Ace Attorney Apollo Justice (Capcom) est aussi bavard, pénible (pour aller à F, il faut d’abord passer par C, E…), lent et directif que les précédents épisodes.
Malheureusement, ce jeu textuel est en plus coupable d’incohérences scénaristiques.
Exemple avec la première affaire, un cas exemplaire d’erreur judiciaire (attention, spoil).

Dans Qui a tué Roger Ackroyd ?, Pierre Bayard (encore lui) relit le roman d’Agatha Christie en infirmant la conclusion d’Hercule Poirot : le réseau d’indices, les personnages et leurs déclarations révélaient un autre coupable que celui désigné par le personnage principal. Pourquoi, après tout, celui-ci (et derrière lui l’auteur lui-même) détiendrait-il la vérité ? Et pourquoi la dirait-il forcément ?
Je vais essayer d’appliquer au premier cas d’Ace Attorney Apollo Justice la même suspicion : et si le récit désignait un coupable différent de celui présenté par le jeu ?

Ce nouvel épisode s’ouvre par le meutre d’Enzo Gomez un 17 avril vers deux heures du matin, dans le sous-sol d’un bar louche. Gomez, un “voyageur” comme le dit mystérieusement le jeu, venait de terminer une partie de poker avec Phoenix Wright, l’ancien héros de la série, qui a abandonné la robe 7 ans auparavant.
Phoenix a depuis été engagé comme pianiste/joueur de poker dans ce bar, où il attire de nombreux clients appâtés par sa réputation d’invincibilité toutes ces années (avec l’aide de Vérité Wright, sa fille adoptive : douée d’empathie, elle lui dévoile les stratégies de ses adversaires).

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Apollo et la charmante Vérité Wright.

Apollo Justice, vous quoi, jeune recrue du cabinet Gavin & Co., aurez la tâche de le sortir de là. Heureusement cette tâche, Phoenix Wright vous la facilite : il mâche tout.
Au terme d’une audience qui n’en finit pas (j’ai mis 3 heures à la boucler, alors que les contradictions sont évidentes dès le dossier de départ - quand je disais lent et directif…), c’est Gavin, son ami et votre patron, qui sera inculpé du meurtre et Wright, blanchi.

Un coupable idéal


Kistoph Gavin. Patron, ami, témoin et bouc-émissaire.

Je ne crois pas à la culpabilité de Kristoph Gavin. D’abord parce qu’il ne donne aucun mobile, mais surtout parce qu’il n’avoue rien !
Après un rapide coup d’oeil sur la FAQ, le procès de Gavin lui-même n’est pas dans la suite du jeu : comme si sa culpabilité était évidente… Elle est pourtant loin de l’être : aucun mobile, vices de formes (Wright l’accuse avec une preuve falsifiée- une carte tâchée de sang), contradictions dans le dossier et des preuves… plus que fragiles.

D’après Wright, Gavin s’est piégé en début de procès en parlant de flammes bleues pour désigner le dos de couleur des cartes. Alors que Phoenix alterne la couleur des paquets de cartes pour éviter les tricheries et que lors de cette dernière partie, les cartes à dos rouge avaient été utilisées. Gavin l’ignorait, et Wright explique ainsi la carte bleue placée lors du meurtre dans le jeu de la victime, pour remplacer une carte rouge souillée du sang de Gomez.

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Si j’étais vraiment un emmerdeur, je ferais remarquer que Wright dans la cinématique à gauche joue du côté attribué à la victime dans le schéma de droite. Et que la place de l’armoire contredit la théorie du passage secret, qui est n’est plus caché par l’armoire comme à droite, dans le dos de la victime.

Wright élabore alors un raisonnement selon lequel Gavin se serait introduit dans le dos de Gomez, laissé un instant par Wright dans la salle du sous-sol. Il aurait pour cela utilisé un passage secret dans le mur, camouflé derrière une armoire (rappelez-vous, c’est un bar louche). Gomez aurait pivoté sur sa chaise et serait mort d’un coup de bouteille de verre au front. La nuque rejetée en arrière, le sang aurait coulé sur une carte de son jeu. Gavin aurait alors pivoté Gomez et remplacé la carte, afin de brouiller les pistes. Il aurait également laissé la bouteille utilisée, au préalable couverte des empreintes de Wright, puis serait reparti par le même endroit. Sauf que.

  • Cela implique que le passage secret s’ouvre de manière silencieuse : Gomez lui tournait le dos d’un mètre maximum. Or c’est une armoire qui coulisse !
  • Il faut que ce passage secret soit manoeuvrable depuis l’intérieur du passage. Or ça ne va de soi : les gangsters ont plus intérêt à pouvoir sortir discrètement du bar, que de pouvoir y entrer. Et on parle toujours d’une armoire à déplacer !
  • Autre difficulté, Gavin doit avoir pu s’introduire, tuer, falsifier la scène du crime pendant les quelques minutes où Wright est monté au rez-de-chaussée prévenir la police que Gomez, encore bien vivant, était fou furieux (le portable ne capte pas dans le sous-sol).
  • Enfin Wright a appelé Gavin juste après la découverte du cadavre, pour lui demander de l’aide. Il faut donc que Gavin ait eu le temps de sortir du passage secret et qu’il ait été assez éloigné de Wright pour que celui-ci, remonté une nouvelle fois, n’entende pas la sonnerie du portable de Gavin en essayant de l’appeler.

Et puis Gavin connaîtrait l’existence de ce passage, et pas quelque chose d’aussi évident que la couleur du dos des cartes utilisées, alors qu’il fréquente souvent Wright, notamment le soir-même du meurtre ?! (Par ailleurs, c’est un argument de Wright : Gavin a pu rencontrer Gomez en sortant du bar.)
Et quand bien même : Gomez, dans sa petite colère avant de mourir, a renversé les paquets de carte au sol : Gavin, vu son sang-froid et sa méthode, aurait alors remarqué les deux couleurs.

Olga Orly : Le troisième homme

L’accusation s’est portée sur Gavin après avoir écarté une autre personne que Gomez et Wright sur la scène du crime : Olga Orly, la “donneuse” de cartes.
D’après le contre-interrogatoire, elle aurait été de mèche avec Gomez pour briser la réputation de Wright en truquant la partie : un as surnuméraire avait été placé dans le paquet, et un autre dans la poche du sweat de Wright. Une fois l’as surnuméraire apparu dans le jeu, Gomez aurait exigé de fouiller Wright, et aurait trouvé un cinquième as…

C’est l’explication de Wright. Le jeu est si directif que c’est l’accusé lui-même qui fait votre boulot ! Il prétend également l’avoir trouvé dans sa poche en cours de partie, avoir senti le piège et s’en être débarrassé dans une bouteille de jus de raisin (!). Fou de rage, Gomez s’énerve et assomme Olga en l’accusant de l’avoir trahi. C’est donc pendant que Phoenix monte pour appeler la police que Gavin tue Gomez. Et c’est cette bouteille que Gavin remplacera par l’arme du crime, et replacera au rez-de-chaussée, à la place de celle utilisée pour tuer (pourquoi avoir risqué de la remettre -pendant que Wright découvrait le corps en bas, au lieu de s’en débarasser ailleurs ?…). Dois-je relever que cela implique que Gavin ait remarqué la manière de Wright de saisir cette bouteille pendant leur dîner (par le goulot, la main à l’envers) ?

Un héros déroutant

Il y a plus tordu que cette histoire de bouteille. Phoenix Wright lui-même. Rappelez-vous : Gomez a assommé Olga, et lui monte appeler la police. Mais est-ce une façon normale de se conduire dans une situation pareille ?!!
J’essaierais d’abord de calmer le bonhomme, ce dont Wright n’a pas pris la peine (The girl was knocked out cold, and [Gomez] was uncontrollable. I left to call the police.*), ne serait-ce pour qu’il ne s’enfuie pas si j’appelle la police, mais surtout, avant la police, j’appelle le SAMU !

En fait, Phoenix réagit comme si la fille ne risquait rien. Elle s’est pourtant pris un coup de bouteille dans la nuque. Et Gomez même, cet exploit mis à part, il a finalement fait peu de grabuge dans la pièce : des cartes au sol. Il mourra même dans son fauteuil. Il y a tout de même plus incontrôlable comme type !

Revenons sur cette bouteille. On voit sur la photo une bouteille renversée. C’est sans doute l’arme du crime, l’audience ne parlant pas de plusieurs bouteille dans la pièce (d’où cette histoire peu crédible d’inversion des bouteilles). Comparez maintenant la photo à la bouteille. C’est la première chose qui m’a sauté aux yeux en ouvrant le dossier : l’arme du crime n’est pas versée au dossier !

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Bouteille vide sur la scène du crime, bouteille bouchonnée à droite.

Sur la photo, la bouteille est distinctement ouverte et vide. Or les bouteilles présentées à l’audience sont bouchonnées toutes les deux !
Pourtant les bouteilles lors de cette partie étaient nécessairement vides : Wright aurait glissé une carte dans la première, et Gavin l’aurait remplacée par une bouteille déjà bue par Wright plutôt dans la soirée…

Et le coupable est…

Vous aurez remarqué, l’histoire est particulièrement tortueuse (et encore j’ai résumé). La démonstration de Wright n’en est pas moins bancale.
La vérité est peut-être moins complexe… Partons de ce point : Olga Orly est bien une tricheuse professionnelle. Pourtant je ne crois pas qu’elle ait été engagée par Gomez. Rappelez-vous : Wright utilise sa fille pour gagner. Or, ce soir-là, elle était absente. Aurait-il risqué de mettre en péril son invincibilité en comptant uniquement sur ses talents ? C’est d’autant moins probable qu’il avait une remplaçante sous la main : Olga.
Mais Olga a des talents plus facilement décelables que ceux de Vérité Wright. Gomez s’en rend compte, s’énerve (cherche ou pas à assommer Olga). Avant même qu’il ait le temps de se lever, Wright se lève et le frappe. Gomez meurt, encore assis.

Phoenix Wright ne manquait pas de mobile : un médaillon, qu’il a arraché à Gomez, une réputation d’invincibilité à protéger. Il en avait peut-être un autre.
Phoenix Wright compromet Kristoph Gavin (qui avait auparavant témoigné l’avoir vu une bouteille à la main devant le cadavre), un de ses amis de longue date. C’était peut-être son mobile le plus profond. Wright a changé de vie. Il a abandonné le barreau pour côtoyer le milieu qu’il combattait auparavant.
Que peut représenter Gavin pour lui ? L’oeil de la justice ? La morale réprobatrice de l’avocat devant le milieu qu’il fréquente ? De la pitié ? Sans doute tout cela en même temps. Sans doute aussi qu’il voyait dans Gavin l’image même de ce qu’il a rejetté, de ce qu’il ne voulait plus être.

Le meurtre de Gomez n’était pas prémédité. Pas plus que sa stratégie pour accuser Gavin : trop de paramètres paraissent imprévisibles. Phoenix a seulement utilisé les opportunités. Comme un dernier tour de force : il servait la loi, désormais il l’exploite.