Interloqué par leur entrevue du 23/06 avec Shigeru Miyamoto, je suis retourné sur le site de Wired en quête de choses aussi croustillantes. Au lieu de ça, je suis tombé sur l’interview intégrale, “Q&A: 90 Minutes With Miyamoto, Nintendo’s Master of Amusement” dont les quelques extraits avaient fait le tour du monde la semaine précédente.
Après lecture, j’ai été un peu dur envers Miyamoto (vous aussi d’ailleurs) : il n’est pas si mauvais que ça. Wired par contre a été extrêmement malhonnête.

Non il n’est pas bête

Rappelez-vous, la deuxième question :

Wired: vos titres les plus importants ressemblent plus à des logiciels qu’à des jeux.
Miyamoto: Wii Fit est pour moi un outil de communication pour la famille. C’est un nouveau type de loisir [“play” = jeu] qui vous rend plus conscient de votre corps et de son bien-être. Vous pouvez appeler cela un jeu [“game”], mais en dernier ressort, c’est une sorte de divertissement interactif.

Miyamoto répondait étrangement à côté. C’est que la question réelle était toute autre :

Clive Thompson: Comment vous définiriez Wii Fit ? est-ce un jeu ?
Miyamoto: Je pense que c’est un outil de communication pour les familles.
Thompson[lèche-cul]: C’est charmant.
Miyamoto: Et je pense avoir compris qu’il s’agissait d’un nouveau type d’amusement. Une sorte d’amusement où l’on devient plus conscient de son corps et de son bien-être physique. Je veux dire, vous pouvez appeler cela un jeu, mais je pense qu’en dernier ressort, c’est un nouveau type de divertissement interactif.

Dans l’article paru le 23/06, le journaliste énonce un jugement sur un grand nombre de jeux (“vos titres”), dans la version originale, mise en ligne le 27/06, il pose une question sur un seul jeu. En considérant la question initiale, la réponse de Miyamoto le 23/06 est d’un coup plus logique, même si elle est créée à partir de deux réponses différentes.

Non il n’est pas méchant

L’interview raccourcie s’était répandue comme une traînée de poudre à travers le monde pour une remarque apparemment assassine à l’encontre de Sega. Sa gratuité avait beaucoup étonné. Remise dans son contexte, elle n’est plus du tout agressive, au contraire. Ainsi,

Wired: Nintendo est une entreprise énorme aujourd’hui. Comment maintenez-vous un contrôle qualité [pour tous vos jeux] ?
Miyamoto: Je rappelle constamment à mes game designers l’histoire des personnages et des mondes que nous avons créés. Souvent, alors que nous sommes en développement, je leur dis “on dirait un jeu Sega. Faisons-le ressembler davantage à un jeu Mario.”

se transforme en une remarque finalement assez plate. Ils discutent de la taille des équipes de développement pour Zelda (de 50 à 100 personnes) et Wii Fit (de 10 à 20) et :

Chris Kohler: Parlons de la plus petite des équipes. Vous avez développé Donkey Kong seul. Avez-vous envisagé de mener à bien un nouveau projet seul ?
Miyamoto: Et bien, je pense que ce serait amusant et je répète constamment aux développeurs qui travaillent sous mes ordres qu’ils devraient y penser car plus votre équipe s’agrandit, plus on passe du temps à s’organiser au lieu de travailler sur le projet.
Clive Thompson [lèche-cul]: Tout à fait. On peut percevoir clairement la patte, l’intention esthétique d’un designer quand le jeu est pensé par une ou deux personnes, alors qu’elle est souvent diluée dans un jeu [produit par une équipe plus nombreuse], bien que vous êtes toujours parvenu à la conserver dans les Mario ou les Zelda. Quand vous devez gérer une très grande équipe, comment parvenez-vous à ménager cette patte si particulière ?
Miyamoto: Je l’ignore. Je supervise tous les projets et pour chacun d’entre eux sous ma responsabilité, j’inspecte le contenu et j’examine le jeu lui-même. Une chose sur laquelle j’insiste est que je suis toujours d’instruire mes développeurs du passé des personnages et de la façon dont ils doivent aborder ces personnages et ces univers que nous avons créés au cours des années. Bien sûr je leur laisse concevoir le design du jeu, mais quand il s’agit de l’histoire et des personnages de la compagnie, j’essaie de leur donner des pistes pour saisir l’essence de ces personnages.
Prenez les Mario par exemple. Il y a quelque chose de mario[l]esque dans les Mario qui va jusqu’à l’utilisation des couleurs et de la conception de l’univers de jeu. Les jeux Mario détiennent une personnalité qui leur est propre, unique, et au cours de leur développement, j’y prends garde et je guide les développeurs. Souvent lors des conversations durant la conception du jeu, il m’arrive de répondre : “On dirait un jeu Sega. Nous devons le faire plus ressembler à un Mario”.

Plus de contrôle qualité à maintenir, plus de perfidie contre Sega. Il ne s’agissait que de cohérence de l’univers de jeu, pas de son excellence.

Oui il est peut-être stalinien. Mais c’est pas sûr.

Reste le principal reproche que nous avons fait au pauvre bougre, le “étant celui qui a inventé la manette traditionnelle”. Il apparaît bien tel quel dans l’interview originale (la question était toutefois moins directe à l’origine).
Mais comment faire confiance à la qualité de la traduction de Wired, alors qu’ils se sont montrés si légers pour le reste, lèche-cul devant Miyamoto, traître dans son dos ?

La faute aux journalistes

La mauvaise foi était déjà un péril sérieux, mais si maintenant on doit procéder à une critique des sources pour dénigrer tranquillement, où va-t-on ?

Bon, Shigeru, bisou, et sans rancune hein (on t’aura la prochaine fois).