l’ingénierie inverse, ça y ressemble fortement.

CRUSH ! Zut.

Autant dire que BALL a exigé beaucoup de travail à trois anciens et éminents employés de Nintendo. Outre Makoto Kano engagé en 72, concept designer de Metroid, Kid Icarus et producteur de Super Metroid, Takehiro Izushi et Masao Yamamoto, engagés en 75 et 78, ont ainsi pu égayer leurs dernières années avant la retraite d’un projet plus en rapport avec leurs domaines de compétence (pourtant nombreux, de la programmation au game design en passant par le management).

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De gauche à droite, Masao Yamamoto, Makoto Kano et Takehiro Izushi.

Dans la tradition de ces entreprises japonaises où les « salariés rétrogradés passent leur semi-retraite à des travaux faciles dans des positions ou des départements créés spécialement pour eux »***, Kano est désormais employé dans les « bureaux du président » (President’s Office) tandis que Yamamoto et Izushi (quand même directeur de la R&D1 de 96 à 2005 !) s’occupent au « département de promotion des nouveaux marchés ». J’ai veux croire que c’est pour éviter ce genre de placards que Gunpei Yokoi a démissionné en 96.

Bon, fini de jouer, remettons-le dans sa boite.

C’est qu’il ne faudrait pas l’abîmer, c’est un trop bel objet. Il a en plus le bon goût d’être abordable et facilement trouvable (35-40€ port compris sur les sites d’enchères ). Profitez-en, ce n’est pas le cas de tous les cadeaux du Club Nintendo japonais (TenBillion, je t’aurai un jour).

 

 

* Quasi ex-aequo avec Manhole : deux fois sur GB (pareil pour Manhole), trois fois sur DS (2 pour Manhole plus une fois sur GBA), une fois sur E-Reader (Manhole en a eu deux versions, Gold et New Wide Screen).
** La citation d’Hirokazu Tanaka est tirée de L’Histoire de Nintendo vol. 2.
*** Voir cet article en anglais d’Isao Kato qui se base justement sur le sort de nos interviewés.
Les photographies proviennent de l’interview japonaise. Enfin Wikipedia possède un article assez complet sur la feu-R&D1.